Quand Ray Lema s’attaque à Franco Luambo, on entre OK on en sort KO.

Avec Pierre Akendengué, Sam Mangwana, Ray Lema fait aujourd’hui figure de doyen des artistes-musiciens africains ; bénéficiant en plus, d’une aura un peu plus planétaire. Ce qui implique une responsabilité, celle d’éclairer, de guider, de transmettre. Casquette qu’il devra forcément arborer, avec le départ de son ami Manu Dibango au mois de mars dernier. De toutes les manières, on n’échappe pas à son destin. Et la nature ne s’y est pas trompée non plus ; car le cordon ombilical qui entourait (Nzinga) l’enfant Raymond à sa naissance, n’en a-t-il pas fait la lumière du monde comme l’indique Lema A’nsi (lumière du monde) son nom : Raymond Lema A’nsi Nzinga alias Ray Lema.

Parlant de son ami et aîné, Ray Lema disait le 24 mars dernier : “Les mots me manquent pour exprimer ma profonde tristesse et ma profonde douleur. Toutes mes condoléances à sa famille. Va en paix mon Grand.“. Un adage enseignerait, dit-on, que les grandes douleurs sont muettes. Une douleur qui cloître et paralyse Ray Lema, qui l’a sûrement mis KO, rendant sa parole encore un peu plus rare. Reléguant par la même occasion, dans l’ordre du subsidiaire,  le kif qu’il a savamment concocté à Kinshasa, et dont la sortie est prévue pour le 19 juin prochain. Pourtant, il va falloir récupérer le bâton de pèlerin, s’installer sur le trône et continuer le travail…en digne confident, héritier et successeur de papa groove.

D’un KO à l’autre, c’est celui dans lequel, le public de Kinshasa, dans le cadre du Jazzkif-Kinshasa, a été mis lors du passage du pianiste, dans son pays natal. Une performance qu’il a tenu à  partager avec nous et dont le thème principal porte sur Franco Luambo (déformation de Louhambo). Cet enfant de Tétéla par son père et Bakongo par sa mère, fin connaisseur de sa société, à la curiosité (perspicacité) bien aiguisée et au verbe très haut perché. A l’image du bâton et de la carotte, avec une forme d’espièglerie, il a su exposer certaines tares de sa société, sans faire de bobos. Ce que Ray Lema a symboliquement su relever en reprenant magistralement Luvumbi Ndoki

Ray Lima & Musiciens en RDC/©Thomas Freteur

Les premières notes, celles de la guitare de Rodriguez VANGUAMA, dans «Luvumbi Ndoki», décrivent l’ambiance et situent le décor. C’est une ambiance que seuls connaissent, ceux qui ont au moins une fois, foulé le sol de Kinshasa et expérimenté sa musicalité, ses lives, la ferveur de son public d’une part. De l’autre, donne l’orientation de l’approche de la réécriture et relecture de partie de l’œuvre de Franco Luambo, à laquelle s’attelle Ray Lema dans cet opus.

Une reprise est toujours soumise à l’inévitable et parfois cruelle interrogation suivante : Qu’apporte-t-elle de nouveau ? Quelle est la plus-value de celle-ci ? Nous allons droit à la réponse. On n’est pas ici en présence d’un produit «réchauffé» ou d’un détournement pour faire du neuf. L’agrégat musical apporté par Ray dans cet album et qui en fait une réelle curiosité, qui apporte une plus-value,  réside dans la qualité et l’enrichissement des orchestrations. Un apport qui, sans dénaturer l’œuvre originelle, la propulse directement du bien au sublime.

L’indolence qui parfois, habite le questionnement tel qu’exposé au précédent paragraphe est piquée au vif, par la belle et intelligente insolence adoptée par Ray pour offrir du Franco LUAMBO dans un contexte aussi particulier qu’enregistrer un live. Et ce n’est sûrement pas ce dernier qui aurait qualifié l’auteur de celle-ci de: “O zalakanayo très impoli“. Mais n’est-ce pas aussi au pied du mur, que l’on reconnaît également l’efficacité d’un maçon !? Le loisir que l’on s’offre en écoutant minutieusement l’album, à y déceler des pépites doctement glissées,  procure un immense plaisir qui ne découle plus seulement de la découverte ou pas de Franco; mais plus exactement de l’intelligence de Ray Lema d’avoir su y apporter ses ingrédients, sans dénaturer la quintessence. Le jeu léché au piano accompagne tout le voyage avec beaucoup de discrétion mais d’une redoutable efficacité. Ce que l’on observe dès l’entame de « Ebale Ya Zaïre », avant l’entrée en lice du phénoménal Irving ACAO, le tout, sous les jets de feu d’un Michel ALIBO dévastateur.

Ray Lema / ©Tribune2lArtiste

Sans chercher à vouloir en mettre plein l’ouïe, encore moins la vue, on y découvre un Ray Lema faisant voyager Franco Luambo dans divers registres, dans le strict respect de la colonne vertébrale de l’œuvre fondatrice. Des accents jazzy que l’on  savoure dans “Liberté” ou “Kinsiona” en passant par une version enrichie et éthérée de l’incontournable “Mario“, la subtilité de l’orchestration par la précision du dosage des cuivres et de l’assise rythmique confère à cet album, toute sa splendeur. Et pour ces éléments, le pianiste a, comme à son habitude, su compter et s’appuyer sur ses pièces maîtresses Irving ACAO & Michel ALIBO entre autres qui se sont donnés à son joie, avec des rendus époustouflants. Dans la fine équipe de l’album donc du concert :Ray Lema (claviers et chant), Ballou Canta (chant), Fredy Massamba (chant), Michel Alibo (basse), Rodriguez Vanguama (guitare), Dharil Esso (batterie), Irving Acao (sax tenor), Gérald Bantsimba (May’s)(trompette), Bives Mbeki (trombone).

Comme il l’admet lui-même, l’œuvre de Franco Luambo n’a pas besoin d’un quelconque toilettage pour qu’elle continue d’illuminer, d’inspirer. Mais il faut tout de même avouer que, si elle veut continuer à jouer le rôle de phare, cette cure de dépoussiérage lui rend complètement sa profonde signification, pour les générations futures ; pendant qu’elle ravive joyeusement le souvenir des générations passées. Et ce n’est nullement minorer la grandeur de celle-ci, ni faire offense à son auteur, que d’affirmer qu’à partir de la lecture qu’en fait Ray Lema, il la fait rentrer davantage dans la postérité par cette nécessaire fraîcheur.

De même qu’on n’aurait pas choisi meilleure tribune pour célébrer Franco, comme l’a fait Ray en privilégiant le festival JazzKif pour un hommage ; de même la rumba zaïroise par cette révisitation retrouve un éclat, un rayon de soleil, comme on en a que très rarement  entendu ces derniers temps. Une fois de plus, l’infatigable fouineur Ray Lema a vu juste, assénant un uppercut de qualité à nos habitudes. Dans cet album, on entre OK, on en sort joyeusement KO. Loin de prendre le contre-pied de la doctrine du TP OK Jazz, c’est  tout le côté jazz de Franco Luambo qui est mis ici en évidence, tout en enracinant la rumba dans son terroir. La justesse et l’efficacité de Ray Lema, ont fait leurs preuves, s’il en était besoin.

Ne soyons donc pas ndoki (têtu et/ou sourd) à l’appel de Ray Lema dans cet hommage à Franco Luambo, de peur de devenir ndoki (sorcier) comme l’était le fameux Luvumbi qui a failli perdre sa vie près du pimentier, par éternuements.

“Ebale Ya Zaïre”

Un commentaire sur “Quand Ray Lema s’attaque à Franco Luambo, on entre OK on en sort KO.

Les commentaires sont fermés.