Ray Lema: « Je ne souhaite pas avoir des moutons derrière moi, mais plutôt de jeunes tigres »
Tel cet enseignant qui a compris que le préalable ayant été posé en introduction, il peut ainsi satisfaire la curiosité de son auditoire en lui fournissant les éléments le conduisant à l’objectif; de la même façon, pour être complet, il lui est également apparu nécessaire, de récompenser cet auditoire, en lui remettant dans un bel écrin, les clés de la démarche.
Car tout est méthode chez et avec Ray Lema. On ne livre que si on a l’assurance et la certitude que la curiosité est profonde et saine. Lui dont la qualité première est l’Écoute’ et pour cause. Lorsqu’il a perçu (l’expérience du vécu aidant) que les écoutes sont susceptibles d’être sources d’enrichissement, alors, il ouvre sa réserve et délivre magistralement.
C’est ainsi que, prenant congé de cette enrichissante hospitalité, mon hôte a tenu à me remettre les miennes (clés) dans cette admirable formule:
Souviens-toi, avec le vécu qui est le mien, on n’a jamais vu une pyramide retomber sur son sommet ; mais toujours sur sa base. Je te transmets ainsi, une richesse reçue d’un ancien et ami.
Message délivré non pas seulement pour, comme qui dirait, entériner l’adage qui voit ou verrait en la répétition, la mère de sureté ; mais davantage pour recentrer sur l’essentiel d’une démarche, sur le socle. Une démarche qui n’est pas destinée seulement aux autres, mais qu’il est le premier à appliquer. Une sorte de Je pratique ce que je dis…
A propos de richesse et de base donc. Loin de penser à une certaine malédiction de l’africain en général et du congolais, Ray Lema voit en la RDC, et partant en l’Afrique, une bénédiction dont les uns et les autres n’ont peut-être pas encore conscience et pourtant.
Les gens, les Congolais n’imaginent pas l’énorme chance que nous ayons, d’avoir un pays, à titre de comparaison, 4 fois plus grand que la France. Ce qui suppose des richesses qu’il regorge. Je ne parle pas ici de son sous-sol, mais bel et bien de sa diversité, de sa richesse culturelle. Quand je regarde la seule ville de Kinshasa, elle est le reflet de cette diversité que l’on observe en RDC. Kinshasa est l’expression de toutes les diversités que l’on retrouve en RDC.
Cette richesse de la Rdc dont Kinshasa se fait l’écho dans divers domaines, est-elle palpable dans son expression musicale ? Visiblement Kin la belle ne porte pas l’écho des sons dont regorge cet immense pays, mais semble plutôt faire une exaltation d’une voire des musiques hybrides sans puiser dans les profondeurs de son pays :
La musique qui est jouée ou faite à Kinshasa aujourd’hui, ne valorise pas l’héritage musicale, c’est-à-dire des sons de ce pays. On est plutôt, sans être méprisant pour ce qui se fait, dans la valorisation d’une musique qui ne puise pas forcément dans les essences du pays. Observez par exemple la rumba congolaise, elle est beaucoup plus imprégnée des influences salsa venu de Cuba.
Comment pouvions-nous échapper, tout en restant plongés dans l’essentiel et sans nous appesantir, a l’évocation du nom de Papa Wemba comme figure emblématique de la rumba congolaise ? La froideur de l’analyse de Ray Lema pourrait faire grincer les dents, mais il l’assume. La révolution de la musique zaïroise porte la griffe du groupe Zaïko Langa Langa.
Un de nos problèmes en Afrique est parfois, le manque de froideur dans l’analyse ; et aussi ce manque de reconnaissance que nous ne témoignons pas à ceux qui font et ont fait des choses. Papa Wemba, paix a son âme, a fait de belles choses, il a été bon dans ce qu’il a fait ; mais, il est important de dire que si Wemba est allé dans la direction qui est celle qu’il a prise, c’est essentiellement grâce au groupe Zaïko Langa Langa. C’est la pierre angulaire de la musique au Congo Zaïre, par leur approche. Ils m’ont influencé dans mon approche musicale et m’ont fait prendre l’orientation qui est mienne. Papa Wemba et bien d’autres, n’ont fait que perpétuer le travail de Zaïko Langa Langa dont toute la force reposait non pas sur une personnalité, mais sur un ensemble. Et cela, il faut être capable de le reconnaitre.
Cette notion de reconnaissance et de respect qui parfois créent une si grande confusion dans les esprits des uns et des autres au point d’irriter Ray. Une attitude qui est loin de créer des émulations, des tigres aux crocs et griffes bien longs.
Il est important dans la vie de savoir valoriser ce qu’on a, les personnes avec lesquelles on vit, on travaille. Un mari devrait pouvoir dire à son épouse, qu’elle est belle, qu’elle a beaucoup de mérite. De la même façon, dans la musique, le leader doit pouvoir encourager ses musiciens. Mais je suis parfois atterré par le comportement de certains chanteurs qui, parce que portés par la liesse populaire, traitent leurs musiciens avec peu d’égards
C’est cette confusion qui existe chez nous entre le respect de l’ainé et la peur que ce dernier veut susciter chez les plus jeunes, dans cette expression congolaise que j’abhorre le plus: Les oreilles ne dépasseront jamais la tête. Comment voulez-vous obtenir le meilleur des individus, si vous n’êtes pas à même de leur rendre en retour ce qu’ils vous donnent ? Même au moyen d’une petite et gentille formule de politesse ?
Le showbiz, son rôle et ses effets sur la musique en Afrique, Ray Lema a sa petite idée et fait la différence entre les vedettes=chanteurs, les autres musiciens (instrumentistes sidemen) et acteurs qui jouent un rôle dans la musique.
Le showbiz a pris l’habitude de vendre les chanteurs (pas forcément des compositeurs) à la population. A tort ou à raison cette vision reçoit une adhésion massive. Conséquence, l’instrumentiste derrière le chanteur (la vedette) n’est pas valorisé à sa juste valeur. C’est ce qui procure un certain sentiment de grandeur à certains chanteurs, qui du coup, peuvent même aller jusqu’au mépris des musiciens derrière eux. Malgré tout le talent qui était le sien, lorsqu’on prenait par exemple l’album thriller de Michael Jackson, on savait pouvoir dire que son succès vient des personnes qui étaient derrière lui. C’est pour cette raison que je ne cesse de dire merci à mes musiciens ; car s’ils ne sont pas derrière moi, je ne peux pas donner le meilleur de moi-même. Et si je ne leur dis pas qu’ils me rendent meilleur, alors j’en fais des moutons. Et moi je ne travaille pas pour avoir des moutons, mais de vrais tigres, capables de résister à toute adversité.
Mais ce showbiz n’est-il pas dans l’évolution des choses ? Une certaine modernité qui montre que la musique n’est pas figée, qu’elle évolue, et en Afrique particulièrement. Une évolution qui n’est pas du gout de l’artiste, lorsqu’on analyse ses effets…
Malheureusement, je dois admettre que cette modernité ou ce modernisme dont tu fais allusion répond aux besoins du showbiz, c’est-à-dire l’industrie du show off. Oui le modernisme de la musique en Afrique répond plus aux besoins du showbiz qu’à une exigence de qualité. A de trop rares exceptions près.
Des moutons, des jeunes tigres, des images qui sont assez parlantes et fortes pour décrire des attitudes, des comportements. Une réalité qui n’échappe pas à la musique hélas.
Depuis que je suis dans la musique, je n’ai travaillé que dans le sens de former des tigres, prêts à bondir et à sévir. Car c’est de cette race que l’Afrique a besoin. C’est grâce à ce genre d’individus que l’Afrique pourra réellement rivaliser avec les autres. C’est quand même un énorme paradoxe de voir qu’un continent qui a tant de matières premières (je reste toujours dans la musique), attende toujours que ce soient les autres qui viennent les polir. C’est pour cela que je suis toujours en admiration pour toute initiative d’un jeune tigre africain.
Ceci est une perspective plus moins des politiques culturelles que doivent assumer les pays ; qu’en est-il des musiciens pris individuellement ?
C’est la même démarche qui doit s’appliquer. Et je suis content de voir aujourd’hui qu’il y a de plus en plus de jeunes musiciens africains qui sortent des sentiers battus pour s’ouvrir davantage à l’apprentissage de leur art. Qui ne sont plus désorientés, ou alors crient à la fausse note comme le faisaient ou le font encore certains, lorsqu’on fait progresser un accord de 1-4-5-1 vers 1-4-5-1-6 ; mais sautent plutôt de joie et approuvent. Cela signifie que les choses avancent, de façon sournoise certes, mais elles avancent.
L’Afrique qui attend qu’on vienne transformer sa matière première pour elle et la lui vendre non pas selon ses besoins, mais selon ceux de celui qui s’attelle à la tâche de transformation. Un constat qui ne s’applique pas qu’aux matières premières en provenance du sous-sol africain.
Il suffit de jeter un regard attentif sur ce qui se passe, pour faire ce constat et arriver à la même conclusion en ce qui concerne le musicien africain vu par l’autre à qui on a malheureusement donné l’opportunité de le polir. On a parfois le sentiment que plus le sujet peut susciter de la pitié et son produit portant un certain dénuement, qu’il a de la valeur…logique. C’est lui qui l’a mis en évidence et le vend comme il l’entend. Les africains ont un problème avec la vente (mise en valeur) de leurs cultures. Il faut toujours que les autres viennent leur dire que, vous avez ceci de bien chez vous, tel est un bon etc.., pour qu’ils daignent enfin porter le regard. De la même façon, ils ont du mal à intégrer une critique formulée à leur endroit, même de la façon la plus constructive pourtant.
Les attaques ad-hominem sont le moyen le plus utilisé pour ne pas accepter une critique, même d’une personne qui connait bien son sujet pourtant, et l’explique posément sans esprit de revendication. Victime d’une telle situation, Ray explique :
J’ai moi-même fait l’objet d’une agression verbale en ordre, de la part d’un individu qui n’a pas accepté que je dise lors d’une interview, que le piano sur lequel j’avais joué pendant un de mes passages à Kinshasa, n’était pas des mieux accordés. Tout ceci du fait des mauvaises conditions de conservation, d’entretien et de stockage. Le piano ne supporte ni l’humidité, ni la chaleur, c’est un instrument très délicat qui nécessite une attention particulière. Au lieu de m’opposer des arguments, cet individu m’a plutôt agressé verbalement me traitant de traitre, voyez-vous ?
Dans le chapitre attaque, comme de nombreux d’autres africains, il n’a pas échappé a la sempiternelle accusation d’abandon de sa musique pour faire de la musique pour…
Tu ne peux pas imaginer combien de fois j’ai sursauté en entendant cette sottise. Moi qui ai passé et passe encore mon temps à essayer de puiser de plus en plus dans nos musiques pour les présenter au monde. Mais finalement, j’ai réussi à me faire à cette idée, de la même façon que Miles Davis disait du jazz : Le nom jazz ne m’effrayait plus…
Je fais tellement de collaborations et celles-ci sont fondées sur l’africanité de ma musique. Pour ces personnes, je sonne, swingue et vibre africain ;j’ai beaucoup travaillé ce qui dans ma façon de jouer leur plait. J’en profite pour rendre un hommage à Laurent De Wilde, de m’avoir invité à partager ce chemin que nous faisons ensemble…chacun apportant son univers, pour atterrir sur une zone de confort qui nous sied à tous les deux. Entendre dire que je ne suis pas suffisamment africain dans ma musique, relève plutôt d’un manque de sérieux criard.
Headbug, le nouvel album sorti le 22 avril dernier est un album de jazz, de pur Jazz qui n’est pas à la gloire de Ray Lema, mais à celle d’un groupe. C’est un album de plaisir pour ses musiciens et pour lui-même ainsi l’artiste :
C’est la suite logique d’un premier album jazz V.S.N.P (Very Special New Production) paru il y a 4 ans avec mon quintet. C’est album qui se singularise de ce que font les autres et des américains en particulier, par l’approche et le mode opératoire qui, me dit-on me sont propres. Une approche qui met l’Afrique en avant et dont le rôle central est dévolu au bassiste tambour en la personne d’Étienne Mbappè. Cet album est un disque de groupe qui nait de l’affection que nous nous portons les uns les autres. Lorsque je le concevais, j’avais en tête, chaque musicien. Ce sont des partitions ciblées ; c’est de la musique de groupe, parce que j’aime ce groupe. Et lorsque tu joues ainsi avec des tigres comme ceux-là derrière toi, c’est un plaisir indicible. Et c’est ce que je désire ardemment des nôtres, que nous sachions apprécier de tels plaisirs. Et le jazz classique aujourd’hui ne sait plus offrir un tel plaisir.
L’ouverture vers l’extérieur (hors continent africain) comme signe d’enrichissement et aussi vitrine du savoir-faire africain. Ray Lema explique le choix de la chanson Samba de uma nota so, du compositeur brésilien Carlos Jobim.
Quand tu as écouté les plus grands compositeurs, et les plus grands compositeurs sont dans l’univers classique occidental. Mais il faut savoir bien lire, pour détecter toute la quintessence de ce que pouvait produire leur cerveau. Carlos Jobim qui pour le coup est brésilien, était un compositeur moderne que je trouve des plus sidérants avec son Samba de uma nota só, en français « Chanson sur une seule note. Il s’est amusé à faire pivoter toute la progression des accords autour d’une note. Et cela donne une chanson qui a l’air si simple, si facile à l’écoute. C’est lorsqu’il faut la jouer, qu’on se rend compte de la complexité du travail. La grille des accords provoque un choc. Les harmonies ne sont plus/pas accessibles aux non-initiés. C’est donc pour rendre hommage à Carlos Jobim que j’ai décidé de mettre ce titre dans l’album. Comment fallait-il procéder ? Comment le congolais que je suis, allait-il faire du Jobim sans paraitre ridicule ? Il m’est donc apparu comme évidence, de baser toute la composition sur le jeu du bassiste et en l’espèce, Étienne Mbappè. Il est pour moi, l’un des rares à savoir jouer à la fois le tambour de la basse (tambour inventé par les congolais) et la basse jazz, passant instantanément de l’un à l’autre avec une déconcertante facilité. Et, j’invite les gens à écouter particulièrement ce morceau (piste 3), tu ne trouveras aucun bassiste américain pour jouer de cette façon. Une fois l’enregistrement de ce morceau terminé, je l’ai envoyé au Brésil. Le résultat était très au-dessus de mes attentes. Carlos Jobim ainsi interprété, ils ne l’avaient jamais entendu ; car l’appropriation est telle que, si vous ne savez pas que c’est une composition de Jobim, on me l’attribuerait aisément.