Léonora Miano et “Ces âmes chagrines”

miano1Qu’est-ce qui a inspiré cette œuvre
La toute première version de ce roman a été écrite il y a bientôt dix ans, à une époque où je me regardais un peu le nombril, je crois. Mes conditions de vie étaient assez précaires et j’avais l’impression d’étouffer. Ce contexte n’était pas vraiment favorable à la production d’œuvres aussi tournées vers le groupe, la communauté, que le sont mes textes les plus connus. Tels des astres éteints était déjà en gestation dans mon esprit, mais je n’étais pas encore en mesure de mener ce travail à bien. J’ai donc écrit un roman très intimiste, qui s’intitulait alors Nos chagrins et nos chaînes.

À l’époque, les textes mettant en présence des personnages noirs vivant en Europe sans être caricaturaux n’intéressaient pas trop les éditeurs. Aujourd’hui, les choses sont différentes, et je peux donc proposer au public ce roman de « jeunesse », à travers lequel on découvre comment mon univers d’auteur s’est peu à peu construit. Ce qui a inspiré le texte, ce sont les questions que je me posais, à l’époque, sur la mauvaise qualité des échanges familiaux dans nos populations. Beaucoup de choses sont fréquemment passées sous silence. Les êtres les plus proches ne savent pas toujours communiquer les uns avec les autres. De fait, cela crée des familles au sein desquelles les individus sont isolés et incompris. Ces âmes chagrines parle de cela.

La matérialisation de l’œuvre
Cela fait maintenant un moment que j’avais envie de proposer ce texte. Bien sûr, j’ai mûri depuis l’époque de la première version. Il a donc fallu le corriger, le dépouiller aussi de certains anachronismes, mieux travailler les personnages que Nos chagrins et nos chaînes laissait en retrait. Au début, c’est à un éditeur de romans pour la jeunesse que j’ai soumis une version corrigée. Cela lui a paru trop complexe pour des jeunes, ce dont je doute. C’est un de mes livres les plus accessibles, les moins anxiogènes…

En principe, c’est Paris’ Boogie, la suite de Blues pour Elise, que je souhaitais offrir au public cette année. Pour une raison qui m’échappe encore, mon éditeur a jugé que ce n’était pas le moment. C’est ainsi que Ces âmes chagrines a été choisi pour être publié à la rentrée littéraire 2011.

Contexte de rédaction
C’est en février de cette année, alors que je me trouvais à Douala pour animer un atelier d’écriture intitulé Du New negro à l’Africain nouveau, que j’ai mis la dernière main aux corrections du roman.  En dehors de mon travail avec les lycéens qui ont participé à cet atelier, j’avais énormément de temps libre.

Je crois que les passages se déroulant dans un décor subsaharien sont assez réussis, puisque je baignais dans l’ambiance du pays pendant que j’écrivais. Plus globalement, j’ai voulu impulser au texte un rythme un peu plus vif que d’habitude, surtout dans les parties se déroulant dans un décor européen.

LEONORA

Anecdotes et coulisses.
Rien de spécial… Il faudra le lire pour comprendre pourquoi l’ouvrage est dédié au peuple sawa. Je témoigne mon affection à cette population à ma manière… Lorsque j’ai conçu ce texte, le Mboasu n’était pas totalement imaginaire dans mon esprit. Il s’agit, dans ce roman comme dans les autres, d’un espace fictionnel, mais il emprunte une partie de son histoire au Cameroun. Les Camerounais pourront donc aisément se projeter dans l’histoire. La langue duala est utilisée telle quelle, par exemple.

Un petit résumé de cette œuvre.
Le texte est dense et difficile à résumer… Chacun des personnages principaux est mis en relief. Je n’aime pas écrire des romans, mêmes intimistes, qui se focalisent sur un seul individu. Nous n’existons qu’au milieu des autres. Cependant, pour résumer valablement un texte, il faut choisir un axe unique.

Disons donc que le roman raconte l’histoire d’Antoine Kingué, un jeune homme d’une trentaine d’années qui habite une ville qui ressemble beaucoup à Paris. Antoine n’est pas sympathique au premier abord. C’est un être froid en apparence, assez cynique. Il est obsédé par son physique, caresse le désir de devenir une vedette de la mode ou de la télévision.

En réalité, on découvre que ce jeune homme beau et brillant,  abrite une blessure d’enfance dont il ne parvient pas à guérir. Quand il avait sept ans, Thamar, sa mère, a décidé de l’éloigner d’elle parce qu’elle vivait avec un homme que l’enfant dérangeait. Elle l’a mis en pension pendant l’année scolaire, l’a envoyé au Mboasu pendant les grandes vacances, ce qu’il a vécu comme une punition.

En terre subsaharienne, Antoine a vécu, tous les étés, dans la maison de Modi, sa grand-mère. Là, il a fait la connaissance des enfants que Thamar avait eu avant lui, notamment celle de Maxime, son aîné. Au début du roman, Antoine et Maxime vivent tous les deux en Europe. Antoine, qui est né là, dispose d’une carte d’identité hexagonale qu’il loue à son frère sans-papiers. Il malmène également Thamar, leur mère, espérant ainsi se venger de son enfance malheureuse.

Son univers s’effiloche, quand Maxime décide de rentrer au Mboasu, et d’y emmener Thamar. Antoine est brutalement placé face à son existence et à ses choix.