“WHO KILLED AI ?” de Kenny Garrett, dans la pure tradition du Maître.

“Ma palette est ouverte à tous les types de musique…() «Je ne pense pas que beaucoup de gens comprennent vraiment mon histoire, donc ce projet pourrait être une surprise pour certains» et de conclure : « Certains oublient que mon professeur était Miles Davis. Donc pour moi, ce n’est pas que je doive faire quelque chose de différent. C’est juste quelque chose que je fais… “: Kenny Garrett.

On ne saurait comprendre, la nouvelle démarche de Kenny Garrett dans cet album, si on n’a pas pris en compte, ce qui précède. Car, il ne fait aucun doute, qu’avec cet opus, le musicien prend à contre-oreille tout le monde et risque d’en décontenancer, de déstabiliser quelques uns. Kenny Garrett désoriente, désaxe, déboussole, égare, il “inconfortera” peut-être plus d’un à l’écoute de cet album. L’orientation prise sonne plutôt comme une révolution. Pourtant, le saxophoniste ne fait que s’insérer dans son époque en y puisant dans et parmi les ingrédients à sa disposition.

Faut-il parler de révolution ? Chacun, après écoute, se forgera une conviction. Mais une chose est certaine, l’audace de l’approche donne une envergure certaine à l’album. Encore vraie, on ne saurait faire le reproche à Kenny Garrett d’être sorti des sons battus, pour en creuser d’autres, au risque de désorienter. Il a été à bonne école auprès des Miles Davis, Freddie Hubbard, Art Blakey etc. Et qu’on le veuille ou pas, cela vous marque, et davantage, si on appartient à la race des visionnaires, des avant-gardistes.

Kenny Garrett by Evelyn Freja.

Le fait de nommer la seconde plage de l’album « Miles Running Down AI » traduit à suffisance, la filiation et la vision héritées de son illustre aîné. De la même façon, qu’elle indique, que si Miles Davis avait encore été de ce monde, il n’aurait certainement pas laissé échapper l’occasion d’aller titiller l’électronique pour en ressortir les qualités, comme il a eu à le faire avec d’autres styles. Alors, c’est tout naturellement que Kenny Garrett, en bon disciple, improvisateur et compositeur hors-pair s’y engouffre.

Si l’on considère aujourd’hui qu’il est parmi les saxophonistes alto & soprano les plus influents, il faut également lui concéder le fait d’être un maître de l’exploration, et sait avec pertinence, où il va. C’est ce qu’il vient de prouver dans cet album qui, à coup sûr, sonne le début d’un jazz qui construit une nouvelle passerelle vers un autre genre, en l’espèce l’électronique, à défaut de devenir une autre tendance jazz en elle-même, comme l’histoire de cette musique en regorge..

Son association avec Mikhail Tarasov, plus connu sous le pseudonyme de Svoy, n’est en soi, pas une surprise ou une découverte. C’est, allons-nous dire, la consécration d’une collaboration qui a débuté quelques années auparavant, que l’on retrouve dans deux des albums de Kenny Garrett (Pushing The World Away et Seeds From The Underground). Dans WHO KILLED AI ?  qui paraîtra officiellement le 12 avril prochain chez Mack Avenue, Svoy est carrément partie prenante du projet, puisqu’il en assume la programmation, les voix et le piano, pendant que Kenny Garrett s’affaire aux sax (alto & soprano) et également à la voix.

Dans cette nouvelle sortie, l’auteur de Happy People (2002) ne perd ni son éloquence, ni sa dextérité ; mais se dresse en éclaireur, en phare et nous invite à une nouvelle disposition auditive, à une aventure qui nous sort du confort habituel, pour nous installer dans un nouvel apprentissage. Le jazz n’est-il pas ce perpétuel apprentissage qui requiert l’adaptation de tous les instants à toutes les situations ? Déjà inscrit dans la tradition de ces quelques rares musiciens explorateurs et innovateurs, WHO KILLED AI ? installe définitivement  Kenny Garrett dans le rôle de visionnaire, à l’instar de Miles Davis.