“TRANSCENDANCE” ou lorsque Ray Lema se découvre pour se dévoiler un peu plus, musicalement.

Il commence déjà à nous donner l’habitude, celle de l’attendre tous les deux ans ce depuis 2012, nous délivrer des témoins musicaux d’une pertinence et d’une luminosité certaines. Il y a eu  VSNP (Very Special New Production) et Headbug en quintet. Mais pourquoi diable ne s’est-il pas très souvent découvert, pour ainsi se dévoiler avec une telle maestria et nous offrir des pépites jouissives, comme l’album à paraître le 16 octobre prochain ? Un Ray Lema, comme rarement on l’a écouté, qui se lâche ! La pochette pose déjà le décor des notes. Des notes dépouillées de toutes autres contraintes que celles de l’exigence de beauté et d’efficacité.

Ray Lema nous donne accès à son intimité. C’est à croire que, la chemise tombée, le pianiste semble investi d’une certaine grâce, qui lui permet d’offrir à son public, le meilleur de lui. Faut-il voir en cette pochette, une coquetterie, une fantaisie ? Ce n’est pas le genre de la maison, plutôt connu pour son sérieux. Il répond donc liberté:

Transcender ses peurs, ses tabous et son ego et se livrer sans retenue à l’expérimentation de l’amour permet à l’humain de goûter sa liberté.

Oui, l’essentiel est à chercher ailleurs. Et de toutes les façons, peu nous importe donc l’étiquette sur la bouteille, tant que le breuvage nous satisfait, nous avons l’ivresse, la bonne. Le contenu de la pochette est enivrant. L’équipe désignée pour produire le contenu est affûtée, fait le service quasiment à la perfection.

Une ivresse qui nous plonge et fait voyager dans les entrailles des carnets de voyages de Ray Lema et pour cause : souvenez-vous que le garçon voyait le jour il y a 72 ans, non pas dans une maternité ou une maison, mais dans une gare (Loufototo) de son pays natal la RDC. Une naissance qui le prédestinait déjà aux voyages, à l’ouverture vers…Et si après tant de voyages effectués, surtout ceux dessinés de ses doigts et de son esprit, il a décidé de nous embarquer, sans filtre, alors suivons et écoutons le rhapsode.

Ray Lema©Tribune2lArtiste.com

 

De “TRANCENDANCE”, Ray Lema déclare entre autres :

 ce titre Transcendance, c’est venu avec l’âge. Brusquement, ayant dépassé 70 ans, je me suis dit, eh oooh, quand même ! Je suis en âge de décider ce que j’ai envie de faire. Il y aura personne qui viendra me dire que…Je veux simplement faire du Ray Lema. 

Il apparaît donc clairement que la transcendance dont il est question est avant tout : le privilège de l’âge, du vécu, de l’expérience; mais…A la condition de disposer des outils de ce privilège. En s’accordant la liberté de ses envies, Ray Lema rappelle un principe qui lui est cher et que l’écrivain nigérian Wole Soyinka a résumé par cette formule lapidaire: “Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la dévore.”. L’album ouvrant par le titre éponyme Transcendance, sur un rythme afrobeat dont Fela Anikulapo Kuti, chantre de la liberté et ami du pianiste, est l’inventeur; il faut y voir toute la dimension combative. Car n’oublions pas, la liberté, c’est d’abord un combat contre soi et ensuite contre les autres obstacles.

On ne peut pas s’empêcher, à l’écoute de  TRANSCENDANCE  le lumineux  musical que  délivre Ray Lema, de penser et d’évoquer HEADBUG, l’autre éclair de génie sorti 2 ans auparavant et voir une filiation toute indiquée. Nombreux sont les éléments qui l’attestent. Et ce qui a été (l’esprit) dans la conception, le mode opératoire de Headbug, le reste également pour ce nouvel opus. Véritable album de groupe avec des partitions ciblées pour laisser exprimer chaque élément, le tout dans une parfaite symbiose.

Quelques modifications dans la line-up, mais on prend presque les mêmes et puis on recommence : Ray Lema : piano & voix ; Michel Alibo : basse & contrebasse; Nicolas Viccaro : batterie, Irving Acao : sax ténor, Sylvain Gontard : trompette, Rodrigo Viana : guitares et des invités de charme : Fredy Massamba : flûtes pygmées et Jocelyn Mienniel : flûtes traversière et piccolo. Si la basse connaît un changement de personne, il faut noter que le groove, l’efficacité, l’élégance et la virtuosité restent intacts et prennent même encore du galon. Une saine concurrence entre deux mastodontes qui se challengent pour la bonification du produit dont ils ont la charge.

Que dispose donc TRANSCENDANCE dans son contenu. Une introduction si bien soutenue dès le premier titre, par les “voix” de Irving Acao, Nicolas Viccaro et surtout du stratosphérique Michel Alibo à la basse, suscitait pour seule crainte, que la suite se montre moins entraînante. Fausse alerte! Erreur, c’est plutôt une montée en puissance et en règle à laquelle on assiste avec la seconde piste  Zoukissa. Elle va plutôt attiser le feu et montrer un Michel Alibo encore plus déroutant et fumant. Des Antilles à l’Afrique qui mieux que lui pour nous y emmener avec dextérité, élégance et précision. Parlons jargon, c’est une vraie tuerie !!! Ou lorsque le rhapsode Ray Lema décide de n’utiliser, pour conter le Congo dans Congo Rhapsody, pour seul instrument que son piano et se faire accompagner du sax ténor d’Irving Acao, de la trompette de Sylvain Gontard, polyrythmie et transe, on y entend presque les grondements de l’impétueux fleuve Congo ce, sous les coups de boutoirs d’une basse conquérante. Que dire de cette poésie jazzy au nom de Anouk, symbole d’une belle et longue amitié. TRANSCENDANCE s’écoute, se vit mieux, qu’il ne se laisse (ra)conter…Les mots sont faibles pour décrire le rendu.

Inclassable pour certains, musicien plutôt lisse pour d’autres. Mais, c’est ne pas bien connaitre Ray, que de lui coller ces étiquettes, lui dont les combats sont menés en toute finesse, commençant par l’approche qu’il a de son instrument, de la musique et de son enracinement indiscutable à ses origines. Ce qu’il rappelle, une fois de plus, avec la subtilité qu’on lui connait, dans TRANSCENDANCE. A sa manière, et comme le font aussi d’autres, Ray Lema montre la diversité de ce qu’est le jazz et, par son approche, toute l’africanité de cette musique. A ces critiques qui ont enfin décidé de l’accepter (attendait-il leur approbation et reconnaissance, pour faire du jazz ou sonner jazz ?) dans le sérail des jazzmen, certains allant même jusqu’à qualifier l’album Headbug de “Jazz hexagonal”, le concerné rappelle tout simplement :

Mon jazz à moi est teinté d’Afrique mais pas seulement, (…) je suis le réceptacle de tous ces sons, rythmes et mélodies que j’ai entendues, senties, assimilées et jouées 

Ce que cette sagesse africaine, à ce déni de l’évidence dont certains en ont fait le cheval de bataille, confirme par: “la vérité est comme les fesses, on est obligé de s’asseoir avec.”. 

A propos de métaphore, Friedrich Nietzsche dit : ” La métaphore n’est pas pour le vrai poète une figure de rhétorique, mais une image substituée qu’il place réellement devant ses yeux à la place d’une idée.”  En TRANSCENDANCE, voyons et entendons un album d’une grande richesse stylistique, qui porte une certaine métaphore et nécessite en effet, une transcendance certaine, pour en percer tous les mystères, et savourer ses nombreuses merveilles. MATONDO Nkewa Nkulu sommes-nous obligés de dire, pour ces instants de bonheur pur. N’ayez surtout aucune crainte, d’esquisser un pas de danse en transe, à laquelle invite parfois TRANSCENDANCE.

En écoute:”Zoukissa”