Vicky Edimo ” Je n’osais pas envisager les USA,… Jusqu’à ce que…”

Vicky EdimoS’il n’en ait pas le père, alors il est sans aucun doute, la référence par excellence,  le maître, le tuteur (ce piquet qui soutient, oriente et donne la direction), le baromètre, la mesure de la basse au Cameroun.
Passage obligatoire de tous les bassistes camerounais (rien que cela), aucun ne saurait se présenter comme tel s’il ne s’est pas soumis à la beauté et la finesse technique de l’une de ses lignes de basse. C’est comme aller passer un examen sans jeter un coup d’œil dans ses livres. Il est le livre de la basse par lequel on acquiert le savoir lorsqu’on prétend être bassiste au Cameroun.
Élégance dans le jeu, celui-ci est davantage prononcée par son appartenance à cette race rare qui a le don de jouer avec la main gauche…

La petite histoire retiendra qu’il est celui qui, par sa technique, a révolutionné le jeu de la basse au point de soumettre les américains, pourtant les références d’hier. La légende était en marche et l’histoire de la basse trouvait enfin la voix par laquelle elle s’exprimera : celle d’un certain Vicky.
L’enfant venait de tuer le père. Une ’’tuerie’’ d’éclaireur car ; grâce au savoir et la maîtrise qu’il affichait à l’époque, il balisait le terrain en illuminant les pistes et sentiers qu’empruntera un certain Armand Sabal Lecco pour déminer afin de rendre possible l’écriture de l’histoire de l’hégémonie de la basse camerounaise.

Béni soit le jour où définitivement, il a été détourné de la batterie pour jeter son dévolu et sa hargne du travail bien fait sur la basse…Sans lui, on aurait certes eu une histoire de la basse au Cameroun; mais elle aurait a n’en pas douter, été moins brillante puisque sûrement initiée par un individu X ou Y à qui il manque ce génie qui fait la différence…Car il fallait  être ce  gaucher avec tant de génie pour réaliser ce qu’à fait le maître Victor Edimo.Humble et modeste, il a répondu gentiment aux questions que je lui ai posées.

On parle très souvent de Vicky Edimo, sans que l’on sache réellement qui vous êtes. Qui est donc Vicky Edimo ?
Je m’appelle Victor Moukoko Edimo et suis né à Douala ( Akwa ) de Ferdinand Edimo Laffitte et D’Arriette Ekwe Dick. Ma mère m’a appelé Vicky dès ma naissance. J’ai commencé à naturellement pratiquer la musique vers l’âge de 9 ans par pure passion. Il se trouve qu’à la même période ma mère me fit adhérer à une chorale assez importante à Bonamuti . Ce qui me permit de commencer à entendre mes premières harmonies. Il faut dire que mon père a joué intensément de la guitare durant sa jeunesse et, même à un âge plus avancé, il la reprenait de temps en temps le soir à la maison à notre grand plaisir. Ma mère dirigeait des chorales donc, ça chantait aussi beaucoup à la maison.

Il y a quelques jours vous fêtiez vos 58 printemps, qui correspondent à 40 ans de carrière musicale. Décrivez-nous ce parcours et surtout comment il commence, les raisons, les motivations etc.
J’ai commencé ma carrière professionnelle à l’âge de 18 ans au Castel à Douala. A l’époque, le choix d’être musicien professionnel était considéré comme un aveu d’échec scolaire. Il m’était donc difficile aux yeux de l’environnement local, d’envisager en faire un métier. La”chance ‘est qu’au delà de toute critique, mon père me soutenait et m’encourageait à m’épanouir dans ce que  je faisais. Son encouragement  devint alors comme une responsabilité qui me servit de moteur le long de mon parcours. C’était  un challenge énorme pour moi car, ma mère me voyait médecin, avocat, pilote ou autre, vu que je travaillais plutôt bien à l’école.

Vous êtes, avec quelques-uns, l’emblème de la basse au Cameroun. La paternité semble même être partagée avec Jeannot Karl Dikotto Mandengué (JKDM). Qu’est-ce qui a définitivement décidé Vicky Edimo à cet instrument ? Qui est ou qui sont les mentors de Vicky au moment où il décide de s’approprier la guitare basse.
A l’époque, l’instrument que je pratiquais le plus était la batterie et, bien que jouant de la basse depuis l’âge de 14 ans, je me considérais plus comme batteur. C’est au cours d’un ” boeuf” à Yaoundé qu’un ami du collège Vogt  réussit à me persuader que j’étais meilleur bassiste que batteur et qu’il fallait que je passe plus de temps sur cet instrument. Plus tard, vers mes 17 ans, je pris conscience que c’était là ma vocation. J’avais donc la basse entre les mains environ 10 à 12 heures tous les jours sans exception, surtout quand j’ai été engagé au Castel. J’avais plusieurs mentors vu que j’étais intéressé par tout ce qui concernait la guitare basse. Dans les musiques locales, Jeannot Dikotto était le seul dont le langage à la basse m’interpelait. J’ai aussi eu la chance de rencontrer un grand frère comme Sam Nsimba , zaïrois vivant à Douala , qui était un féru du jazz et , qui se trouvait être le chef d’orchestre du Castel . Il s’intéressa à moi, me prit sous son aile et m’initia  au jazz, à la musette, à la musique brésilienne et autres pour les besoins du répertoire du cabaret. Il me faisait étudier des lignes de basses de Paul Chambers ou Ray Brown , Sans compter tous les bassistes de r’n’b qui déferlaient dans le pays à travers les disques venants des US .  A 18 ans, je jouais des classiques de jazz  comme Desafinado  et autre grâce à Sam et, à la passion que j’avais à le faire. J’ai donc commencé à cultiver l’idée d’arriver à faire des choses que je n’ai jamais entendues faire à la basse.  ….. C’est là que j’ai pris de bonnes bases pour pouvoir m’exprimer  plus tard en Europe.

Vous confirmerez, infirmerez voire corrigerez. Il se dit que vous étiez l’écho au Cameroun de JKDM. Qu’en est-il avec cette anecdote ? Eclairez-nous s’il vous plaît. Comme je disais, j’ai beaucoup écouté et travaillé les lignes de Jeannot vu que je jouais à l’époque avec Eboa Lottin et, il fallait “manger” toutes les basses que Jeannot jouait sur les enregistrements originaux. Mais, j’avais le souci d’exprimer des choses que je n’ai jamais entendues personne faire sur l’instrument. Ce qui fait que mon apparition a été perçue comme une révolution sur l’instrument  d’abord au Cameroun et ensuite à travers le monde. Jeannot a fait des choses exceptionnelles à la basse et, je prenais un grand plaisir à les reproduire  non seulement à travers ce qu’il faisait avec avec Eboa Lottin, mais aussi avec  Manu Dibango , Ekambi Brillant et autres .Il était tout simplement brillant.

Vicky Edimo

Quelles sont les premières expériences hors des frontières du Cameroun et comment se font-elles ?
Quand je suis arrivé en France, je ne connaissais pas ma valeur et étais plus concerné par les études bancaires pour rassurer ma mère. Mais, je faisais des bœufs par ci- par là et très vite, j’ai été remarqué et ai eu droit à mon premier contrat qui consistait à accompagner un artiste à l’Olympia. Je n’étais là que depuis environ 9 mois. Les choses sont  devenues claires,  j’allais en faire mon métier. Je me suis donc inscrit au conservatoire.  Après, tout est allé très vite.  Il y a eu la France, les Usa entres autres.

Quel était l’état des lieux lorsque vous apparaissiez. Quelle était la place de la basse camerounaise et africaine dans le milieu ?
Jeannot était parti en Angleterre jouer avec Osibisa .  Je suis donc devenu, le bassiste le plus demandé et ai joué avec un peu avec tout le monde, du plus grand au plus petit. Surtout en Studio car, à part avec Manu ou les Gibson Brothers , je faisais peu de scène. Et, à part Jeannot Dikotto ou Manfred long qui m’avaient précédés, la basse camerounaise ou africaine était inexistante dans le panorama du showbiz français, encore moins dans l’international. Je n’osais pas  envisager les USA, trop costaud …. Jusqu’à ce que les américains  sollicitent mes services. Et, à l’époque, j’étais un peu comme une curiosité là bas car beaucoup d’entre eux ne savaient même pas où se trouvait le Cameroun. Il fallait donc un peu jouer les ambassadeurs. Et, j’avoue qu’au départ j’étais un peu perdu dans cet univers de dinosaures, jusqu’à ce qu’un grand magazine américain me cite comme l’un des bassistes les plus funky  au monde. Cela me faisait tout drôle mais, j’ai commencé à m’éclater pour de vrai car toutes les barrières étaient tombées. Bien plus tard, j’appris qu’on étudiait certaines de mes lignes de basse à la Berkeley school of music et ça , je ne l’avais pas prévu dans mon parcours. C’est pour cela que je suis heureux aujourd’hui quand je vois évoluer les Armand Sabal Lecco, les Étienne Mbappé, Richard Bona, Guy Nsangué et, j’en passe .Quand je suis arrivé, notamment aux USA, aucun africain, n’évoluait à ce niveau sur cet instrument …..

Un autre monument de la musique (j’ai cité Charles Ewanjé Epée) m’a avoué une chose en ces termes : ’’Le niveau qu’avait Vicky Edimo à l’époque, peu de bassistes camerounais l’ont…Il lisait déjà, ce qui faisait qu’il était très fort et exécutait très vite’’. Plutôt flatteur comme commentaire.  Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la basse camerounaise ?
Évidemment, je m’en réjouis vu le niveau musical de Charles. Ces paroles justifient la passion que j’avais étant gosse à être le musicien que je suis devenu. Mais, ce n’est pas une finalité en soi car il y a encore beaucoup à apprendre et à faire… Pour le regard que j’ai sur les bassistes camerounais,  Je n’ai point besoin de le dire car aujourd’hui, tout le monde reconnaît la dimension de la basse camerounaise à travers le monde. J’en suis fier.

Il y a un retour des instrumentistes comme leader et non plus comme sidemen. Ce n’est pas une nouveauté une nouveauté vous concernant, votre discographie en est le témoignage. Mais à quoi attribuez-vous ce come-back des instrumentistes en tant que leaders ?

C’est  un juste  retour des choses. Les instrumentistes on dû prendre conscience qu’ils ne pouvaient plus s’emprisonner dans le rôle d’accompagnateurs bien que ce soit utile. Bon nombre d’entre eux ont des choses à exprimer qui vont au delà de leurs compétences en tant qu’instrumentistes. La preuve est qu’on découvre de plus en plus qu’il y a de bons bassistes ou batteurs qui sont aussi de bons pianistes ou chanteurs etc…

On vous connaît panafricaniste aussi. Définiriez-vous également votre musique comme telle ? Dans une collaboration avec Justin Bowen, vous chantez en duo avec feue Charlotte Mbango, la chanson ’’Ngosso blues’’ une chanson hautement significative lorsqu’on écoute les paroles, car elle explique l’histoire du blues….Et partant, donne une certaine lecture que l’africain doit avoir de son histoire.
Je ne fais qu’exprimer la musique telle qu’elle m’habite et essaye de l’exprimer sous différentes formes, avec différents messages. C’est pour cela que je n’ai jamais fait de discrimination musicale. Le plus important, quelle qu’en soit la forme d’expression, est qu’elle soit bien réalisée, ne serait-ce que par respect pour ceux qui aiment et achètent ce que nous faisons.

Parlant de collaboration. Vous en avez fait de très nombreuses à n’en pas douter. Une dernière a particulièrement retenu mon attention, celle avec Apolo Bass. C’est plutôt rare de voir des camerounais jouant le même instrument (chez les bassistes camerounais surtout) s’accorder. Que se passe-t-il ? Quel est cette guerre qui ne dit pas son nom que l’on observe entre musiciens-instrumentistes camerounais ? Comment l’expliquez-vous ?
Je ne pense pouvoir l’expliquer car, chacun vit une réalité qui lui est propre et qui régie son comportement au quotidien. Chacun veut être reconnu à travers son travail, c’est normal. Pour autant, Il serait souhaitable de privilégier les problème liés à la musique qu’à la personne car , dans ce métier , nos égos peuvent parfois très vite nous jouer des vilains tours. J’ai déjà eu à faire pas mal de collaborations notamment aux US ….. Avec Apolo bass qui m’a sollicité dans son dernier opus, j’ai avant tout apprécié l’humilité et le respect qu’il a à l’égard de son art et à l’égard des autres. C’est après que j’ai découvert ses qualités comme bassiste, comme musicien et comme personne. C’est vrai que c’est la première fois que je me retrouve dans une telle situation avec un bassiste camerounais, bien que j’apprécie la plupart d’entre eux.

Que pensez-vous que tous ceux qui sont venus après-vous et que vous avez par ailleurs inspirés, pensent de vous ? Recevez pour certains des marques de sincères reconnaissances ? Des témoignages ? Rejoignant le propos de Charles Ewanjé Epée, Apolo Bass dit de vous je cite : ’’Vicky Edimo a été toujours une référence musicale pour moi. C’est un homme qui dans sa jeunesse avait des lignes de basse au-dessus du niveau de l’époque. ’’
J’avoue ne pas trop me préoccuper de ce qu’on pense de moi  et, comme me dit souvent Manu Dibango , “Quand tu es arrivé avec cette technique époustouflante à la basse , tu as tout révolutionné ” . La plupart de ces bassistes sont simplement excellents et, j’ai souvent eu  droit à leur reconnaissance, à leurs témoignages et à leurs hommages,  qu’ils soient du Cameroun ou d’ailleurs, ça me va droit au cœur. Je suis heureux et fier d’avoir apporté ma pierre à la construction de ce mouvement de bassistes camerounais à travers lequel beaucoup ont pu donner un sens à leur vie. Je leur recommande surtout d’essayer d’aller encore plus loin  et toujours loin .Comme on dit aux US ” Sky is the limit“.

Quelle est l’actualité du bassiste Vicky Edimo ? Et celle du chanteur ? Ou devrait-on regrouper les deux casquettes en une seule ?
Là, je rentre du festival mondial des arts nègres à Dakar où j’ai fait beaucoup de rencontres enrichissantes, ce qui me permet de  travailler sur mon nouvel album avec un état d’esprit qui est davantage proche de mes racines. En même temps, mon fils Tiwony sort son nouvel opus dans lequel j’ai participé et autour duquel s’organise une grosse tournée dont je fais partie. Oui, je regroupe les 2 casquettes en une seule.

Que souhaitez-vous à la musique camerounaise et au makossa dont vous êtes un des purs produits ?
C’est dommage d’entendre aujourd’hui ne parler du Makossa que comme un vieux souvenir. A l’exception de quelques artistes qui continuent à en perpétuer la tradition. Qu’on le veuille ou non, le Makossa coulera toujours dans nos veines .Ne serait-ce que parce que nous sommes nés au sein de ses rythmes et ses mélodies et , ne pouvons nous en départir . Si j’ai pu faire carrière aux US, c’est entre autre parce que j’apportais ma culture dans toute forme de musique qui m’était donnée d’exécuter  et, je crois que c’est unes des raisons pour lesquelles les bassistes camerounais ont le vent en poupe depuis que le monde connait leur existence. Donc, le Makossa ne peut disparaître aussi facilement, sauf qu’il a pris différentes formes qui ne lui permettent plus de dominer l’Afrique comme il fut un temps jadis. La musique, c’est quelque chose de mystérieux et, ce que je souhaite aux musiciens camerounais, c’est de ne pas  mettre de limites dans leur expression culturelle.

Vous avez le mot de la fin
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J’ai été heureux et fier de voir le ballet national du Cameroun  au festival à Dakar. Il m’a non seulement replongé dans la réalité, dans la beauté et dans la richesse de notre culture, mais il a aussi été à mon avis une des attractions majeures du festival. Nous en avons autant à donner en musique, en peinture artistique, en littérature et j’en passe. BIG UP à tous….