Gino Sitson : « Ma musique est l’expression d’un esprit libre »

Gino Sitson est un prince de Bazou (Cameroun) à l’accent toulousain installé à New-York qui chante a cappella ! Ça vous donne une idée de la palette de ce vocaliste inclassable qui vient de sortir « Voistrings »-Buda Musique/Universal France.

Pouvez-vous vous présenter?
Je suis compositeur, vocaliste et chercheur en musicologie. Je vis à Manhattan depuis quinze ans. Je viens d’une famille de musiciens. Je suis issu de la lignée Ntonta, joueurs d’instruments à vent. Et aussi d’une lignée princière, à Bazou dans le Ndé, à l’ouest du Cameroun.

Comment vous êtes vous intéressé à la musique?
Grâce à mes parents. Ma mère est chanteuse d’église, mon père jouait de la flûte et lisait la musique. Ils écoutaient du blues, du jazz, des musiques traditionnelles, des chants grégoriens… Je me suis très tôt intéressé à la voix. Avec l’un de mes frères aînés, actuellement diplomate à l’ONU, enfants on s’amusait à faire des sons avec nos jouets et avec nos voix. Adolescent, je me suis aussi intéressé à la batterie.

J’ai grandi dans un environnement où on lisait beaucoup ; mon père était même un latiniste. Cela pourrait sembler n’avoir aucun lien avec votre question. Mais en fait j’ai toujours envisagé la littérature, dont j’étais féru, comme de la musique. Je parle d’ailleurs souvent de la « musique des mots ». Et je m’interroge : comment sonne un ouvrage ? Comment dansent les mots ?

GinoQu’il y a t-il dans votre premier album « Vocal Deliria »?
«Vocal Deliria », enregistré en 1995 à Paris, était une forme d’exutoire. Étymologiquement, délirer signifie s’écarter du sillon. Il était question pour moi de sortir du carcan balisé du chant pour m’exprimer d’une autre manière. J’avais envie de me présenter et de parler de mes émotions musicales à travers mes cordes vocales.

C’est un album entièrement a cappella. Avec juste une voix, la mienne. Et un saxophone soprano sur quatre titres. Ce disque sortait un peu des sentiers battus… Il a connu une belle reconnaissance médiatique. En France, mais pas seulement. À ma grande surprise, le morceau « Makalapati » a connu un succès populaire au Cameroun et en Côte d’Ivoire.

D’où vient votre goût pour la polyrythmie?
La pratique de la batterie et des percussions dans mon enfance a sans doute contribué à ce goût pour la polyrythmie. À cela s’ajoute l’influence des chants religieux et des polyrythmies présentes dans certaines musiques traditionnelles du Cameroun. Au départ, ces influences étaient inconscientes.

Mais je n’ai pas seulement un goût pour la polyrythmie. Je m’intéresse à toute forme d’esthétique musicale. Ma musique est l’expression d’un esprit libre. Mon goût pour la polyrythmie se situe en droite ligne de ma fascination pour la compréhension de l’objet sonore et de sa complexité.

Vous avez joué avec des pointures comme Bobby McFerrin
Oui. J’ai aussi joué avec d’autres « pointures », très connues ou méconnues. Les expériences vécues aux côtés de différents musiciens ont façonné ma perception de la musique. J’ai joué avec Bobby. Il m’a aussi sollicité pour un documentaire sur l’instinct musical [The Music Instinct. Science and Song, 2008, PBS] – avec Daniel Levitin, Oliver Sacks, Daniel Barenboim, Yo-Yo Ma… Participer à ce documentaire, qui associe les sciences cognitives à la musique, m’a donné envie de me replonger dans la recherche académique. De travailler sur quelques problématiques qui m’interpellent – l’émotion musicale, la perception, la mémoire… D’interroger certaines frontières.

Et Manu Dibango?
J’ai joué avec Manu Dibango quand je vivais à Paris. C’est une légende. J’ai beaucoup appris avec lui. C’est passionnant de travailler à ses côtés. De l’observer. Gérer un orchestre, ce n’est pas facile… Il a un côté blagueur parfois, mais il est très rigoureux. J’ai une tendresse particulière pour lui. C’est quelqu’un d’une culture et d’une intelligence rares. J’admire son parcours.

Que vous a apporté votre expérience parisienne?
C’est une étape importante dans mon parcours, qui m’a permis de poser les jalons de ma démarche, de ma vision des choses. J’ai joué avec des artistes de divers horizons musicaux. On pourrait dire que d’une certaine manière, les clubs de jazz parisiens m’ont forgé – Petit Journal Montparnasse, Duc des Lombards, Sunset, Latitude Jazz Club, Baiser Salé, New Morning…

D’où vient selon vous cette appétence des musiciens camerounais pour le jazz?
C’est une question difficile. Le Cameroun porte en lui une pléiade de cultures. Il y a une diversité musicale insoupçonnable dans ce pays, riche de talents. Cette diversité est sans doute à l’origine de l’ouverture musicale qui caractérise le peuple camerounais.

Pourquoi avoir déménagé à New York?
Il me fallait franchir une étape. La vie est une suite d’apprentissages. Je voulais voir autre chose, me confronter à d’autres personnes, d’autres éléments, d’autres façons de pratiquer la musique. Je me suis aussi installé aux États-Unis pour des raisons familiales. J’avais besoin de me rapprocher de ma famille. Vivre à New York, dans la ville du jazz, c’est vivre dans un lieu qui déborde d’énergie, un lieu extrêmement stimulant. Cela me convient parfaitement. Je n’idéalise pas pour autant les États-Unis.

Votre album « Song Zin’ Vocadelic tales » a été salué par le Los Angeles Times.
Cet album a été sélectionné par le Los Angeles Times parmi les dix meilleurs disques jazz de l’année 2002. D’autres journaux se sont aussi intéressés à cet opus, notamment le New York Times et Jazz Times. « Song Zin’ Vocadelic tales » m’a permis de m’installer dans l’univers musical américain. C’est un album déterminant dans ma carrière. Qui m’a ouvert de nombreuses portes.

L’album « Bamisphère » de 2003 reflète votre identité plurielle
Dans « Bamisphère », j’évoque mes racines plurielles, des racines nomades. J’y décline une part de mon identité. Je raconte ce que j’ai vu et ma façon de vivre la musique. C’est le premier album que j’ai enregistré à New York. Avec Ron Carter, Jeff « Tain » Watts, Helio Alves et Essiet Essiet.

Il y a sur l’album un invité prestigieux, le contrebassiste Ron Carter
Travailler avec lui a été pour moi une expérience très forte. La séance d’enregistrement en studio s’est déroulée avec simplicité, intensité et respect. Ron Carter est une légende du jazz d’une exigence sans pareil. Il a eu des propos très élogieux sur mon travail. Il a par la suite déclaré, dans un entretien publié dans un ouvrage, que je suis le seul artiste du continent africain avec qui il a travaillé. J’avoue que je ne le savais pas.

Sur votre dernier album « Voistrings »,  vous avez un autre très bon bassiste: Lonnie Plaxico
Il joue dans mon groupe depuis 2004. C’est un excellent musicien, doté d’une culture extraordinaire. Lonnie est d’une discrétion et d’une humilité incroyables, qualités devenues rares. On a co-écrit un morceau : « Youp kwi ». Lonnie m’a assisté dans la réalisation de cet album. J’apprends beaucoup à son contact.

Dans « Voistrings », il y a une belle brochette de musiciens. Willard Dyson à la batterie et Helio Alves au piano – avec qui je travaille depuis plus de dix ans. Quand je joue avec eux et avec Lonnie Plaxico, c’est comme si on respirait ensemble. (Rires) Il y a aussi la violoncelliste Jody Redhage et l’altiste Lev Ljova Zhurbin. Sans oublier la vocaliste Charenee Wade, qui sort d’ici peu un excellent album consacré au répertoire de Gil Scott-Heron.

Quelle est l’idée de « Voistrings »?
L’idée était de réunir autour de ma voix des instruments à cordes – contrebasse, violoncelle, alto. J’ai toujours pensé que ces instruments à cordes étaient très proches de la voix humaine. D’où ce mariage évident qui s’imposait à moi. J’y ai associé le piano et la batterie sur quelques thèmes.

Dans cet album, se côtoient des univers qui m’ont toujours passionnés. Outre mes propres compositions, on y trouve un thème de Herbie Hancock, Maiden Voyage. Et puis un arrangement d’une pièce de Gabriel Fauré (Élégie Opus 24) que j’ai écrit pour les trois instruments à cordes que je viens de citer. Le disque comporte 16 titres.
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Quels sont vos projets?
Je serai en tournée en Europe du 20 avril au 30 mai – Autriche, Allemagne, Suisse, France… À mon retour, je donnerai un concert à New York. Une tournée nord-américaine est prévue à la rentrée – États-Unis et Canada. Je serai aussi en tournée au mois de septembre dans la Caraïbe autour d’un nouveau projet en trio, Réminiscence. Codirigé par Alain Jean-Marie, René Geoffroy et moi-même. D’autres projets sont en gestation.

En savoir plus:
http://www.ginositson.com/
Le 8 mai 2015 au Petit Journal Montparnasse à Paris
https://www.youtube.com/watch?v=gPesxjloTho
https://www.youtube.com/watch?v=L4Nzr7RwCYY
https://www.youtube.com/watch?v=zitznJd6i70