Buika : « Vivir Sin Miedo est à la fois une déclaration d’amour et un acte de rébellion»

Il n y a pas meilleure méthode, pour distinguer les véritables effluves d’un corps quelconque, que de s’en approcher. Pour certains, il faut aller jusqu’à les secouer pour qu’ils dévoilent leur parfum. Nous rappelle une sagesse bien africaine.

De ses nombreuses interventions, radio ou télévisées, le mot Universel est toujours revenu dans son propos, il est omniprésent. Il est encore retentissant lorsque survient l’inévitable question ou remarque qui renvoie à son africanité. Née à Palma de Majorque de parents africains (Guinée Équatoriale); peut-être encore mieux que les individus dits de « souches », elle exporte, magnifie et incarne la culture de son pays de naissance…de l’environnement qui l’a fait et vu grandir. Elle qui dans son adolescence, avait pris l’habitude de sortir des codes. Les africains la trouvant trop espagnole et les espagnols ne voyant qu’une africaine comme une autre.

Universel, ce mot qui parfois sert d’esquive pour beaucoup. Ce mot bouclier pour éviter d’être renvoyé à ses origines. Au lieu d’être le carrefour de la richesse et de la célébration des diversités, l’universel est devenu un refuge du refus de l’identité, un tombeau de l’identité non assumée. Pourtant, Kitailo (son nom bubi et elle y tient), n’a de cesse de lutter pour que ne s’éteigne définitivement la flamme qui alimente sa racine. Son bras gauche porte les témoignages de ce combat de rester soi-même, tout en allant vers les autres.

Avec la sortie de son nouvel album « Vivir Sin Miedo », nous avons saisi l’occasion pour aller à sa rencontre et comprendre quel sens, elle donne au mot universel et comprendre le Vivir sin Miedo. Nous avons rencontré une conquérante, une femme d’une profondeur insoupçonnée et pour qui Universel rime avec Afrique. Une artiste au carrefour des apports et qui célèbre l’universel de la diversité. Une personne d’une grande gentillesse et d’une gentille timidité.

©Tribune2lartiste.com/Buika
©Tribune2lartiste.com/Buika

 

Buika ou Kitailo que dois-je dire ? Et d’ailleurs d’où vient Kitailo ?

Cela dépendCela dépend de qui j’ai en face de moi. Si je parle à certaines personnes, certains européens par exemple, probablement ce sera alors plus Kitailo. Sinon, en général c’est Buika. Kitailo est mon nom tribal. Ma famille et moi sommes bubi. Et notre langue est également le bubi. Vous savez, moi je suis née en Espagne, mais à cause du christianisme, il nous était interdit de parler le bubi et même d’y faire allusion. C’est la raison pour laquelle je suis María Concepción Balboa Buika ; mais mon nom tribal, hérité de ma grand-mère est Kitailo.

Parlez-moi du mot universel, qui revient très souvent dans votre propos lorsqu’il s’agit de vous présenter.

Être universel pour moi relève de l’éducation que l’Afrique en principe, inculque à ses enfants. L’universel appartient à cette notion traditionnelle bien africaine qui voudrait que le monde soit un. Que les hommes et les femmes soient frères et sœurs et appartiennent à la même matrice. Ce sont des notions que j’ai apprises de ma mère. Vous savez, à 14 ans, j’ai commencé à voyager à travers le monde, car je suis une nomade ; de là j’ai vite pris conscience que le monde est mon pays.

Vous affirmiez lors d’une interview : Chanter c’est célébrer la vie. Est-ce du même ordre lorsque vous peignez, vous photographiez ? Car vous faites tout cela.

Oh que oui mon cher, chanter c’est célébrer la vie…Je pense également que tout ce que nous mettons en chansons, nous peignons, nous photographions ou mettons en films ressemble à une véritable bible. L’histoire étant écrite par les seuls vainqueurs des guerres, elle n’est pas un témoignage qui reflète l’opinion ou la vision de l’humanité. Par contre, je reste convaincue que chaque individu peut chanter, peut écrire, peut peindre et même photographier et ceci donnera le reflet exact de ce qu’est notre humanité. Et non subir la seule vision des vainqueurs des guerres. C’est la raison pour laquelle, je considère que chaque individu sur terre est en mission. Cette mission consiste à rendre compte de ce que nous faisons. Nous avons besoin de chanter, de peindre, d’écrire, de photographier, de faire des films, bref de laisser des traces. Et cela, chacun de nous peut le faire.

Mais pensez-vous que nous soyons tous capables de le faire ? Moi non !

Comment le savez-vous ? Vous préjugez de votre capacité ou de votre incapacité ? Comment savez-vous qu’on ne peut pas le faire ? Vous n’avez pas à essayer…mais à le faire. Il faut le faire. Qui doit le décider à votre place ? Vous êtes le seul acteur de votre vie. Vous devez le faire pour vous, pour votre famille…et laisser le soin aux autres de penser ce qu’ils veulent. Mais au moins, vous aurez accompli votre mission.

Alors dites-moi, qu’est ce qui est important à vos yeux ? Ce que les autres pensent de votre musique ou ce que vous en pensez vous-même ?

Je ne pense rien de ma musique. Et je ne sais et ne veux rien savoir de ce que les autres en pensent. Je ne pense qu’à ce que je dois faire. Je suis un soldat et je suis en mission. Je reçois des informations dans ma tête et dans mon âme et je sais ce que je dois faire de ces informations. Soit je compose des chansons, soit j’écris des bouquins etc…et le résultat je le laisse à l’appréciation des autres. Mais je ne me pose pas la question de savoir pourquoi je fais ci ou ça ; est-ce que c’est beau, bien ou pas. Je suis ici parce que je dois dire ce que j’ai à dire. Et je me dois de le faire, car en le faisant, je sais que j’accomplis ma mission. Moi je suis un soldat. Vous savez, il y a différents types de soldats.

Comment se sent Buika maintenant ? Toujours comme une lionne ?

(Rires…) Oui parfois je me sens vraiment comme une vraie lionne. Actuellement, je me dois d’être comme une lionne. Je suis en tournée de promo et tu sais ce que c’est…des privations multiples. Il n y a qu’une seule chose à faire : bosser, bosser et toujours bosser puis voyager d’un bout du monde à l’autre. Je me dois d’être en mode lionne en ce moment. Je suis en forme.

Cover

Parlons un peu de Vivir Sin Miedo. Déclaration d’amour ou acte de rébellion ?

Les deux ! Vraiment les deux. Parce que pour moi un acte de rébellion ou de révolution est synonyme d’amour. La révolution doit avoir pour fondement l’amour du prochain. C’est une grosse bêtise que de prendre des armes pour cela. Si une rébellion n’a pas comme finalité l’amour, alors c’est un mensonge. Pour moi la révolution suppose qu’on voudrait rendre les choses meilleures et on n’a pas besoin d’armes pour cela. Nous avons besoin d’amour, de compassion, d’énergie positive et non des armes…c’est ce que je pense.

Donc pour vous la révolution et l’amour sont les deux faces d’une même pièce ?

Absolument ! C’est un besoin de survie, un besoin de lumière.

Je pense comme vous que la musique est quelque chose d’universel. Mais lorsque vous vous inscrivez dans l’universel, n’est-ce pas aussi pour vous, une façon d’empêcher les gens de vous rappeler vos racines africaines ?

Non ! Parce que je pense que l’Afrique est dans le monde. Et comme je l’ai dit plus haut, le principe même de l’universel appartient à l’Afrique. Il y a pas longtemps, j’ai encore écouté beaucoup de chansons ou de discours qui prônaient le retour des africains ou des noirs en Afrique. Je ne partage pas cette vision. Pour moi l’Afrique et les africains doivent aller conquérir le monde…c’est ma conception. Les africains ne doivent pas laisser le monde se faire sans eux. L’Afrique vit dans le monde et non en marge.

Mais, est-ce que vous comprenez celles et ceux qui vous rappellent vos racines africaines ? Alors que, vous êtes fondamentalement africaine.

Bien ! Je ne vis pas dans l’esprit des gens. Et lorsque (venant des africains en Europe) j’entends cette remarque, qui tend à me rappeler mes racines africaines, je ne peux m’empêcher à mon tour, de faire remarquer à celle ou celui qui la fait que : lui/elle et moi vivons dans un pays qui n’est pas le nôtre, un pays de blancs. Et moi de lui demander : qu’en est-il donc de tes racines ? Car je ne comprends même pas de quoi il parle. (Rires) C’est la raison pour laquelle, je continue donc de crier que l’Afrique vit dans le monde, l’Afrique c’est le monde et elle doit aller à la conquête du monde. Tout le monde aime l’Afrique, alors aux africains d’aller conquérir le monde. Les autres le font, pourquoi pas les africains ?

Vous disiez quelque part : “Un disque, c’est une chose morte, la photographie d’un instant qui a existé mais qui ne m’intéresse plus…”

Je vais vraiment être honnête avec vous. Je ne lis ni ne regarde les interviews que je fais ; je n’ai jamais écouté mes disques, une fois que le disque est sorti. J’ai été là, je l’ai fait et je ne vois plus l’importance de revenir m’asseoir pour m’écouter, me lire etc.. Puisque c’est moi qui l’ai fait. J’ai confiance en moi ; même lorsque je suis dans le tort, je garde néanmoins confiance en moi. Je ne vais pas passer le temps à venir regarder ce que j’ai fait, alors que je dois plutôt aller de l’avant. Sinon, c’est une perte de temps pour moi.

Que répondez-vous à ceux/celles qui trouvent que votre musique aussi éclectique soit-elle, ne porte toujours pas une touche africaine ?

Je me dois une fois de plus d’être honnête. Je sais d’où vient ma musique, mais je ne sais où et ni par qui elle sera écoutée. Je ne peux donc pas être responsable ni tenue responsable pour ce que les gens ressentent. J’ai des tas de personnes qui trouvent que je sonne africain dans ma musique et des africains qui trouvent que je ne sonne pas africain…allez savoir. Il y en a qui trouvent que je suis plus flamenco, que je sonne funk etc etc…je suis d’accord avec tout le monde. Chacun écoute ou entend ce qu’il veut…

Pourquoi les gens veulent que je sonne forcement africain ? Je fais de la musique et c’est tout. La musique représente l’humanité. Entendez-vous le chinois dans la musique de Bob Marley ? Pourtant les chinois aiment la musique de Bob Marley…Où se situe le problème ?

Je suis un esprit libre et c’est ce que les gens doivent comprendre. L’Afrique doit aller à la conquête du monde. Elle doit plutôt être fière de savoir qu’elle a de valeureux représentants à travers la planète.