Chico César: “Il est impératif et plus que temps, que nos subjectivités se conjuguent collectivement au service de la décolonisation du monde.”

 l’homme qui veut demeurer fidèle à la justice doit se faire incessamment infidèle aux injustices inépuisablement triomphantes.

Charles Peguy

Vestido de Amor, le nouvel album de Chico César à officiellement paraître le 23 septembre prochain (Zamora Prod), résonne comme le symbole, le porte-voix de cette fidélité à des causes justes. Un album qui prône la vigilance, l’empathie et une certaine révolution des mentalités. Une empathie et une vigilance de tous les instants mises à mal par la cupidité, la rapacité de quelques entités interlopes qui, tels des charognards, agissent, s’épanouissent et se réjouissent dans le chaos qu’elles engendrent doctement.

En allant à la rencontre de Chico César, j’allais rechercher ce que ne dévoilait pas une allégorie à la fois aussi légère que profonde, qui sert de titre à son opus. Chercher à comprendre comment une telle subjectivité peut investir un collectif pour le bien-être de l’humanité. Au pas de la porte d’entrée de notre lieu de rendez-vous,  j’ai eu la confirmation que j’avais à faire à un monsieur d’une extrême perspicacité et la suite de l’entrevue le confirmera. Chico César sera en concert à Marseille (le 13 octobre à l’espace Julien) puis le 14 octobre à Paris au Café De La Danse.

Tout en vous remerciant de me recevoir Chico et de faire votre connaissance. Si on vous demandait de dresser un état des lieux du monde en quelques mots, que diriez-vous ?

Je pense que le monde traverse aujourd’hui un moment particulièrement propice car l’un des grands problèmes du monde est la colonisation et nous vivons maintenant un moment de décolonisation où les corps colonisés, les cultures soumises à la force et au pouvoir du colonisateur, se libèrent réellement…

Et quand je dis corps colonisés, je ne parle pas seulement des corps noirs et indigènes d’Afrique et d’Amérique, mais je parle aussi des corps des femmes, des corps des homosexuels, des bisexuels, des asexuels, des corps qui veulent et éprouvent le désir de se transformer en d’autres corps, c’est donc un moment très riche car tout ce qui a été soumis, dominé,  se rebelle maintenant et commence à trouver de l’espace pour se décoloniser, vivre sa pleine liberté et s’épanouir.

Le constat que vous faites du monde actuel, l’est-il avant ou post la pandémie Covid ?

 Ce constat est établi avant le Covid.  Mais je pense que cette pandémie a accentué chez une partie importante de l’humanité, le désir de justice, parce que le virus n’était qu’un autre élément d’oppression pour de nombreux groupes au Brésil. Quand ils me demandent : comment vis-tu la pandémie?   Je réponds : pour nous, les descendants d’Africains, des indigènes, pour les femmes, les homosexuels, la vie a toujours été une pandémie…

Chaque vie, chaque histoire du Brésil est une pandémie parce que nous vivons toujours la maladie de manque de lieu d’expression, alors plus que jamais le virus a réveillé le désir de justice, le désir de se faire enfin une place dans le monde.

Il n’est donc pas faux, de penser et de dire, que c’est fort de tous ces éléments que “Vestido de Amor”, votre nouvel opus, s’inspire.

Avec “Vestido De Amor“, je veux dire qu’il est temps d’enlever les vêtements visibles, d’enlever les vêtements que nous achetons dans les magasins Zara, chez Gaultier, et laisser les vêtements de l’âme nous habiller, laisser ces vêtements nous habiller tous avec humanité…

C’est révolutionnaire. J’ai fait cette chanson pendant la pandémie, j’ai commencé à l’écrire au Brésil et je l’ai finie en Uruguay (j’y ai passé 3 mois puis je suis venu ici (France) pour faire l’album)… donc c’est une chanson faite à une époque de grande oppression de l’humanité en de quarantaine, de confinement mais qui amène cette envie pour chacun de se laisser habiller de l’intérieur vers l’extérieur et d’enlever les vêtements qui nous ont été imposés.

Chico César ©Tribune2lartiste

Quand je vous écoute, et par rapport au contexte, j’ai la nette impression que cet album revêt une saveur particulière à vos yeux, par rapport à vos autres albums. Est-ce le cas ?

Il a une saveur particulière… C’est mon premier album entièrement réalisé hors du Brésil, dans un autre pays ; En quelque sorte, un album de migrant mais un migrant qui est là où il aimerait être. J’ai été invité par Zamora Productions à venir enregistrer l’album ici et c’est la première fois que je fais un album complètement en dehors du Brésil,  avec un producteur non brésilien, M. Jean Lamoot. Aussi, avec des musiciens brésiliens, africains, français, avec une très forte présence d’une sonorité que j’ai toujours voulu avoir dans ma musique et cette forte présence africaine.

Vous avez du coup répondu à la question suivante (rires…). La forte présence de musiciens africains : Ray Lema, Salif Keita, Étienne Mbappé, Seckou Kouyaté, pour ne pas tous les nommer. J’ai la nette impression, qu’il y a une autre raison plus profonde qui explique leur présence massive dans cet album. Ce n’est pas une invitation, comme un musicien inviterait un autre à venir collaborer…

Malgré le fait d’être une nation afro diasporique, le Brésil vit ou a longtemps vécu avec le dos tourné à l’Afrique. L’Afrique était là mais le Brésil regardait toujours l’Amérique du Nord, l’Europe et ne regardait jamais beaucoup l’Afrique. Cette géopolitique de désaffections nous a longtemps empêchés non seulement de voir l’autre, de voir l’Africain, mais aussi de ne pas nous voir car d’une certaine manière nous sommes aussi des Africains transformés ou bouleversés.

Et quand pour la première fois j’ai écouté  Salif Keita dans une cassette en Espagne allant de Barcelone à Arnedo dans La Rioja, je ne savais pas ce que c’était… J’ai été enchanté par la voix, par le son et cela m’a profondément marqué. A la fin des années 80 et un peu plus tard j’ai écrit une chanson qui s’appelle : “A Primeira Vista” ou je dis : Quand j’ai entendu Salif Keita, j’ai dansé.. parce que j’avais besoin à ce moment-là en quelque sorte de célébrer l’existence de cet homme, ou de ce continent à travers cet homme, cet artiste. Et aussi, ma chanson la plus connue s’appelle” Mamma Africa“, donc il y a toujours eu en moi une grande envie de me rapprocher de plus en plus et de la musique et des artistes africains ; et je sais que j’ai encore à découvrir.

Ray Lema, dès que je l’ai rencontré nous sommes devenus des amis inséparables et nous collaborons toujours, nous faisons de la musique ensemble… Donc, faire ce disque maintenant en France m’a donné l’opportunité de les avoir près de moi et Ray a amené sa famille, ses musiciens, Etienne Mbappé, Dharil Esso,  pour rejoindre cette musique du Nord-Est du Brésil, « Coco », le « Baião », le « Forró » avec la Rumba Congolaise. Parce que Ray Lema m’a aussi montré que le roi de la musique du nord-est du Brésil, Luis Gonzaga,  est l’artiste le plus africain du Brésil. Donc c’est la musique de ma région et d’une certaine manière ils ont toujours été là. Mais sur cet album, leur présence est davantage percutante, pertinente et beaucoup plus de force, plus de clarté.

Chico César ©Ana Lefaux

Avez-vous déjà visité l’Afrique ?

Oui. J’étais avec Ray Lema en Afrique du Sud, nous avons faire l’ouverture d’un théâtre au Cap, nous y avons joué deux jours ensemble et j’ai été seul quelques fois au Cap-Vert et aussi au Sénégal, au Festival de Saint Louis.

Quels sont les moteurs des titres avec Ray Lema, Salif Keita ?

Sobrehumano“, la chanson que j’ai faite avec Salif, c’est une chanson sur la pandémie elle-même, dans laquelle je dis qu’en ce moment, ce mal qui s’abat sur l’humanité est surhumain.  Il est relié à tout, la nature, il n’y a pas que l’humain qui est au dessus de nous et quand je l’ai composée, je voyais déjà un peu en écoutant la façon de chanter de Salif…

Le titre “Xango Forró e Ai” parle justement de la présence d’influences africaines vivantes en nous, pas de quelque chose qui est dans le passé, mais qui est actuel, factuel même. Le son de la flûte, la façon de danser, tout tourne autour de ça.

Xango est une divinité de la religion Afro-Brésilienne “Camdomblé“, le Forró est notre danse et Ai est genre : ça va, personne ne me retiendra…

Si on devait résumer, que souhaiteriez-vous que l’on retienne de ce magnifique album qu’est : “Vestido de Amor” ?

Nous avons tous une force subjective interne très forte et quand cette force subjective rejoint d’autres forces, Ces subjectivités, collectivement prises deviennent imparables, imbattables et invincibles. Il est donc impératif et plus que temps que nos subjectivités se conjuguent collectivement, de les mettre au service de la décolonisation du monde.