Comment le festival Jazz à Vienne est-il pérenne ?

Ce n’est un scoop pour personne : le nombre de festivals de jazz sur le territoire français est important, actuellement  ils seraient au nombre de 120,  ne comptant que les officiels. En effet, il est de plus en plus fréquent qu’un village ou une ville crée en période estivale son propre festival de jazz.

Les parts de marché rétrécissent, chaque festival doit donc trouver sa recette pour résister à la concurrence, aux pressions politiques et artistiques.

Or, pour leur 38ème édition, Samuel Riblier, président du festival viennois depuis 2016, vient d’annoncer un taux record de fréquentation de 222000 spectateurs, soit plus de 7 fois la population de Vienne.

Quel est le secret pour que ce festival continue inlassablement à augmenter son nombre de festivaliers ?

Certains ingrédients sont inévitablement responsables de ce succès : 16 jours de musique, 250 concerts dont 3/4 gratuits et 1000 artistes, une scène magnifique (le Théâtre Antique pouvant accueillir 7500 personnes), de nombreux projets : le tremplin RéZZo FOCAL Jazz à Vienne, l’académie de Jazz et bien d’autres.

Mais les autres festivals ont aussi ce type d’ingrédients.

Voyons du côté des professionnels du management. En mai 2015, le webzine dynamiquemag, a défini les trois clés pour avoir une entreprise pérenne : souder les équipes pour faire émerger de nouvelles idées, mener une politique interne cohérente et s’appuyer sur des secteurs porteurs pour coller aux attentes des clients.

Cela semble couler de source, pourtant toute recette, pour se sublimer, nécessite l’alchimie de plusieurs composants. «Jazz à Vienne» semble avoir en plus de ses confrères un élément particulier, le type de composant que tout grand chef garde secret, mais qui rend son plat unique et reconnaissable entre mille.

C’est le samedi 7 juillet 2018 qui a mis nos enquêteurs sur la piste. Début des activités à 12h00 par «Lettres sur Cour» : invitation à la lecture et à la musique, rencontre avec des écrivains, des réalisateurs, des chanteurs musiciens et slameurs jusqu’à 20h00. En parallèle, la scène Cybèle propose des concerts gratuits de groupes de mouvance Hip-Hop, une conférence rencontre avec l’artiste Guts, heureux d’avoir été invité. La voilà, la botte secrète monsieur Lagardère : pérennité n’est pas synonyme d’immobilisme.

Programmer, sur un des deux weekends une journée entière au Hip-hop pour un festival de Jazz, là est la clé de la pérennité.

Pourtant les détracteurs d’une telle démarche sont légion, depuis plusieurs semaines sur la toile, les remarques des internautes fusent «mais ce n’est pas du jazz, le Hip-hop ?» «c’est n’importe quoi !»…

Ce type de remarques rappelle étrangement les sifflements du public de l’Olympia, lors de la première venue de John Coltrane à Paris le 21 mars 1960, où le célèbre violoniste Stéphane Grapelli déclarait : «John Coltrane m’a fait l’effet d’un grand artiste aux dispositions incroyables et bien en avance sur son temps».

A regarder de plus près, la démarche du Hip-hop et du jazz n’est-elle pas similaire ? Ces deux courants musicaux n’ont-ils pas des racines communes – le blues – et ne relatent-ils pas, tous deux, la vie et les préoccupations des classes minoritaires ?

Le 7 juillet 2018, les battles de street dance dans le Théâtre Antique de Vienne menées par le Groupe «Street Off» (fondé en 2016 et présidée par «Bboy Lilo », double champion du monde de break dance), rappellent les concours de danse be-bop d’après guerre.

 

 

Avec le groupe Tank & the Bangs de la Nouvelle Orléans, les spectateurs constatent rapidement les influences permanentes du jazz.

Les deux formations suivantes proposent chacune une création pour le festival, la première avec le producteur Guts et son Live Band (composé d’un quintet de cuivres à faire pâlir tous jazzeux dignes de ce nom) qui jouera pour le plaisir du public son succès And the Living is Easy.

 

 

Le dernier groupe est «Black Star» avec «Hypnotic Brass Ensemble». Les amateurs de Hip-hop présents sont venus nombreux avec des tee-shirts de Mos Def, grand pape du courant artistique. Il se présente sous le nom de «Yasii Bey» accompagné de Talib Kweli, les deux compères font partager au public un univers inconnu aux amateurs de Jazz.

Oui ! la clé de la pérennité est : ouvrir les horizons, être en avance sur son temps, ne pas avoir peur de permettre au public de découvrir des univers pour eux inconnus, même si cela en doit en choquer certains .

Pablo  Picasso lui même a dit «Pour apprendre quelque chose aux gens, il faut mélanger ce qu’ils connaissent avec ce qu’ils ignorent.»

Et côté pérennité, le fondateur du cubisme n’a rien à prouver.