Manu Dibango: ’’ C’est parce que mon téléphone continue de sonner que… ’’
Il est de bon ton de toujours accolé l’adjectif « grand » à côté de son nom pour dire et exprimer toute la science de l’art musical qu’il possède. Mais, n’est-ce pas là un énorme pléonasme que nous faisons et qui trahit l’admiration sincère des uns et parfois un mimétisme hélas hypocrite chez les autres. Une chose est acquise et sure, Manu Dibango, puisqu’il s’agit de lui, est vraiment un personnage qui ne laisse indifférent notre regard, notre propos…Il est tout simplement un artiste et aussi finalement ce ’’grand’’ que nous aimons chacun pour ses raisons parce que c’est Manu Dibango. En termes de grand, la nature elle-même s’était déjà chargée de définir sa silhouette.
En allant au Radisson Edwardian hôtel, rencontrer une fois de plus l’homme que pourtant je côtoie (de façon sporadique) depuis des années et de manière assidue lorsque performait à ses côtés le bassiste Noël Ekwabi, je me posais la question de savoir : Mais qu’est-ce qui m’attire tant chez Manu Dibango au-delà de sa musique dont je suis fan inconditionnel?
Débarrassé de ce préalable de fan et surtout des aprioris ( Congossa) comme il qualifie les gloses à son sujet, j’ai compris et été conforté dans l’idée que Manu Dibango n’est donc pas ’’grand’’ du seul fait de sa musique, pas grand du seul fait de sa connaissance de cet art, encore moins du fait de sa connaissance des codes de ce métier ô combien fragile et à la fois passionnant. Oui, il y a en ce Monsieur, qui en passant est une excellente mémoire pour l’histoire de la musique et du Cameroun son pays, quelque chose de plus profond que je résume par : Générosité et Humilité.
Peu de ’’vedettes’’, qui pourtant exigent de lui ce qu’ils sont incapables de donner aux autres, ont la générosité de cet artiste né. Et pour les fans et les gens autour de lui (ponctuellement ou non) sa disponibilité est avérée et franche. Hier encore ne m’avouait-il pas dans les backstages après une prestation pleine de maestria que : ’’ Je suis toujours triste de laisser les potes ici, pour aller serrer les mains des fans…Mais c’est cela aussi mon métier et je dois m’y plier ’’.
Une générosité qu’il témoignait encore hier dans la journée, à Muntu Valdo qui se produisait au Trafalgar Square à Londres par sa présence; m’annonçant la veille : ’’ Il faut que j’aille le voir jouer demain, pour l’encourager’’. Promesse tenue malgré un programme chargé et qu’il conclue par, à l’endroit de Muntu Valdo à la question de Charles Jengou Lottin, journaliste à Londres ’’… dis au fiston s’il te plaît que je suis passé, mais je ne pouvais rester longtemps, mais je voulais qu’il sache que je suis avec lui ’’.
A la question que je lui pose :’’ qu’est ce qui fait donc ta longévité sur la scène musicale mondiale ? ’’, Une réponse laconique et apriori triviale qu’il accompagne avec son rire légendaire et combien significatif. Si l’homme est par nature quelqu’un de chaleureux et très joyeux, il sait également se servir de son rire pour se protéger ou contre-attaquer. ’’ C’est parce que mon téléphone continue de sonner…rires (…..) ’’. Lorsque je renchéris, mais ’’qu’est-ce qui fait qu’il continue de sonner alors ? Un comportement, une attitude ? ’’. Une fois de plus, l’homme procède par circonlocution, exercice qu’il affectionne donner à ses interrogateurs, mais surtout à ceux et celles qui ont choisi ce métier, il insiste par un geste de ses mains pour dire c’est un ensemble et puis de reprendre avec ce sourire qui ne le quitte pas à cet instant précis: ’’ Je t’ai dit que c’est parce que mon téléphone sonne…S’il ne sonne plus, je dois me poser des questions ….’’ Vous l’aurez compris, Manu Dibango se pose les questions d’un artiste et non d’une vedette. Car selon le saxophoniste, dans le métier, il y a bien ceux qui sont des artistes et dont les questions sont essentiellement différentes de celles que se posent les vedettes.
Dirigeant d’une des plus prolifiques écuries musicales (Soul Makossa Gang) qui a mis sur orbite plusieurs grands instrumentistes camerounais et d’ailleurs, plusieurs voix camerounaises et d’ailleurs, qui lui doivent également en partie leur renommée internationale, preuve de son aide et de sa générosité à l’endroit de ses compatriotes, l’homme est néanmoins victime des procès en sorcellerie. Ce que relayait Charles Jengou Lottin en ces termes : ’’ Que penses-tu, lorsqu’on dit que tu n’aides pas les tiens …..Toi qui a au moins plus de 30 personnes autour de toi ? ’’. Surpris par cette question dont il n’ignore aucunement la nature, il cite les noms des grands instrumentistes passés chez lui et rajoute par une boutade :’’ On n’aide finalement que ceux et celles qui veulent bien être aidés….’’
Il est vrai que l’ingratitude est une plante qui, comme nulle part ailleurs, se cultive et fleurit bien au Cameroun. En qualité de quoi exige-t-on de lui ce que nous sommes incapables de faire? Pourquoi Manu Dibango devrait-il forcément aider si ce qu’il fait déjà n’est reconnu et apprécié à sa juste valeur ? Et si nous nous posions la question de savoir : Mais qu’est ce que j’ai fait moi pour Manu Dibango en lieu et place de qu’est ce que Manu a fait pour moi ?
Nous publierons l’intégral de notre conversation combien chaleureuse, instructive d’un artiste qui a compris les codes et règles du métier qu’il a choisi de faire parce que, dit-il :’’ Je ne le fais pas pour la reconnaissance, même si grâce à lui, j’ai des médailles et la reconnaissance de mon pays….’’. Un homme d’une grande gentillesse et courtoisie certaine, mais aussi très professionnel dans l’approche de son travail.