Aaron Diehl exhume “Zodiac Suite” de Marie Lou Williams, pour une meilleure vulgarisation.

Mary Elfrieda Scruggs, ou tout simplement Mary Lou Williams, prononcez ce nom même face aux plus férus du jazz, il n y a pas grand nombre, pour vous dire le connaître ou en avoir entendu parler. Pourtant il s’agit bien de la même personne et non des moindres dans l’univers du jazz. Mais davantage, quelle musicienne ! La raison ? Sûrement à la pensée commune et dominante qui sévissait à l’époque, ne pas exposer ces dames qui, dans bien d’instruments, étaient des pionnières et pour beaucoup, au-dessus de la mêlée. On écrirait tout un livre s’il fallait parler de cette pionnière de l’histoire du jazz et du piano. A titre d’exemple, pour ses premières expériences en tant que batteur, Art Blakey (qui gagnait également sa vie comme mineur) pour ses premières expériences comme batteur, est passé par Mary Lou Williams. Au Minton’s Playhouse (club de jazz) où se côtoyaient Coleman Hawkins, Lester Young, Teddy Wilson ou Benny Carter, Mary Lou Williams était déjà une pointure dans ce milieu d’hommes. D’ailleurs, se souvenant de Kansas City où régnait l’empire phallocratique, elle raconte :

Eh bien, Kansas City était gouvernée et contrôlée par le grand chef du crime, Tom Pendergast, à l’époque avant l’abrogation de la prohibition. (…), dans ces conditions, les musiciens avaient naturellement un excellent travail à accomplir, même si certains de leurs employeurs étaient des types sauvages.

Dans un contexte où l’apport des femmes dans l’industrie musicale reste encore, malgré quelques balbutiements observés, dominé par les hommes, exhumer Mary Lou Williams comme l’a méthodiquement et brillamment fait le jeune et talentueux Aaron Diehl, est d’abord un acte empreint d’honnêteté. Un musicien qui reconnaît qu’à son instrument, il n y a pas que les références masculines vantées ci et là, au détriment des pionnières. Il tord ainsi le cou à cette fâcheuse tendance qui consiste à ne pas hisser au rang qui leur revient, les inspiratrices de ces musiciens. Mais qu’on encense et réduit au seul rang de choristes ou chanteuses. L’acte d’Aaron Diehl sonne comme une révolution, une vengeance contre cette injustice adressée à ces dames.

Aaron Diehl/©Evelyne Freja

Il n’a pas que le noble mérite de reprendre les chansons d’une grande musicienne, l’une des premières dames du jazz. ZODIAC suite, le nouvel opus du pianiste Aaron Diehl, redonne sa force et son pouvoir d’attraction à Mary Lou Willams, autour desquels gravitent ou ont gravité nombre de pianistes, pour ne pas dire musiciens. Ainsi Aaron Diehl

“Mary Lou Williams evolved and changed over time,” Diehl says. “She lived through a significant portion of the development of 20th century music, but she always kept her foundation intact. The roots were always there. She struggled continually with people accepting her on her own terms and recognizing her significant contributions. I hope this album will encourage people to investigate more of her music.”

Dans cette démarche qui se voudrait une approche de vulgarisation et de reconnaissance de l’immense œuvre de Mary Lou Williams comme grande compositrice/auteur/pianiste, fait est qu’elle positionne encore plus Aaron Diehl comme acteur majeur dans le sérail. Dans ZODIAC Suite, A.Diehl rend hommage à la compositrice/pianiste Mary Lou Williams, tout en découvrant de nouvelles possibilités et voies à partir de l’une de ses œuvres marquantes. Rejoint par le collectif orchestral The Knights et les invités spéciaux Evan Christopher (clarinette), Nicole Glover (sax ténor), Brandon Lee (trompette) et Mikaela Bennett (soprano), A.Diehl insuffle une nouvelle vie vibrante à un chef-d’œuvre que la compositrice elle-même n’aurait jamais été capable de réaliser pleinement de son vivant.

Peut-être que d’autres emprunteront la voie ouverte par Aaron Diehl. Mais pour l’instant, fait est qu’en la personne du jeune pianiste, Mary Lou Willians trouve son meilleur ambassadeur pour porter l’écho de sa musique et de ses combats au-delà des limites dans lesquelles, ils ont été cantonnés.

Extrait de “Gemini”: