Robin McKelle:”Alterations est un album de retouche, qui porte mon empreinte”

L’américaine fait son retour avec un nouvel album « Alterations ». Un album qui traduit toute la personnalité de Robin McKelle, par la direction prise, par le refus du cloisonnement, refus de soumission aux exigences commerciales. Un album d’une énergie débordante et positive, d’une audace et de prise de risques mesurée et assumée.

C’est en inconditionnel supporter que j’allais à sa rencontre, non pas pour l’interviewer ; mais pour converser. Car depuis ce soir d’août 2015 à Middelheim, par sa magistrale prestation et de sa sublime interprétation de son fameux « Heart Of Memphis », elle captivait d’autres âmes et cœurs.

C’est dire combien notre entrevue sera teintée de beaucoup d’objectivité subjective ou de subjectivité objective. Et c’est aussi bien ainsi d’ailleurs. L’objectivité n’a pas à avoir primauté sur l’essence même de la musique, qui est de parler à l’âme, au cœur, lorsqu’elle s’adresse surtout aux mélomanes. Et c’est ainsi que la musicienne Robin McKelle s’est projetée dans Alterations, prônant l’ouverture. De sa voix, elle a parcouru plusieurs styles, en empruntant à ces compositrices qui ont marqué et façonné la musicienne qu’elle est devenue. De la voix, parlons-en.

On compare la vôtre aux « grandes voix » de ces grandes artistes musiciennes noires. Qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas d’où me vient ma voix. En effet, j’ai eu vent de cette honorable comparaison. Mais, est-ce une question de couleur de peau au final ? Je crois que non. La voix est une question d’âme et de comment on souhaite transmettre les messages ou les choses. Fille de chanteuse, j’ai vu faire ma mère également. Mais en toute honnêteté, on peut techniquement contrôler sa voix; mais réussir à faire passer les émotions, je n’en sais rien. Raison pour laquelle, je redis, que c’est une question d’âme…

Alterations, comme titre, savez-vous que cela a pu et peut désarçonner plus d’un ?

Je sais maintenant que pour les francophones ou francophiles, ce mot a une connotation plutôt négative. Dans l’absolu, il est souvent impossible d’avoir un titre qui fasse l’unanimité. Selon chaque langue parlée, le mot peut prendre une signification différente. Comme nous étions dans le contexte de ma langue (l’anglais), ce titre ne signifie rien d’autre que : la différence. J’apporte une touche différente aux chansons (qui sont ici des reprises de ces femmes qui m’ont influencée ou inspirée en tant que compositrice), que j’ai empruntées. C’est une retouche, une modification dans mon style, en y apportant mon côté jazz, soul, rock etc…j’ai modifié les arrangements comme je le souhaitais, comme je me les représentais, pour qu’elles me ressemblent. Je leur donne à ces chansons, une seconde vie ; et le propre du jazz est d’apporter de la différence dans l’interprétation, bien que prenant dans l’existant.

Robin McKelle

On comprend donc mieux la référence à Joni Mitchell, lorsqu’elle affirme «N’importe qui peut reprendre mes chansons …Il faut accepter de prendre les mêmes risques que je prends… ». Est-ce ce qui a caractérisé votre démarche Robin ?

Je suis dans cette logique de prise de risques ce, depuis que j’ai décidé de faire de la musique, mon métier. Et il faut savoir compter également avec la réussite et parfois sans celle-ci. Rétrospectivement, il y a des choses que j’ai faites par le passé, lorsque je les écoute maintenant, je me dis…on aurait fait mieux ; mais bon, j’ai pris le risque. Pour avancer, la prise de risques est la solution. Il y a la peur de l’inconnue face aux besoins réels du quotidien. Et cette problématique concerne tout le monde et davantage les artistes. Car la question est : comment faire pour vivre de son art ? Esquisser le premier pas est toujours la chose la plus difficile. Lorsque j’ai décidé de me lancer comme artiste-musicienne, je laissais une certaine stabilité pour aller vers l’inconnue. Mon entourage ne comprenait pas mon choix. Seulement, j’étais la seule à savoir que ce choix, est ce qui fait de moi, ce que je suis ; car c’est ce que j’ai envie de faire et c’est ma voie. Je voulais être une artiste-musicienne et aujourd’hui, je ne le regrette pas. Tout n’est pas toujours rose ; mais je suis en parfaite harmonie avec moi-même.

Ce qui pouvait être un malentendu, une méprise, semble donc susciter un excellent débat qui ouvre vers d’autres perspectives. Loin d’être une dilution qualitative, Alterations, dans l’esprit de l’artiste, comme dans le fait, est une relecture, une reformulation avec sa vision propre. La prise de risque est palpable, réelle, mais bien assumée, par celle qui a donc choisi d’ouvrir ses Alterations par « Back to black ». Elle ne croyait plus beaucoup à ce qui est son essence de vie, son amour, son métier. L’idée d’abandon a été présente, et plus que prégnante. Mais la prise de risques, le goût du challenge, ont finalement pris le dessus. Et loin d’un ersatz comme pourrait laisser supposer le titre en français, l’album à paraître le 14 février prochain, s’extirpe des cloisonnements, des enfermements, pour nous offrir une Robin McKelle dans toute son altérité. En plus d’être une personne attachante, elle s’attache. Elle a du mal à laisser partir, entendez ici, à abandonner.

Racontez-nous donc dans quelles circonstances naît « Alterations » Robin.

Alterations, je précise, c’est l’idée de retouche, d’apporter ma touche personnelle dans les différentes interprétations de ces chansons empruntées aux unes et aux autres. Loin d’être du moins bon, c’est de la différence. J’ai passé des périodes un peu difficile sur un plan personnel, allant jusqu’à vouloir abandonner ce que j’aime le plus, la musique. Car les contraintes, les exigences extra-musicales, bref le business musical est de plus en plus oppressant. Il n’est pas toujours simple d’avoir ce que l’on souhaite. J’ai failli tout abandonner. Même mon manager m’a dit, si c’est la décision à prendre, alors, prends-là. Seulement, j’ai du mal à abandonner, l’amour des challenges font de moi ce que je suis. Ce n’est pas la musique en elle-même qui est oppressante ; mais plutôt tout le business autour. On vous balance les chiffres à n’en plus finir etc…Pour cet album, j’ai voulu faire quelque chose qui coïncide avec ma vision, avec les musiciens que je voulais. Cela n’a pas été évident et lorsqu’il s’agit des reprises, il faut des arrangements qui soient autres, spéciaux. Et heureusement, les musiciens qui ont joué avec moi en studio, étaient là pour accomplir cette vision et non pour des motivations financières. Mais cela n’a pas été une sinécure. Deux semaines avant les enregistrements, j’ai un problème d’extinction de voix, j’ai été malade et tutti quanti. Mais au final, tout s’est fait et bien et je suis fière du rendu.

Un album, sorte d’hommage aux femmes compositrices. Les influences qui viennent de toutes parts, de tous les univers. Une liste hétéroclite (Lana Del Rey, Sade, Amy Winehouse, Adele, Janis Joplin, Carole King, Billie Holiday, Joni Mitchell, ou Dolly Parton) qui d’apparence, semble éloigner l’artiste Robin McKelle de son terrain de prédilection. Que nenni ! Elle est plutôt conforme à l’idée de ce qu’elle se fait de la musique, à savoir : l’ouverture et non le cloisonnement. La chanteuse à la voix puissante et finement éraillée choisit pour cet album de reprises des subtils arrangements et harmonies jazz, soul, rock…

Comment fait-on le choix parmi les femmes compositrices qui existent ? A vous entendre parler, cela paraît évident.

Cet album est un acte de reconnaissance, un hommage à toutes ces femmes qui ont apporté directement ou indirectement, quelque chose à mon identité et ma personnalité en tant qu’artiste-musicienne. A l’âge de 12 ans, SADE était la première à me toucher en ayant écouté ce qu’elle faisait. Entre soul & harmonies de jazz et sa voix, tout cela était simple, mais d’une extrême beauté. On retrouve quasiment tout dans ce qu’elle faisait, groove, soul, jazz etc…Cela a suscité tout mon intérêt et je me suis dit : c’est ainsi que j’aimerais faire la musique. Les autres artistes sont également, celles qui ont eu une influence considérable sur moi. Ma mère qui est aussi musicienne, a beaucoup écouté Dolly Parton, surtout dans son duo avec Kenny Rogers. Je pense que le choix des chansons a été fait sur la base des paroles, des harmonies, des mélodies ; et par le fait que ce soient des compositrices et aussi des performers sur scène. Il y a beaucoup de chanteuses, mais peu de compositrices. Et par exemple Dolly Parton à qui j’ai emprunté Jolenne et Mercedez Benz, j’ai fait ressortir mon côté blues, soul et sudiste…exactement comme dans Heart of Memphis. En fait j’ai voulu cette diversité stylistique, pour montrer les sources qui ont fait de moi ce que je suis, même dans ma façon de chanter.

Lorsqu’on parle de Robin McKelle, il ne faut pas seulement voir la chanteuse à la voix percutante, contralto et expressive. Il faut aussi voir une musicienne qui maîtrise à merveille des pans de ce noble métier. De la production aux arrangements en passant par le chant, et la composition, la native de Rochester (New-York) fait montre de beaucoup d’habileté dans ces domaines. Et les arrangements sont, comme une fois de plus dans cet album, un de ses points forts.

Une fois de plus, vous signez les arrangements dans cet album, comme dans les précédents. Est-ce une façon pour vous de mettre en évidence ce côté que l’on semble ne pas voir ?

J’ai toujours fait des arrangements ce depuis mon deuxième album. Il est certes un peu plus compliqué de faire des arrangements pour de grands ensembles ; mais pour moi faire les arrangements coule de source. J’ai fait des études pour cela à Brooklyn. J’aime le piano, tout comme j’aime jouer avec les harmonies et le rythme pour m’orienter dans ma façon de chanter. La musique ce sont les accords, c’est l’harmonie, le rythme et la façon dont tout ceci est joué et agencé au final. Tenez par exemple, deux pianistes qui vont jouer la même chose, les mêmes accords. L’un va m’inspirer davantage et l’autre, peu ou pas…allez donc savoir pourquoi. Moi qui adore les collaborations, car cela me pousse à faire des choses différentes, je suis sensible à tout cela. Je sais qu’il est difficile de rencontrer des chanteurs ou chanteuses qui sont portés vers les arrangements. Moi j’ai fait des études d’arrangements, j’ai beaucoup travaillé cet aspect au contact d’autres musiciens également. Donc c’est normal de me retrouver dans ce registre. C’est ce qui fait la différence entre  musicien/ne et chanteur/se.

Quelle est votre réaction face à un autre pianiste que vous invitez à jouer dans votre album, vous étant également pianiste ?

C’est dur, je sais ! Comme tout musicien, lorsque je décide de faire intervenir un musicien dans mon travail, j’ai des attentes précises, puisque je sais déjà ce que je veux. Il peut être un super musicien, si cela ne matche pas…çà ne passe pas. Dans mes attentes, je recherche quelque chose de spécial, que l’autre devrait pouvoir m’apporter. Et le plus difficile est d’avoir quelqu’un qui joue comme vous visionnez, vous entendez, vous concevez votre musique. Il y a une chose d’être très bon musicien, et il y en a ; mais c’est aussi autre chose, que de soutenir une chanteuse, jouer comme l’autre souhaite l’entendre. J’observe tout de même que les musiciens de cette époque, ont néanmoins cette faculté à s’ouvrir à plusieurs styles et donc plus aptes à basculer du jazz à la soul etc…ce qui rend les choses un peu moins compliquées.

On ne le soulignera jamais assez comme l’attestent les propos de la concernée, Alterations est une ode aux compositrices, performers qui ont influencé sa trajectoire. C’est une reformulation, une modification à sa sauce. Huitième album qui installe Robin McKelle comme musicienne prolifique et top player. Mais faut-il voir dans ces 10 chansons, juste un simple hommage ? La réponse est non.  Et c’est en cela que le nouvel opus de l’ouragan de la scène, cette voix que l’on associe aux grandes voix noires, intéressera plus d’un mélomane ; car et c’est de plus en plus le cas aujourd’hui, la voix de l’audace de ces femmes, artistes ou autres, qui ne veulent plus céder aux injonctions farfelues. La voix du refus de la soumission aux injonctions de l’industrie musicale, c’est un album 100% émanation de la volonté de son auteur. Ainsi Robin :

D’abord c’est un album qui exprime ma maturité, ma confiance en moi et surtout par ma capacité à décider de ce que je veux et comment je veux le faire. Une fois de plus, ceci n’a rien à voir avec la musique en elle-même ; mais avec ce qui tourne autour. J’ai fait les choses comme Robin McKelle l’a souhaité. Musicalement, c’est différent dans les arrangements, c’est davantage plus féminin ; et aussi, j’ai voulu montrer mon côté interprétation assez divers avec une palette vocale variée. J’ai réussi dans cet album, à reproduire vocalement, ce que je fais sur scènes.  C’est un album dans lequel,  je retranscris mes émotions, mes expressions, dans leur pureté.