Koko Ateba “Ne suis-je pas assez typique de… “
Longtemps, cette question a taraudé les esprits des spectateurs et surtout de certains acteurs culturels au Cameroun, en rapport aux événements organisés sous le label des institutions nationales. Les dernières manifestations organisées par ces dernières ont renforcé l’acuité avec laquelle cette question retentit ; allant même jusqu’à jeter un soupçon sur la neutralité des instances dirigeantes ce, à l’aune des événements culturels sous leur patronage. Le soupçon d’un fonctionnement entre copains, de clientéliste fait son chemin et commence à exacerber d’une certaine façon. Même si les langues ne veulent officiellement pas se délier, cette rumeur se fait grossissante et persistante.
C’est finalement sur le réseau social Facebook que certaines indications se font jour, comme cette remarque de la musicienne Koko Atéba, réagissant à sa énième non invitation à un événement organisé par une institution de son pays, mais surtout sur les critères de sélection ou de non sélection d’un tel ou d’une telle.
« Au fait quelqu’un peut il me dire pourquoi je ne suis jamais invitée dans ce genre de truc?La soirée du tourisme et du potentiel de notre pays…je ne suis pas assez typique d’une région? Çaaaaaaaa! », s’interrogeait celle qui dans les années 80, a insufflé un nouveau souffle à la musique camerounaise par son talent, son énergie.
Et d’enfoncer le clou par une phrase qui met en évidence la réalité des accointances par cette formule : «La magouille, les potes appellent les potes dans le gombo…et ainsi de suite, jusqu’à la fin du monde!»
Certes tenus dans le cadre du média social Facebook, ces propos ont le mérite d’aller droit au but et d’interpeler la communauté artistico-musicale camerounaise et ses institutionnels. Des propos qui traduisent le désabusement, le désenchantement dans lesquels, de nombreux artistes camerounais se trouvent et que Koko Atéba exprime clairement. Un désabusement, conséquence d’un fonctionnement clanique, clientéliste au sein de ces institutions ?
Dans tous les cas, l’interrogative dénonciation de Koko Atéba, tranche avec une certaine flagornerie et hypocrisie ambiantes de certains de ses collègues. Une attitude qui trouve l’appui, dans la même discussion, de Roméo Dika qui en ses termes, soutient sa consœur: «(…) Je crois arriver le moment et l’heure de ne plus se taire, de ne plus laisser les médiocres prendre le pas sur les compétents. il faut faire bouger les choses et seuls les courageux l’emporteront. d’ailleurs quand tu es déjà mort, le cadavre n’a plus peur de sentir ».
La clarté, la concision et la précision des propos de Koko Atéba ne trompent point, et ce propos est également loin d’être l’expression esseulée et isolée d’une artiste dans la peine….Non ! Il traduit plutôt le ressenti de plusieurs acteurs culturels de notre pays, mis au ban par des choix et/ou des options dont la logique reste toujours difficile à cerner et qui pour certains, n’ayant peut-être pas encore le privilège du moment et de l’heure comme Roméo Dika, ne peuvent se permettre de le dire en haute et intelligible voix. Ou alors, favorisant l’équation de la mangeoire, préfèrent ne pas dire haut et fort, ce qu’ils avouent derrière, telle est la position des courageux de l’ombre.
A croire ces voix de l’ombre dont Koko Atéba malgré elle se fait l’écho, le ministère de la culture du Cameroun, depuis quelques années, aurait érigé la camaraderie ou le clientélisme comme mode de fonctionnement en lieu et place de la cohésion, du rassemblement pourquoi pas, de la méritocratie. Et les éléments pour étayer ce constat seraient légions. Même si on pourrait considérer que le vécu de certains artistes fonde la légitimité de cette accusation, qu’elle porterait une part de vérité si minime soit-elle; il est important de rappeler que l’expression est libre au Cameroun et qu’il serait temps que les artistes dits lésés, sortent de la glose pour exposer clairement leurs griefs, car leurs problèmes ne seront résolus que par un dialogue franc, ouvert et sincère. La culture est l’affaire de tous et encore plus celle des acteurs et actrices, celles et ceux qui la font vivre qui, à notre avis, sont les mieux à mêmes d’expliquer aux autorités la réalité des faits, comme certains d’entre eux le font.
Remémorons-nous encore cette sortie osée (mais injustifiée?) de Lady Ponce qui, dans ses propos, dénonçait sans fards l’actuelle ministre de la culture et ses méthodes; égratignant au passage la Socam, chargée de la distribution des droits pécuniaires des artistes et dont la gestion et l’amateurisme sont un modèle dans le genre et tout aussi décriés par presque la majorité des artistes. Pour rappel, voilà ce qu’affirmait Lady Ponce:
«Ça ne va pas. La Ministre… je suis désolé, je n’ai jamais dit du mal de quelqu’un mais c’est une femme qui ne respecte pas les artistes, pas du tout ! Pour que cette dame te respecte, il faut vivre en Europe, elle a un complexe qui n’est pas normal d’une personnalité qui doit gérer la culture camerounaise.
Moi j’ai été humiliée pendant le cinquantenaire: il a été convenu que l’on me paie un cachet, on me demande de faire une requête pour expliquer pourquoi on doit me verser ce cachet-là. On me demande d’y mettre des conneries comme quoi on a dû me payer un billet d’avion. Je leur ai demandé « mais vous êtes malade que vous me payez combien ? Vous faites venir d’autres artistes à qui vous payez 3 millions voire 5 millions» alors que je suis plus populaire qu’eux. J’ai tout au moins autant de mérite. Si on ne reconnaît pas ma valeur au Cameroun, qui viendra reconnaitre ma valeur ?
D’ailleurs, je m’en fous, le Cinquantenaire ce n’est pas pour la Ministre, c’est pour tous les Camerounais et quand la Ministre de la Culture se lève pour faire un cinquantenaire, elle doit payer chaque artiste à sa juste valeur.
Ils ont pris une sale habitude pour influencer, ils vous disent: «c’est le Chef de l’État» ou encore «c’est la Première Dame». Je leur ai dit dernièrement : « arrêtez de salir le nom de ce monsieur, arrêtez le nom de cette dame ». Pour organiser un Cinquantenaire, un budget a été voté pour mettre chaque artiste à l’aise.
Le Ministère de la Culture ne fait rien pour les artistes. Et c’est pareil pour les droits d’auteur. La Maison JPS à produit mes CD avec le timbre de la SOCAM et j’ai déjà fait deux demandes pour mes droits mécaniques je n’ai jamais rien reçu jusqu’à ce jour, même pas une réponse. Quand vous me parlez des droits d’auteur au Cameroun, comment pouvez-vous mettre quelqu’un qui ne connait rien du droit d’auteur. On est à la SOCAM tout simplement parce que c’est là-bas que se retrouvent nos dossiers aujourd’hui, on est obligé et vous savez comment ça se passe dans notre pays.
Si la SOCAM existe aujourd’hui, c’est à cause de notre stupidité, nous les artistes. Si les artistes étaient restés fermes qu’on ne dissout pas la CMC, elle n’allait jamais fermer. Moi j’ai eu la chance de sortir mon premier album du temps de la CMC et je peux vous rassurer qu’après trois mois, j’ai eu mon petit bout de pain là-bas. Et là nous sommes à quasi sept mois pour mon dernier album, je n’ai toujours rien reçu. »
Un discours qui tranche avec les palinodies auxquelles certains artistes nous ont habituées. Lesquelles palinodies de nos acteurs/actrices sont de nature à favoriser la dégradation de la chose culturelle, qu’ils décrivent pourtant derrière.
Car Lady Ponce est loin d’être la seule à avoir des griefs à l’endroit des autorités culturelles camerounaises ou de la Socam. Mais, peu ont le courage, et le souci de la clarté pour dire haut ce qu’ils pensent presque tous dans leur majorité. Si les artistes relevant de la Socam se montrent souvent plus véhéments à l’endroit des dirigeants de la société de gestion de leurs droits, ils font montre d’une pusillanime et suspecte prudence dès lors qu’il s’agit d’avoir un discours critiquant les méthodes du ministre de la culture. Non pas qu’ils aient un respect pour son travail, si on s’en tient aux commentaires des uns et des autres; mais parce que ce mode de fonctionnement qu’ils « décrient » par derrière, par mimétisme, les nourrit d’une certaine façon et ils ne le dénoncent que lorsqu’il se détourne d’eux.
Mais recentrons notre propos sur la question centrale, celle posée par Koko Ateba : « Au fait quelqu’un peut il me dire pourquoi je ne suis jamais invitée dans ce genre de truc?La soirée du tourisme et du potentiel de notre pays…je ne suis pas assez typique d’une région?»
En d’autres termes, quels sont les critères retenus par les autorités camerounaises lorsqu’elles invitent les artistes-musiciens pour que ce soient toujours les mêmes qui soient éligibles et élus ? Certes c’est le ministère du tourisme qui cette fois est hôte ; mais le fonctionnement ou les critères ne semblent pas déroger au format appliqué d’habitude. On a vu lors des cérémonies du cinquantenaire, ceux et celles dont l’apport dans la musique camerounaise ne souffre d’aucune contestation, écartés sous des motifs qui, disions-nous, restent toujours de grandes énigmes. D’aucun allant même jusqu’à qualifier ce filtrage sans critères objectifs de pratiques institutionnalisées au sein de la famille culturelle.
C’est ainsi que l’on peut entendre que les proximités d’enfance, le voisinage, les relations entre parents etc, une camaraderie proche ou lointaine etc… seraient parmi les critères de sélection des artistes pour des événementiels sous le patronage des institutions culturelles ou autres au Cameroun. Bref, il faut être dans les bonnes pages des carnets de notes ou d’adresses pour bénéficier de leur mansuétude.
Koko Atéba, sans lier ses propos à ce qui seraient les critères sus-cités, pose réellement le problème en terme d’attente que les acteurs culturels d’un pays comme le Cameroun sont en droit d’espérer de leur pays à un moment donné, ainsi parle-t-elle: « mais nous parlions ici de la reconnaissance qu’on est droit d’espérer de son pays, à un moment… » et dont les solutions sont malheureusement mal données, car, rajoute-t-elle : « (…) et pire encore, de cette impression quand même que des gens “travaillent” à me boycotter” tranquillement et surtout méthodiquement ».
Si nous ne pouvons garantir de la théorie du complot ainsi développée par l’artiste, encore moins des critères qui régissent les choix tels que nous les entendons ci et là, on est en droit d’admettre qu’elle doit surement savoir de quoi elle parle.
La question reste donc ouverte : les solutions apportées aux problèmes que pose le fonctionnement des instances culturelles chez nous, satisfont-elles les artistes ? Sont-elles de nature à garantir l’essor d’une culture fédératrice, généreuse et génératrice d’engouement. En d’autres termes, le clientélisme, la camaraderie au sein des institutions culturelles camerounaises sont-elles des mythes ou des réalités ?