Lionel Loueke réécrit Herbie Hancock ou lorsque LL va à la rencontre de HH.

Une fois que l’on a pris connaissance, de quoi il retourne dans “HH“, titre de l’album du guitariste Lionel Loueke paru chez Édition Records, il est certain que, beaucoup ont dû qualifier l’exercice de: osé, périlleux, risqué. De la même façon, à n’en pas douter, le jugement, le verdict pourraient s’avérer sévères, voire disproportionnés par rapport à l’enjeu. A tort ou à raison, mais il faut bien avouer qu’il s’agit ici, d’un exercice de très  haute funambulie au-dessus des chutes du ridicule en cas de perte d’équilibre. Il faut en avoir et en vouloir, pour tenter, pour oser l’exercice.

Il est communément dit et entendu ci et là, cette  phrase de Michel Audiard : “Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît.“. Si pas mise dans son contexte, elle se révèle une véritable ode au suivisme, une incitation au statu quo, excitant l’engouement de ceux pour qui, tout doit être pareil, pour ceux qui croient qu’on doit faire comme tout le monde…Un appel d’air à un uniformisme béat. Imaginons, si on s’en tenait à cette platitude, le monde n’aurait jamais connu toutes les merveilles produites par celles et ceux qui osent et nous ouvrent les portes de cet inconnu ignoré mais pourtant existant. Bien évidemment, à l’impossible nul n’est tenu, rappelle l’adage. Mais qui fixe l’impossibilité des choses, si ce n’est celui qui a eu le mérite, l’audace d’aller les explorer et conclure de leur impossibilité à être atteintes ou réalisées…

Dans le monde de la chanson, et on ne saurait mettre en doute la sincérité des uns et des autres par rapport à la reprise ou à la relecture d’un titre ou d’une œuvre complète d’un collègue. Ce n’est que la logique et l’objectif d’une œuvre. Mais à côté de cette sensibilité touchée, cet exercice est aussi utilisé par cette catégorie d’artistes musiciens, comme tremplin pour espérer s’attirer un peu de lumière, en prenant pour “muse” l’œuvre d’un plus connu que soi, afin de bénéficier par procuration une certaine aura et une certaine crédibilité.

Lionel Loueke (Crédit Photo_ Dave Stapleton)

C’est ici que Lionel Loueke vient faire toute la démonstration du contraire de ce qui est dit dans le paragraphe qui précède celui-ci. Il nous conforte dans l’idée que, entre grands, on est dans une approche qui consiste à aller plus loin dans la sublimation du beau, dans la recherche du détail ++ qui subjugue; loin des calculs de visibilité ou d’affirmation de soi. Car le guitariste béninois, l’un des meilleurs (sa carte de visite atteste de son importance et de son savoir-faire) n’a pas besoin d’une telle muse pour appartenir à la catégorie des musiciens racés. Il l’est depuis belle lurette. De la même façon, la muse qu’il a choisie de peindre n’a forcément pas besoin de ses riffs, pour être ou continuer d’être la référence. Et dans l’esprit des grands guitaristes d’Afrique dont le travail a mondialement été reconnu, il plaît ici de citer le guitariste, compositeur, jazzman  d’origine camerounaise, Charles Ewanjé Epée qui en 1982, a remporté le premier prix au Carrefour Mondial de la Guitare. De Charles Ewanjé Epée comme de Lionel Loueke, on n’est ni dans l’autoproclamation, ni dans l’autocongratulation ; seuls parlent les faits.

A 47 ans, Lionel Loueke s’est imposé et installé comme musicien majeur dans le gotha mondial, dont l’avis est pris en compte par ses pairs. Il est devenu une référence comme l’indiquent ses collaborations. Lorsqu’après tant d’années auprès de Herbie Hancock, il entreprend l’aventure somme toute périlleuse de relire et réécrire à sa façon les œuvres de ce dernier, on ne peut qu’y voir la preuve d’un musicien de caractère, la preuve d’un génie créateur. Nous sommes loin d’une parataxe musicale ou d’un psittacisme musical parfois servi lors des reprises des œuvres d’un tel…

Huitième album en tant que leader, “HH” est une exploration innovatrice dans l’univers de l’un des plus redoutables et déterminants caméléons de la musique. On est dans un univers propre au guitariste, dans lequel les 12 titres de Herbie Hancock sont joués pour nous enjouer tout en nous sortant des sentiers attendus. Dans les 14 titres de “HH” (dont 2 [Pistes 10 & 13] sont des compositions personnelles de Lionel Loueke), le natif de Cotonou crée un panneau singulier et original pour chacun, par des motifs qui rappellent à la fois Herbie Hancock tout en racontant ceux du guitariste. Un vrai travail d’esthète, qui pourrait à la fois séduire et/ou désarçonner.  Une revisitation qui s’éloigne du prévisible…One Finger Snap, Hang Up your Hang Ups et autres Watermelon Man ou Canteloupe Island en sont les témoignages édifiants.

Par cette réécriture, Lionel Loueke nous ouvre les portes des frontières, nous offre une autre perspective d’écoute et de vue d’un Herbie Hancock, que nous ignorions. Une perspective que ce dernier lui-même devait ignorer et se plaît à découvrir, parce que conçue par l’intelligence et les doigts d’un guitariste de génie, qui ne cesse de nous surprendre à chacune de ses sorties, et dont la voix fait aujourd’hui autorité dans le monde du jazz. Un album qui sonne comme un rendez-vous musical avec un inattendu lumineux.