“Tiger Run”, un éclectisme intelligent qui porte la griffe de Sally Nyolo.
Le réveil du Cameroun musicalement triomphant. Celui qui, il y a encore quelques années, glanait des titres par la voix de ses valeurs sures, semble sonner. La voix de la qualité décidée, et à raison d’ailleurs,à se dresser comme un véritable obstacle sur la voie de la médiocrité dans laquelle, celle (voix) de l’improvisation terne voulait la conduire et l’assigner au bas de l’échelle. Comptant parmi les voix conquérantes, les valeurs refuges et sures de ce Cameroun musicalement et internationalement triomphant, Sally Nyolo court…et ne fait pas que courir. Elle s’affirme, que dire, se réaffirme non pas en proclamant, mais en asphyxiant ce virus ambiant de la médiocrité et de la luxure qui trop souvent est propagé, pour nous proposer quelque chose de digeste, de musical. Oui, un bikutsi, mais son bikutsi, d’une classe certaine, de qualité.
Trois ans après La Nuit à Fébé, la lauréate du Prix RFI Découvertes en 1997 remet une couche…et pas des moindres. Un septième (excusez du peu !) album, au titre de Tiger Run, sorti le 29 septembre dernier sous le label Riverboat Records. C’est dire combien, quantitativement, Sally Nyolo est prolifique*. Et son foisonnement, toujours frappé du sceau de l’exigence qualitative.
Tiger Run, un album que nous devons au Mvet ; mais surtout à la générosité d’un homme qui volontairement a fait le choix de fermer les yeux, et se laisser arracher cet instrument par une femme qui, également, a eu le courage de franchir le pas en bravant l’interdit. La légende attribuant l’usage de cet instrument uniquement à la gente masculine. C’est dire d’emblée que Tiger run est une affaire de courage. Courage que procure l’instrument selon la légende, courage qu’il a fallu à Sally Nyolo pour l’arracher des mains de cet homme, l’apprivoiser et réussir à sortir du confort des sentiers battus pour aller chercher d’autres sonorités qui enrichissent et donnent un autre éclat à cette peinture musicale de 10 tons.
Dans Tiger Run, « mó ngone metame mezeï »* nous installe devant un panorama de sonorités. De nouvelles sonorités qui pouvaient sonner comme un reniement de soi. Que nenni ! Mais résonnent plutôt comme une intelligente prise de risque. Une bonne dose d’audace qui renseigne aussi sur l’état d’esprit de l’artiste et qui rend un tableau avec coloration à la fois nouvelle et familière. Ce que l’on perçoit dans le titre Medjok, où le saxophone est assez présent aux cotés de la kora. Dans la vie courante, franchir le sommet du Kilimanjaro nécessite toujours des précautions, de la préparation, de l’effort, de la minutie. Les caciques de la Sally Nyolo avant Tigar Run, peuvent se rassurer, on retrouve dans cet album, ce qui fait sa marque, c’est-à-dire, tout ce qui a favorisé la constitution de son patrimoine musical. Elle annonce aussitôt la couleur dès la première chanson (Bidjegui).
Toute la subtilité et l’intelligence de Sally Nyolo dans cet album a consisté dans le fait d’avoir su, en un titre (Kilimandjaro piste 9), résumer toute l’essence et la quintessence de ce merveilleux album tant dans les thèmes abordés que dans le choix de l’instrumentation. Que ce soit en Eton sa langue maternelle pour chanter son bikutsi (elle qui dit ne plus se retrouver dans le mot Bikutsi, tellement, le rythme a été galvaudé ) ou en d’autres langues pour embrasser une autre rythmique, Tiger Run nous dévoile une Sally Nyolo qui a su tirer partie de toutes ses expériences pour en extraire une substance plus colorée, plus savoureuse sans pour autant tourner le dos aux anciennes recettes. Dans Tiger run, on parle vraiment de musique, et de Bikutsi…et cet album lui rend toute sa magnificence.
La beauté, la magie et la puissance de Tiger Run résident dans ce savant dosage qu’a su faire l’artiste dans son élan vers de nouvelles sonorités tout en préservant son originalité. Une espèce d’éclectisme en douceur et en finesse. Dans son habileté et son imparable précision dans sa satirique dénonciation des maux qui minent la vie de la société, tel ce monde qui n’est plus aussi Welcome (piste 5) qu’il aurait dû être. Comme ce coup de patte sur la beuverie (Medjok, piste 8), devenue sport national dans son pays natal, le Cameroun. Tout en douceur mais avec une réelle efficacité. Du vrai art !
C’est parce que mó ngone metame mezeï sait d’où elle vient, qu’elle peut aussi se permettre de courir et d’aller, tout en nous y invitant, tenter l’ascension du kilimanjaro…Et c’est le défi qui est ici lancé au monde dans Tiger Run, pendant qu’un hommage est rendu aux anges de la musique dans Tiga (piste 10). Tigar run est, si besoin était, la preuve que Sally Nyolo est une artiste de grande dimension et que son bikutsi n’a nul besoin de luxure, pour s’affirmer sur le plan international. Encore plus que les autres albums de Sally Nyolo, Tiger Run sonne comme une retrouvaille, une reconciliation avec ce qui, pour un moment, nous avait injustement été arraché par des imposteurs en tous genres et qu’on a plaisir à se réapproprier. Un album d’une profonde intelligence et qui interpelle nos consciences.
*Début de carrière solo en 1997
*”fille des moustaches du tigre ”