Me.NGO MBEM:”Mieux qu’une leçon…”

Avocate spécialisée en droit de la propriété intellectuelle au Barreau de Paris, Stéphanie NGO MBEM qui est également enseignante d’université revient sur l’épisode ’’Shakira-Zangalewa’’ et nous livre son regard de mélomane avertie et, bien plus, celui de juriste spécialiste.

Bonjour Maître, je suppose qu’en tant que mélomane et observatrice de la vie culturelle, vous suivez l’affaire de « l’emprunt » par la colombienne Shakira, du morceau des Golden-Sounds, hymne de la Coupe du monde.
J’ai en effet été informée par la presse de l’utilisation du titre « Zangalewa » dans la chanson officielle de la FIFA pour la Coupe du monde de football qui vient de s’achever en Afrique du Sud. En tant que camerounaise, j’ai bien évidemment eu un sentiment de joie et de fierté de savoir qu’un titre qui nous a réjoui dans les années 80 est repris par Shakira, une chanteuse de renommée internationale. Mais une fois remis de ces émotions, on se pose nécessairement, en tant que spécialiste des questions de propriété intellectuelle, la question de savoir si le groupe Golden Sounds, ou du moins l’auteur, ou les co-auteurs, de ce titre a reçu une rémunération à la hauteur de son exploitation planétaire dans le cadre de l’évènement sportif le plus suivi au monde.

Maître, expliquez-nous donc sur le plan juridique, ce qui se passe réellement. Le manager du groupe Didier Edo dit qu’il n’y a pas plagiat, pas de lésion. Quelle est la qualification juridique de ce qui se déroule ?
Le plagiat dans le langage courant est défini comme étant le fait de s’approprier le travail créatif d’un autre et de le présenter comme sien. Dans le langage juridique cet acte n’est rien d’autre qu’une exploitation d’une œuvre sans l’autorisation de son auteur, qualifiée de contrefaçon. S’il est établi que Shakira ou les auteurs/compositeurs de la chanson officielle de la Coupe du monde de football ont réalisé et diffusé une œuvre musicale (« Waka Waka ») sans requérir préalablement l’autorisation des titulaires des droits sur l’œuvre d’origine (« Zangalewa ») sur laquelle elle s’appuie pour une bonne part, on est bel et bien, dans ce cas, en présence d’une contrefaçon de droit d’auteur communément appelée plagiat.

A la lecture des différentes interventions, on a l’impression que la chanteuse colombienne est confortée par une sorte d’impunité qui l’aurait poussée à agir. Pourquoi note-t-on toujours ce sentiment lorsqu’il s’agit du plagiat des artistes africains ? Nos législations sont-elles muettes ou sont-ce nos artistes qui ne sont pas assez sensibilisés ?
Je ne parlerais pas d’impunité puisque Manu Dibango a eu gain de cause à l’issue des poursuites intentées contre Michael Jackson du fait de l’exploitation non autorisée du refrain du titre « Soul Makossa ». André Marie Talla, il me semble, a également remporté son procès contre James Brown à cause de l’utilisation illicite de « Hot Koki ». Ce n’est pas non plus une question de législation puisque la loi camerounaise sur le droit d’auteur et les droits voisins prévoit et sanctionne clairement les faits de contrefaçon, d’autant plus que dans ces procédures ce n’est pas nécessairement le droit camerounais d’auteur qui est en cause, notamment lorsque la contrefaçon est réalisée ou constatée dans un autre pays. Le problème pourrait plutôt provenir de l’absence de sensibilisation des auteurs et aussi du défaut ou de l’insuffisance de dispositifs et/ou de structures permettant une meilleure gestion et un contrôle efficace de l’exploitation des droits des artistes.

Quelle est la procédure ou la démarche qu’aurait adoptée la colombienne pour éviter cet imbroglio ?
Se rapprocher du ou des titulaires des droits sur le titre « Zangalewa » pour obtenir une autorisation préalablement à toute exploitation.
Pensez-vous que le groupe ait adopté une meilleure voie pour faire valoir ses droits ?
Un adage juridique dit qu’il vaut mieux transiger que plaider. La voie amiable est très souvent conseillée par rapport à la procédure devant les juges, puisqu’elle permet de gagner du temps et de réduire les coûts que pourrait engendrer un procès long et épuisant pour les deux parties devant les tribunaux. D’après la presse, le groupe Golden Sounds aurait choisi de régler à l’amiable ce litige. Cette voie me paraît tout à fait appropriée au cas d’espèce, sous réserve toutefois de bien négocier les conditions de rémunération de l’exploitation des droits et de réparation du préjudice pour atteinte au droit d’auteur.

En principe, quelles sont les modalités de rémunération à verser au groupe Golden Sounds ?
Les auteurs de la chanson officielle de la Coupe du monde de football ont repris la chanson « Zangalewa » en y apportant quelques variations et modifications. L’œuvre musicale chantée par Shakira est donc une adaptation du titre camerounais. Dans un tel cas, les titulaires de droits sont en principe rémunérés à partir d’un pourcentage sur les recettes d’exploitation de l’œuvre. Toutefois, l’accord qui aurait été passé entre les auteurs du titre « Zangalewa » (ou leurs ayants droit) et leurs exploitants étant vraisemblablement un contrat international, au moins du fait de la domiciliation des parties concernées dans des pays différents, il y a plus de flexibilité pour la fixation des conditions de rémunération ou de la loi applicable à leur détermination. Les parties dans ce cas peuvent en effet opter pour l’application de la loi camerounaise, française, ou même américaine du droit d’auteur, selon les intérêts que chacun entend préserver. Par ailleurs, le préjudice résultant de la contrefaçon, qui me paraît constitué en l’espèce, étant établi du simple fait de l’atteinte au droit d’auteur, on pourrait également envisager sa réparation par le paiement de dommages-intérêts.

Quelles leçons tirer de cette nième affaire par nos artistes ?
Mieux qu’une leçon, cette affaire devrait plutôt susciter de l’espoir pour nos artistes qui, pour la plupart, ont beaucoup de mal à vivre de leur art. Le Groupe Golden Sounds, par l’exploitation du titre « Zangalewa » pour la chanson officielle de la FIFA, a une juteuse occasion d’en tirer d’importants revenus. Le clip de cette chanson a déjà été visionné par près de 110 millions d’internautes sur You Tube. C’est tout dire sur son potentiel de rentabilité financière.