Salif Keita et “Un Autre Blanc”, comme une dernière plaidoirie contre les injustices et l’hypocrisie des donneurs de leçon.

Dans une interview qu’il a accordée à une radio (Nova pour ne pas la citer), Salif Keita affirme ceci:

J’ai vraiment décidé de ne plus rentrer en studio après avoir enregistré cet album-là. Je ne vais pas dire que je ne ferai plus de musique, ou que je ne ferai plus un morceau isolé, mais faire un album, c’est vraiment la dernière fois. C’est le délire de faire un album. J’ai vraiment décidé de ne plus rentrer en studio après avoir enregistré cet album-là. Je ne vais pas dire que je ne ferai plus de musique, ou que je ne ferai plus un morceau isolé, mais faire un album, c’est vraiment la dernière fois. C’est le délire de faire un album. Oui ça c’est possible ! Quand j’aurai l’occasion de le faire, je serai en live.

« Un Autre Blanc » dernier album de Salif Keita ? Pourquoi ne pas le prendre au sérieux et y croire, puisqu’il l’annonce. Il est vrai que certains, certes à la carrière internationalement invisible, ont eu à faire ces sorties hasardeuses et guignolesques, pour essayer de décupler les ventes de l’album et revenir aussitôt sur leurs propos et décision… Mais on pense le natif de Djoliba, loin de ces farces, et que sa retraite des studios d’enregistrement et non de la musique, est une décision sérieuse, longuement et mûrement réfléchie.

Le titre de l’album doit surement faire écho au combat, hélas encore d’actualité, que nombre de personnes souffrant d’albinisme, doivent mener au 21 siècle pour exister, à cause des violences dont elles font l’objet. Malheureusement, quel que soit l’endroit sur terre, si vous êtes différent de la « norme », pensez différemment de la doxa, vous  êtes la bonne cible pour les haineux. Nul doute que dans cette éternelle lutte contre la haine des albinos, combat qui doit nous interpeller, la voix de Salif Keita a été un accélérateur, elle a contribué à étaler aux yeux du monde, cette chasse à l’homme. Arborant à ce titre, le double rôle d’ambassadeur et de son art, et de cette lutte.

Lorsqu’il apparaît sur la scène mondiale, c’est en tant qu’artiste musicien et non comme un albinos qui chante, que Salif Keita se présente. Du moins, tout individu bien constitué, devrait l’avoir perçu ainsi. Une altérité n’étant pas de facto une étrangeté, mais plutôt une richesse ; même si en apparence, cette différence semble contraster avec l’environnement ambiant. Nous avons vu un artiste musicien à la voix imparable, qui a propulsé dans son registre, la musique mandingue ; et par la suite, avons appris les combats qui sont les siens.

Essayer de réduire ou d’amplifier une carrière musicalement riche et qui s’étale sur près d’une cinquantaine d’années à la seule dénonciation, porte une certaine forme d’inélégance. Comme celle que l’on peut retrouver dans une certaine présentation quelque peu captieuse, des chansons qui constituent cet album.

©Tribune2lArtiste.com / Salif Keita

 

Un Autre Blanc, c’est d’abord une vaste aventure humaine et plus qu’amicale (Alpha Blondy et Angélique Kidjo désignés comme tels). 27 musiciens au total, pour rendre concret le projet. On peut citer Paco Séry, Alune Wade, Herve Samb, Cheick Tidiane Seck, Jean-Philippe Rykiel, Julia Sarr, Aminata Dante, Mama Sissoko, etc…et des featurings avec, en plus d’Angélique Kidjo et Alpha Blondy, Yemi Alade, Ladydysmith Black Mambazo, MHD.

Ensuite, on se délecte sur le classique de la musique mandingue à savoir la finesse et la divine beauté de ses chœurs et de ses guitares, sans omettre le chant griot. Et pour cette dernière production, Salif Keita procède à une certaine ouverture sur d’autres tendances. En faisant appel à Yémi Alade ou au jeune MHD, le malien explore d’autres univers, non sans beaucoup de justesse et de pertinence dans les orchestrations.

Were Were : une dénonciation en règle des exactions des puissances étrangères.

Si Salif Keita a donné de la voix pour dénoncer l’affreux sort que l’on continue de réserver aux albinos, dans cet opus, il a néanmoins rappelé que d’autres injustices ne lui sont pas étrangères et il en fait mention avec beaucoup d’adresse. En ouvrant l’album par “Were Were”, il égrène parmi d’autres, les noms des leaders (vrais) africains malmenés et/ou tués par les puissances étrangères pour avoir eu le tort de défendre les intérêts de leur pays respectif. Et lui Salif Keita dont les origines sont aussi guinéennes, n’a pas oublié, que Sékou Touré en refusant le FCFA, cette monnaie qu’impose toujours la France aux pays africains francophones, a été la cible privilégiée de De Gaulle. Qu’il a mis tout en œuvre pour asphyxier et faire exploser ce pays…comme la France continue d’harceler à l’heure actuelle, les pays qui ne veulent plus de ce nazisme monétaire français.

S’il poursuit en second titre par “Syrie”, cet agencement n’a rien de hasardeux.  Il est toujours dans la dénonciation des exactions commises à travers le monde, par ceux qui édictent les règles, qui se posent en parangon des vertus ; mais incapables de les observer, de les respecter. Et essayer de le faire passer sous silence et n’afficher que partie des aspects abordés, est une ruse d’une brillante maladresse.

Cette galette de 10 titres est un véritable plaidoyer par artiste qui a bien analysé la société dans laquelle nous vivons et la renvoie à ses nombreuses contradictions. Pour un au revoir des studios, Salif Keita nous honore par la beauté des mélodies et la pertinence des textes exprimées dans cet opus.

Nous ne parlons pas de cet album parce qu’il sonne le dernier de Salif Keita empruntant les studios d’enregistrement ; mais parce qu’il est un album de bonne qualité et qui mérite d’appartenir à votre discothèque. Et si vous pensez que d’autres motivations justifient que vous le vous procuriez, la satisfaction est encore plus grande. Dans tous les cas, c’est du bon, du grand Salif Keita; et les chœurs ne font que lui ajouter une puissance lumineuse, qu’on ne trouve que dans la musique mandingue.

En écoute: “Tonton”