Ana Popovic explose le New-Morning sous le regard médusé de Lucky Peterson.
Dans son magnifique essai “Le peuple du blues“, LeRoi Jones affirme : Le noir en tant qu’esclave est une chose. En tant qu’Américain, il est tout autre chose. Mais ce que je voudrais examiner, c’est le chemin pris par l’esclave pour arriver à la citoyenneté . Et je fonde mon analogie sur la musique de l’esclave citoyen. Sur la musique qui lui est le plus étroitement associée : le blues, et une pousse ultérieure mais parallèle : le jazz. Et je pense que si le Noir est représentatif ou symbolique de quelque chose dans le caractère de la culture américaine ou relatif à ce caractère, cela devrait assurément être révélé par la musique qui lui est propre.
Pourquoi évoquer LeRoi Jones, alors que le propos ici concerne Ana Popovic ? Deux raisons principalement nous y assignent : 1- Ils parlent bien le langage du blues, tous les deux. 2-Tout simplement parce que le blues comme certainement le jazz, n’ont pas le même poids et n’auront jamais le même impact dans sa psyché à elle, comme ils l’ont dans celles de ces noirs américains et pour cause ; mais pourtant ! Et pourtant, lorsqu’elle s’y colle, comme une fois de plus elle vient de le faire dans son nouvel album, on dirait une, qui a vécu l’histoire de ces nombreux noirs américains et sait les dire en blues. Elle n’est certes pas noire, peut-être deviendra-t-elle américaine ; mais elle symbolise à sa manière, le blues.
On a beau être un pur produit, une légende du blues et cadré au propos de LeRoi Jones ; il n’empêche que devant la performance de Ana Popovic, elle qui vient de sa Serbie et loin de rentrer dans la description du professeur, poète et musicien LeRoi Jones, on est médusé. On est pris aux tripes, par son interprétation du blues. C’est dans un New-Morning plein à craquer, que la guitariste et chanteuse a fait une vraie démonstration de force, à la face de la légende vivante Lucky Peterson. En fin connaisseur, il a, comme tout le public, été aspiré, bousculé, culbuté par la maîtrise de la jeune serbe. Une prestation de très haute volée.
Quelques heures avant le concert, lors d’une interview (à venir), je lui posais la question de savoir : “Que compte-t-elle apporter de différent au concert du New-Morning ?” Très souriante et confiante, elle répondait avec beaucoup d’assurance :” Chaque show est unique. Nous mettons la même énergie comme si c’était le premier et nous y apportons un plus…voyons-nous donc là-bas.”
Nombreux nous étions là, avons vu et sommes sortis une fois de plus, avec cette conviction qu’Ana Popovic est de la classe des Grands. Avec une équipe de solistes bien affûtés, la guitariste a enflammé le New-Morning, revisitant certaines anciennes chansons, tout en présentant le nouvel album, dont nous vous parlerons bientôt. Une line-up de charme : Ana Popovic (Guitare, Voix), Michele Papadia (Orgue Hammond, Piano, Voix), Cedric Goodman (Basse, Voix), Buthel Burns (Batterie, Voix), Claudio Giovagnoli (Saxophone), Davide Ghidoni (Trompette). Un vrai délice pour les yeux comme pour les oreilles.
Oui, Ana Popovic ne connaîtra jamais le chemin emprunté par les inventeurs du Blues ; l’impact sur sa psyché ne sera pas le même. Mais à sa manière, à son unicité, sait l’enrichir et lui donner une autre couleur, une autre expression qui sied à l’air du temps ; et montrer au final, qu’ils avaient tort, ceux et celles qui voulaient priver l’humanité de ce qu’elle a de non cloisonnable : le Blues, le Jazz…et partant, la musique. De passage chez vous, ne ratez pas l’occasion d’aller vous faire plaisir et découvrir une artiste A, une Performer.