Le Jazz de Joël Mpah Dooh, de la frustration à l’exaltation.
Voir Joël Mpah Dooh esquisser le pas de danse ce 30 avril 2022, nous révèle toute la personnalité de cet artiste. Ce n’est peut-être pas l’art dans lequel il excelle ; mais en dit long sur la personnalité de ce sculpteur. Son pas de danse et la joie visible sur son visage étaient carrément l’expression de sa victoire sur l’interdit. Ils nous disent qu’on ne saurait détourner ce qui est établi par ces vibrations dont on ne voit que les effets, pour ne pas dire par ces forces divines. Il en est ainsi du parcours de cet homme, dont la volonté humaine voulait écarter de son art, de sa nature profonde.
La sculpture chez Joël Mpah Dooh a également quelque chose de musical, si elle n’est tout simplement pas la traduction de sa musicalité. C’est, à n’en pas douter, sa façon à lui d’exprimer l’âme musicale qui en lui sommeille. Artiste brimé, inhibé ? Jacky (de son petit nom) a certainement connu la frustration de beaucoup d’enfants dont le destin, l’envie s’oppose aux aspirations parentales, et notamment paternelles. Les mères étant un peu plus souples et dans la compréhension des choix de leurs progénitures.
La loi doit forcément être d’ordre spirituel, on devient qui on est et naît. Et Joël Mpah Dooh est né artiste. Et le présent montre que rien ne pouvait l’empêcher de le devenir. Toutes les adversités, tous les obstacles en chemin, étaient des étapes sur ce parcours et concourraient à la réalisation de qui il est aujourd’hui. Ce sculpteur et féru de jazz. Ce sculpteur dont la musique, inconsciemment ou pas, inspire le travail.
Sa proximité avec la musique ne souffre d’aucun doute. Seulement, le couloir musical, et la nature ayant agencée les choses, était déjà occupé, et bien, par son défunt oncle Bebaa (Ekambi Brillant). Nous ne saurons imaginer qu’elle aurait été la nature d’une telle cohabitation (concurrence) au sein de la famille. Mais comme tout ce qui est sous le sceau du divin est bien fait, les deux arts ont trouvé dans cet environnement, deux représentants de bonne facture, et c’est bien ainsi.
Joël Mpah Dooh aurait-il pu s’exprimer dans l’art musical avec le même brio que dans la sculpture ? Peut-être, peut-être pas. Mais une chose est certaine, s’il sublime la sculpture comme il le fait, c’est qu’il est d’abord artiste dans ses vibrations et que la musique irrigue sa pensée sculpturale. Loin d’une collection discographique d’un mélomane, la sienne correspond à celle d’un initié en la matière. Et c’est aussi à juste titre que, lorsqu’il aborde le sujet, surtout dans le jazz, le propos est structuré et empreint d’une certaine érudition.
Une petite anecdote. Alors que mes apprentissages à moi, mes premières coudées dans la musique jazz étaient à leurs balbutiements, un de ses jeunes frères nous parlait déjà de Sadao Watanabé et autres jazzmen dont j’ignorais l’existence, au lycée. Je découvrais quelques temps, que c’est Jacky qui se cachait derrière les connaissances musicales de son jeune frère. Car ses disques occupaient un coin de l’espace parental à Bali (quartier de la ville de Douala). Quand je le rencontre pour la première fois, intérieurement, je l’appelais monsieur Sadao Watanabé…c’est vous dire, l’influence qu’il a également eu sur moi à travers la verve de son jeune frère.
Accueillant une partie du festival jazz le 30 avril dernier dans l’enceinte de WEMAHART, magnifique résidence d’artistes située à Bonendalé et dont il est le promoteur, Joël Mpah Dooh n’exprimait en réalité qu’un autre volet de sa personnalité artistique très profonde mais ignorée. Cet individu qui décrit ou parle de la musique en la sculptant.
Si vous voulez voir s’illuminer le visage de cet artiste, qu’il vous manque de sujets de discussion dans son art; n’hésitez pas à aborder le volet musical et surtout le jazz. Vous serez surpris d’en apprendre beaucoup ; car sa collection, bien qu’entamée par divers événements, reste conséquente et instructive. Affable, le verbe haut perché, avenant, vous aurez d’interminables discussions autour du jazz.
Oui, ce pas de danse et le sourire qu’arborait son visage ce soir d’avril 2022, étaient le signe d’un homme dans une espèce de félicité, baignant dans la plénitude car dans son élément. C’était le symbole de sa victoire sur les contraintes. N’est-ce pas Wayne Shorter, aussi disparu il y a quelques jours et que Jacky doit sûrement adorer, qui nous apprenait : “What ever you do, never, never give up.”
Disons donc salut l’artiste !