Ray Lema: “Plus qu’un problème politique, l’Afrique souffre d’abord d’un problème culturel.”
A la vérité, une seule idée m’habitait en allant à la rencontre de mon interlocuteur : pourquoi avoir changé un des musiciens dans son nouveau projet. De sa longue et riche expérience, mon interlocuteur sait détecter si vous arborez une haire et vous provoquerez ainsi sa lassitude. Ou alors, une autre attitude, dans ce cas il vous offre plus que vous aviez espéré. Raison pour laquelle, nos rencontres relèvent non pas des interviews, mais des entretiens amicaux. La notion du temps disparaît, et du temps, mon interlocuteur m’en accorde à satiété.
A quelques heures de la sortie officielle de TRANSCENDANCE son dernier album, c’est un Ray Lema en mode GPS qui me reçoit, pour tracer (comprendre) l’itinéraire. Car c’est quoi TRANSCENDANCE au final, au-delà de la transe qu’il nous procure aussi par la danse ? Juste un titre, un mot derrière lequel se dissimule toute la personnalité musicale et bien au-delà, de Ray Lema. Et qui mieux que lui pour en parler, comme il l’a fait dans son teaser ? TRANSCENDANCE nous dit en notes musicales, qu’il est impossible de savoir où l’on va ; si au préalable, on ne sait pas d’où l’on vient.
Posons donc l’idée directrice de notre amical et joyeux entretien ; car tout le temps qu’a duré notre rencontre, c’est le seul point sur lequel mon interlocuteur m’a gentiment intimé une chose, insistant en ces termes:
Vraiment DIKONGUÉ, j’insiste sur ce point ; si tu en parles, alors il faut que tu le mettes en relief. Plus qu’un problème politique, l’Afrique souffre d’abord d’un problème culturel.
On ne peut prétendre comprendre l’oeuvre d’une personne, si on n’a pas pris le temps de chercher à détenir les clés qui donne accès à cette compréhension. Et le caractère presque énigmatique de notre entretien demande une certaine transcendance, un dépassement de l’apparent pour comprendre l’album à venir.
Alors Ray , qu’est qui justifie le changement de bassiste dans ce projet ? Sachant que ce sont carrément les mêmes musiciens qui t’accompagnent depuis VSNP.
En effet, dans cet album, Michel Alibo remplace Étienne Mbappé, qui lui est pris aussi dans ses projets personnels. Mais j’ai la même satisfaction ; car Michel a une telle compréhension de ma musique, qu’on dirait qu’il est de ma région. Et ce n’est pas étonnant.
Et de rappeler donc :
Tu sais, dans les années 80, il y avait deux formations qui faisaient fureur à Paris. D’un côté Sixun avec Michel Alibo et de l’autre Ultramarine avec Étienne Mbappé. Je peux te dire que les deux se sont bien observés et se connaissent musicalement trop bien. Et en ce qui me concerne, ce sont les meilleurs. Pas étonnant que Michel nous embarque dans cet opus avec le même entrain. Je suis très content du travail fourni par Michel et les autres.
Il y a eu VSNP et Headbug et maintenant Transcendance. On note une certaine constance, une cohérence dans la conception…Ils (les albums) se distinguent certes les uns des autres par les thématiques abordées ; mais avec la même trame.
Il est important de noter que je suis d’abord et avant tout, un compositeur. Et ma formation du classique me permet d’écrire des musiques comme je les ressens. J’ai, une certaine idée de la musique que je fais et voudrais faire. En Occident, ils ont des compositeurs qui ont fait des choses énormes. Nous avons en Afrique, un réservoir de sonorités jamais exploitées. J’essaye donc d’adapter nos polyrythmies africaines aux harmonies modernes. Et c’est à ce niveau que le piano ou le pianiste revêt toute son importance. Il faut également noter que nos musiques traditionnelles d’Afrique Centrale sont des musiques triangulaires (1-enfant avec son aigu ; 2-enfant avec un son moyennement aigu et un maître tambour). Et dans ces albums, j’assure le rôle du maître tambour. Donc pour te résumer, je suis avant toute chose, un compositeur.
Dans cet album, comme dans les autres et à l’occurrence Headbug, on note tout de même des espaces d’expression assez conséquents pour chaque musicien. Fan d’une certaine virtuosité dans le jazz ?
En effet je laisse des espaces de fulgurance à mes collaborateurs musiciens ; mais c’est juste pour qu’ils prennent du plaisir et parce que j’écris des partitions pour que chacun s’exprime. Mais nous restons dans un jazz collectif ; qui laisse beaucoup plus de place à la mélodie qu’à la virtuosité. Tu sais, lorsque j’ai lu cette phrase de Miles Davis qui disait : « Le jazz n’est pas une musique ; mais une attitude », cela a profondément changé ma conception de la musique. Je me suis dit comment associer nos polyrythmies africaines aux harmonies occidentales. Vois-tu, les cubains ont réussi à résoudre ce problème. Tous les musiciens cubains ont une formation classique et font du piano… Et contrairement à d’autres, j’ai pris cultivé cette habitude à composer du bas vers le haut. Oui, mes collègues s’expriment ; mais lorsqu’on observe bien, c’est toujours collectif.
D’accord, on comprend bien l’importance du piano, pour un musicien, qui plus est, un compositeur. Mais le piano en Afrique et les températures. Problème ou pas.
Rires…Justement tu fais bien de soulever cet aspect. C’est un faux argument. Prenons des pays comme la Russie, le Canada et même ici en France. Qu’est ce qui est plus violent que de passer d’une température de -25 à +28. C’est juste une question de maintenance, d’entretien. Nous ne savons pas en Afrique, ce qu’est que la maintenance. Je suis même d’avis qu’un piano se porterait mieux en Afrique avec des variations de température qui sont moins violentes. Tous les instruments peuvent survivre en Afrique, il suffit de savoir les entretenir, pour les maintenir en état.
Les musiques traditionnelles africaines, la Composition et la Culture…dis m’en plus maintenant.
La composition est un moteur culturel. Je reste ici, encore dans l’art musical. Tant que nous africains n’aurons pas saisi cela, nous ne gagnerons pas les défis du futur. Prenons l’exemple de l’Afrique centrale seulement. Nos musiciens traditionnels meurent, qui s’en préoccupe ? Pourtant, de ces musiques traditionnelles, l’Afrique a encore à culturellement à offrir au monde. La musique dite classique est entretenue en Occident, les compositeurs occidentaux des siècles passés sont étudiés, sont magnifiés, cela maintient la culture, la vivifie…Que faisons-nous, nous ignorons notre patrimoine musical, nous méprisons nos musiciens et musiques traditionnelles embrasser le show-bizz. Oubliant que le show-bizz est éphémère et très fluctuant. Il ne repose sur rien de solide. Or la composition est un socle solide, qui maintient en vie une culture, un pays etc…Il y a des siècles que les compositeurs occidentaux comme les Bach, Chopin etc. ne sont plus de ce monde ; pourtant on en parle encore.
Tu n’es pas entrain de me dire que tu es contre le Show-bizz.
Du tout ! Il faut de tout cela. Je t’explique seulement qu’il y a une différence entre showbizz, Entertainment et Musique (comme art, comme composition). Les deux premiers termes, disent bien ce qu’ils disent. Et le drame c’est que, beaucoup d’africains rentrent dans la musique par ce canal, et croient donc que c’est de la Musique. Le showbizz, c’est très facile à faire. D’ailleurs, sors tout-nu dans la rue, et tu verras que ce sera un show…, cela peut faire un gros buzz et bizz.
J’ai eu la chance, l’honneur de diriger le Ballet National du Congo (RDC) ; ce qui m’a permis de recenser la richesse de nos musiques traditionnelles et de montrer, par le biais de certains albums que j’ai sortis, qu’elles ont la même valeur que ce qui se fait ailleurs. La composition fait partie du patrimoine culturel d’un pays, d’un continent.
D’accord. Mais alors comment expliques-tu ce problème, qui semble ne pas quitter l’africain, surtout l’africain dit sub-saharien.
Je vais te raconter une anecdote. J’ai été contacté maintes fois pour des sujets de réflexion sur l’Afrique. J’ai posé la question un jour à un groupe qui m’avait sollicité. Connaissez-vous le GPS ? Ils m’ont dit oui ! Et j’ai continué en faisant donc remarquer que: pour son efficacité, les informations utiles à rentrer dans le GPS sont l’adresse de départ afin d’atteindre l’adresse d’arrivée. Comment peut-on espérer arriver, si on n’a pas renseigné d’où l’on part ?
Donc, notre problème vient du fait que nous ne savons pas d’où nous partons…
Comment peut-on rêver une Afrique prospère, forte si on ne sait même pas de quel point partir ? Tant que nous n’avons pas résolu la problématique culturelle, nous ne nous réapproprions notre culture, je vois mal, comment on peut relever des défis majeurs. Et pour revenir à la musique, il faut rappeler aux uns et aux autres que nous sommes un peuple musical. Nous vibrons musique et tout notre environnement est ainsi. Mais nous délaissons cette richesse pour des futilités.
Quel est le langage derrière les notes musicales de Transcendance comme des autres ?
Un artiste doit toujours apporter de l’excellence dans son travail. Oui, l’excellence doit être le moteur de tout travail d’un artiste. Et j’ai pour moi, une considération certaine pour la musique instrumentale, parce qu’elle développe la créativité et mène vers une forme d’excellence.
Donc TRANSCENDANCE, alors…
Transcendance résume qui je suis, c’est-à-dire, la synthèse de mes rencontres, de mes expériences avec toujours en toile de fond, l’Afrique. Et quand vous écoutez cet album, il fait la jonction des musiques de chez moi avec les harmonies dites modernes ; et j’y officie en tant que tambour majeur.