M.Gallo:”Au nom de quoi va-t-on m’enfermer dans un rythme ?”

Elle aurait pu se contenter de sa position de pionnière et s’accaparer des “honneurs!? ” qui vont avec. Il n’en est pas question. Manou Gallo prône plutôt pour la pluralité de la gent féminine dans la maîtrise des instruments de musique et donner ainsi une autre image de la femme africaine.
«  J’ai un caractère que certains qualifieraient de trempé ». Et si c’est ce caractère de guerrière qui la prédisposait à plutôt privilégier, affronter et à dompter la basse. Elle qui pourtant, depuis l’âge de huit ans, percussionne au point de sidérer la gente masculine de son village natal.
A ma façon je suis une sorte de féministe (pas dans le sens que beaucoup l’entendent) qui, par la musique, essaye de passer le message en tordant le cou à des clichés.
Lorsqu’on a discuté avec Manou Gallo, on ne peut qu’admettre qu’elle est au service de la musique.

C’est en pleine préparation de son projet «Manou Gallo & le groove orchestra » que la native de divo en Cote d’Ivoire et moi avons échangé…Bien sûr après nos voyages respectifs dans et autour de la musique ; elle revenant de ses tournées et moi encore sous le nuage de « Lowlin » son dernier opus.

Alors Manou, on prend du plaisir à se poser après avoir sillonné ?
La tournée a été superbe, suis un peu fatiguée ; mais en effet c’est toujours bien de se poser et se reposer ; encore que je ne me repose pas complètement, puisque je commence à réfléchir puis à travailler avec les filles (Women’s band) sur un projet qui doit démarrer en septembre et qui va porter beaucoup sur les cuivres. Lorsqu’on fait ce métier, on ne peut pas se permettre de dormir sur ses lauriers, il faut toujours bosser.

Mais comment se fait-il que la percussionniste de naissance que vous êtes se positionne plutôt comme bassiste ? Est-ce votre fort caractère qui vous a conduit vers cet instrument qui joue un rôle fondamental dans les musiques rythmique ?
Rires….En effet, je suis quelqu’un avec un caractère que d’aucuns qualifieraient de trempé ; mais beaucoup de choses peuvent l’expliquer. A huit ans je faisais de la percussion sans apprentissage quelconque ; j’ai commence à jouer aux percussions tout naturellement avec une certaine inconscience, mais aussi avec une certaine dextérité.
Ce n’est que tardivement que je découvre d’autres instruments (moi la petite villageoise…rires) et la basse m’a happée. Je lui ai trouvée et lui trouve encore des similitudes avec les percussions. La basse est rythmique et harmonique ; moi je suis très rythmique et j’essaye donc de traduire ce que je fais avec les percussions avec la basse.

Deux femmes ont joué un rôle important dans votre parcours musical.
Oui mon arrière grand-mère de qui je tiens le don de la percussion et ma grand-mère qui n’a eu de cesse de m’encourager, de me supporter et de m’accompagner.

Votre arrière grand-mère ? Expliquez-moi cela…
De mon arrière grand-mère j’ai reçu le don de jouer aux percussions sans même savoir comment et quand. J’ai senti l’envie de jouer lors d’une cérémonie au village et je l’ai fait sans que je ne sois invitée à le faire. C’est ce que je disais plus haut, jouer de façon inconsciente. A ma naissance, mon arrière-grand mère décédait. Ma grand-mère qui a une connaissance de certaines choses et qui m’a élevée, a expliqué que c’était un don que sa mère me faisait. J’espère que vous comprenez ce que j’essaye de vous dire.*

Des bassistes africaines, on n’en voit pas des masses…
Il y a quelques années quand je suis arrivée sur la scène musicale mondiale comme bassiste, on n’a cru que j’étais américaine. Ce n’était pas facile de faire intégrer dans certains milieux qu’une africaine puisse jouer de la basse. De plus comme je suis très rythmique dans mon jeu, cela donnait un fun que l’on croit seulement possible par les américaines…Cela était difficile et lourd a assumer en même temps ; et pour ca, si vous n’avez pas de caractère !!!! Il fallait donc travailler davantage pour assurer et c’est ce que je continue de faire, s’enfermer pour bosser, bosser et bosser.

Des idoles ?
Je n’en avais pas des masses avant d’arriver en Europe. Mon inspirateur de la première heure était le regretté  Marcellin YACE. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert d’autres bassistes tels que Richard Bona dont j’admire la mélodie, Victor Wooten pour le groove et Jaco Pastorius pour son apport dans le développement de cet instrument.

Vous êtes une espèce de modèle pour les africaines…
Je ne me perçois pas forcement ainsi ; mais si je peux inspirer ou alors mon exemple inciter les jeunes femmes africaines qui opèrent dans la musique à aller vers d’autres instruments ce sera quelque chose de fait. En défiant certains codes en jouant aux percussions dès l’âge de 8 ans, je me suis positionnée comme une sorte de féministe ; mais une féministe modérée. Vous voyez ce que je veux dire…
Je ne désespère donc pas que les femmes africaines investissent davantage d’autres instruments que l’on assimilait a tort a la gente masculine. Cela se fait de plus en plus d’ailleurs. Moi-même je coache personnellement une jeune sénégalaise dans ce sens…

Vous déclariez dans une interview, je vous cite : « Ici, en Europe, j’ai appris l’ouverture, les mélanges de cultures et de musiques ». Pensez-vous avoir apporté quelque chose a l’Europe ?
Vous m’en collez une…je pense sincèrement que par mon caractère, ne serait-ce que dans le domaine musical, j’ai réussi à démentir certains clichés sur la femme africaine. On a toujours eu tendance à l’enfermer dans un schéma misérabiliste…Le fait que je sois à la basse, est un message adressée une manière ou une autre a certains de revoir leur copie sur la femme africaine et aux africaines pour dire que nous pouvons faire plus que certains veulent admettre.
Même si je suis portée sur la scène, je ne suis pas exclue des domaines tels que la production, les arrangements etc…

Que faut-il retenir de votre dernier album « Lowlin » ?
Lowlin, comme son nom l’indique en ma langue maternelle veut dire Voyage. C’est un album de voyage, qui résume en quelque sorte toutes mes expériences et mes rencontres musicales jusqu’à ce jour.

A ce propos donc, on se perd dans les catégorisations et autres classifications des « experts ». Je préfère donc que vous nous disiez personnellement quelle est votre approche musicale ?
Je suis parfaitement d’accord avec vous. Je suis musicienne et je fais ce que j’ai envie de faire lorsque je trouve l’inspiration pour cela. Ainsi que je le disais, je suis une femme du groove, du rythme. Et pour répondre donc simplement, je fais de l’Afro-funk-groove. Mais en réalité, je me sens inclassable et c’est ce que j’ai essayé de faire dans Lowlin comme dans le dernier album du  groupe « Mokoomba ». Au nom de quel principe va-t-on m’enfermer dans une telle ou telle autre case ?

MgallouDans « Lowlin », vous remerciez Manu Dibango alors que musicalement, il n’est pas intervenu.
Manu est un patriarche, il pouvait également être mon papa. Mais au-delà, c’est lorsque vous avez un monsieur de sa dimension qui vous appelle, pour vous féliciter, pour vous encourager, pour vous conseiller…Et qui vous appelle pour travailler avec lui. Cela n’a pas de prix et il faut savoir reconnaître et garder certaines valeurs. Et moi j’en ai encore et c’est au nom de ces valeurs que je lui ai rendu cet hommage.

Qu’est-ce que vous inspire votre pays la Cote d’ivoire depuis les malheureux événements de ces dernières années ?
Nous venons de très loin…Mais nous croisons les doigts en espérant que les événements du passé servent de leçons pour l’avenir. La Côte-d’Ivoire est comme cette femme qui porte et donne la vie. Il faudrait que les divisions, les haines, la xénophobie ne trouvent plus un terreau pour se développer. Elle est beaucoup divisée aujourd’hui, mais espérons que tout cela prenne fin pour un lendemain meilleur.

Pensez-vous que le propos d’un artiste puisse se faire entendre ?
Nous avons un rôle à jouer et celui-ci doit aller dans le bon sens. C’est pour cela que je crois qu’un artiste doit avoir un discours d’amour et non d’appartenance.

Parlant de “Manou Gallo”, votre second album, une critique disait que vous avez su, je cite: ”Dompter votre pudeur, transgresser les barrières imposées par votre culture, votre éducation, et vos ses racines ”. Quelle est donc la Manou Gallo d’aujourd’hui après Lowlin ?
Manou Gallo est une femme plus posée et sereine aujourd’hui. Une femme qui ne bourlingue plus que pour l’atteinte des objectifs qu’elle se fixe. Je voudrais aujourd’hui prendre du temps pour travailler davantage mon instrument ; car il y a encore tant de choses que je me dois de découvrir.

Le prochain album ?
Je commencerai à y penser pour 2014.

*Je rassurai mon interlocutrice, car elle ne faisait que prêcher en terre conquise. Car lorsqu’on n’a pas un minimum de connaissances des valeurs africaines (la cosmogonie africaine), on ne peut accéder aux explications de l’émérite bassiste.