“Sounds From The Ancestors”, Kenny Garrett explore les sources.

Laissons parler l’auteur pour une introduction claire, précise et une meilleure compréhension de son œuvre intitulée Sounds From The Ancestors, à paraître officiellement le 27 août 2021 sous le label Mack Avenue. Ainsi Kenny Garrett :

 The concept initially was about trying to get some of the musical sounds that I remembered as a kid growing up – sounds that lift your spirit from people like John Coltrane, ‘A Love Supreme’; Aretha Franklin, ‘Amazing Grace’; Marvin Gaye, ‘What’s Going On’; and the spiritual side of the church. (…). When I started to think about them, I realized it was the spirit from my ancestors.

Kenny Garrett

Il y a eu Do Your Dance, quatrième album sous le label Mack Avenue Records, invitation à l’enjaillement, dans lequel Kenny Garrett, fort de sa maîtrise de la nuance et de son sens aiguisé du groove, peignait un paysage musical d’inspiration caribéenne, dans lequel baigneront différents styles. Puis, plus rien. Pourtant la tendance observée avec ledit label, d’un album à un autre, on ne débordait pas 4 années. Le 27 août prochain, les fans et mélomanes avertis, pourront pousser un ouf de satisfaction. Car par un jeu de réminiscence, le saxophoniste a su capter la subtilité et le suc des souvenirs pour ainsi délivrer un produit qui porte le cachet de l’audace.

Sounds From The Ancestors, ou le périple d’un explorateur aux sources de son inspiration. Rappelant l’importance et le rôle de ses sonorités dans le jazz, le gospel, dans le hip hop et, dans la très renommée Motown, cet album est un hommage à cette Afrique présente partout dans le monde, telle que le saxophoniste perçoit ses vibrations par-devers ses propres expériences.

Album à facettes multiples, qui se sert du jazz comme encre pour écrire d’autres idiomes musicaux. Ce qui en soit n’est plus une surprise, pour quiconque piste celui qui, très tôt, a côtoyé Miles Davis chez qui la transgression musicale était un art. Ne démentant pas pour une note son fort ancrage à son Détroit natal ; toutefois l’artiste exprime avec acuité mais aussi doigté, son cosmopolitisme musical par ses pioches aussi bien en France, Cuba, Nigeria que la Guadeloupe.

Posons le décor, l’environnement humain présent dans cet opus. Comme l’enseigne le dicton, on ne change pas l’équipe qui gagne. L’aréopage de musiciens autour de Kenny est composé de ses fidèles compagnons avec lesquels il a tourné ces derniers temps, dont l’inamovible percussionniste Rudy Bird. On y rencontre le pianiste Vernell Brown Jr, le bassiste Corcoran Holt, le batteur Ronald Bruner. A cet effectif se greffent en invités de marque, le batteur Lenny White, le pianiste et organiste Johnny Mercier, le trompettiste Maurice Brown, le conguero Pedrito Martinez, le percussionniste batá Dreiser Durruthy et les chanteurs Dwight Trible, Jean Baylor, Linny Smith, Chris Ashley Anthony et Sheherazade Holman. Ce sont 8 pistes pour 64min et 40sec d’évasion dans le beau sonore par des musiciens à très haute compétence.

Kenny Garrett by Hollis King

Nous disions plus haut, que l’album est sous le sceau de l’audace. Celle que s’est octroyée le saxophoniste en sortant de sa zone de confort, pour de joyeuses infidélités. On va dire pour d’agréables et savoureux flirts. C’est ainsi qu’il se montrera à la fois, aussi bien sax alto, pianiste que chanteur. Ainsi avons-nous un Kenny Garrett au saxophone alto sur toutes les pistes, chanteur sur la piste 2 (Hargrove), au piano électrique sur les pistes 2, 3, 4, 6 (When the Days Were Different, For Art’s Sake, Soldiers of the Fields / Soldats des Champs) et piano en intro/outro (Sounds from the Ancestors)

L’esprit de l’album est détectable dès la première chanson “It’s time to come home“. Chanson composée en 2019 et reflet de son expérience avec le pianiste et compositeur cubain, l’emblématique et légende Chucho Valdés. En plus de cette africanité cubaine, la chanson va puiser dans ses racines profondes africaines par les ponctuations vocales en Yoruba de Jean Baylor et de Dreiser Durruthy, ce dernier étant également au Batá (Tambour sacré dans la religion Yoruba au Nigeria, et la Santería à Cuba).

Du jazz moderne afro-cubain pour  la verve harmonique et interactive complexe du hard-bop avec les grooves R&B hypnotiques et hip- hop rebond, il n y a qu’un pas à franchir. Hommage rendu dans cette seconde piste (Hargrove) à Roy Hargrove. Si on y décèle des accents à la Trane (John Coltrane), elle est un savant mix entre la virtuosité du saxophoniste et la spiritualité que l’on peut également trouver dans la musique du trompettiste disparu le 02 novembre 2018.

Comment ne pas céder, ne pas succomber au charme de When the Days Were different qui, héritage de ces chants des églises noires, à plusieurs égards rappelle également le fameux titre éponyme Happy People (Sortie 2002). Kenny Garrett se lâche, se délecte, s’amuse ; on le sent heureux. A travers la chanson, on le voit prendre du plaisir sur scène, comme ce soir du 7 février 2015, au Tournai Jazz Festival, dans un finish d’anthologie, ayant mis le public sous sa botte, ce dernier force les organisateurs à laisser le saxophoniste dérouler quasiment 45 minutes de plus par rapport au temps qui lui était imparti. Ce sont également les douceurs des voix de Linny Smith, Chris Ashley Anthony et Sheherazade Holman qui nous transportent. Un vrai moment de communion comme l’exigeait le gospel. D’ailleurs Kenny explique une fois de plus: “Cette chanson me donne la sensation d’être à une réunion avec la famille et les amis, de passer un bon moment à manger, à boire et à prendre du bon temps ensemble.”

La quatrième piste (For Art’s Sake) qui n’est autre qu’un hommage à deux inventeurs qu’étaient Art Blakey et Tony Allen, dans laquelle Ronald Bruner domine et survole largement son sujet en conciliant majestueusement afrobeat et moderne jazz. Un jeu d’une finesse percutante, auquel Rudy Bird prend part avec beaucoup de dextérité. On n’en finirait pas, s’il faut rentrer dans les détails de chaque piste, des huit que compte la nouvelle enluminure de Kenny Garrett. Mais nous saurons ne pas évoquer Soldiers of the Fields/Soldats des Champs,  piste 6 de l’album. On peut lire dans cette piste, la conscience historique du saxophoniste, pour ne pas dire son militantisme. Comme il explique, ces soldats  sont les premiers à se faire tirer dessus dans la ligne de mire sur les champs de justice, qui se sont battus pour garder la musique vivante. Mais plus encore, Soldats des Champs est un hommage aux soldats haïtiens qui ont combattu les Français pendant la Révolution haïtienne. Une liberté que la France s’arroge le droit d’interdire aux autres peuples, quitte à les massacrer. Et on sait le prix fort que continue de payer Haïti, pour avoir osé défier cette constante idéologie de destruction qui innerve l’idéologie de fonctionnement de la France face à des peuples, qu’elle a toujours considérés inférieurs, conformément au code noir, qu’elle a brillamment exalté.

Le titre éponyme, piste 7, c’est l’Afrique qui y est convoquée, invoquée par les incantations récitées avec force par Dwight Trible et Pedrito Martinez (également aux congas.). On y découvre un Kenny Garrett au piano avec beaucoup d’élégance, de précision et surtout d’efficacité.

Comme un cercle, l’album se referme sur le même titre que la première piste ; mais par un jeu tout en douceur du saxophoniste en conversation avec le percussionniste. C’est un entretien en aparté entre deux inséparables que sont Rudy et Kenny.

Avec cette permanente idée de faire bouger, d’engendrer le mouvement chez l’auditeur, Kenny Garrett reste fidèle à lui-même. Il apporte toujours quelque chose, qui nous le fait découvrir, comme si c’était la première fois sans jamais se renier. Sounds From The Ancestors est une véritable source d’émerveillement.


When the Days Were different