A.Sabal Lecco:”Ma première bataille a été contre les…”

ASL1En écrivant l’histoire de la basse camerounaise et de son influence aux États-Unis, on dira que Vicky Edimo était passé par là quelques années auparavant.
Mais si on veut être juste et honnête avec cette même histoire, on devra dire que l’éclaireur, le démineur, celui qui aura vulgarisé la basse camerounaise au États-Unis en l’érigeant au rang d’instrument de conquête dans le monde et surtout chez les américains, c’est bel et bien Armand Sabal Lecco. Il a été Outre-atlantique, pour le Cameroun, à la fois la voie et la voix de cet instrument, pour le grand bonheur de ses compatriotes qui ont su profiter de ce défrichage pour venir à leur tour montrer de quel doigt ils jouent avec brio à la basse.

La basse camerounaise lui est à jamais redevable de cette énorme entreprise de déminage qu’il a entreprise, le jour où il a pris la décision de délaisser les caisses à son frère Félix, pour ne se consacrer qu’à la guitare basse en allant défier ceux qui étaient considérés comme les références.

En véritable pionnier, celui dont le talent n’est plus à démontrer est et reste celui qui a permis au monde de vraiment se rendre compte des effets redoutables de la basse camerounaise en allant défier les cadors américains par son jeu et son audace sur leur propre terrain. De l’audace ! Il en a à revendre.

Ils ne sont pas nombreux à avoir défié et à avoir cherché à déstabiliser de face Jaco Pastorius lors d’un concert en grinçant des dents pendant que ce dernier était entrain de jouer; comme pour dire une certaine désapprobation à une note pas bien exécutée, là où la plupart seraient en admiration totale.

A l’opposé de l’image qu’il veut bien renvoyer ou de celle qu’on veut bien lui coller à la peau, celui que l’on présente comme le plus doué de la dynastie musicale Sabal Lecco revient sur le talent méconnu, voire boudé de son frère et non moins bassiste Roger, sur le rôle de son ami et frère Félix le tout dans un flegme ’’sabalesque’’.

Discret mais très attentif aux évolutions de son environnement, il a accepté m’accorder une interview qui bat en brèches certains clichés à son endroit.

Il est important de dire ici qu’Armand Sabal Lecco est un grand professionnel, mais un homme resté très accessible et très humain dans son approche des autres. S’il se méfie beaucoup, il sait aussi accorder sa confiance et surtout son sens poussé de l’humour, pourvu qu’on se montre tout aussi prévenant et respectueux.
Énigmatique parfois, mais très vrai dans ses réponses,  il se livre sans modestie feinte aux questions que je lui ai posées.

Lorsqu’on prononce les mots ‘ Sabal Lecco’ qui sont vos noms, on a tendance à voir directement le virevoltant batteur (Félix) pour les mélomanes et L’homme politique du même prénom au Cameroun. Qui est donc Armand ?
– Dans chacun de nos cercles respectifs, cette question a un différent ordre… Je suis Armand Sabal-Lecco, citoyen du monde, musicien et fan de musique. Tout ce qui est exprimé d’un cœur vrai m’interpelle, quelque soit le sujet.

ASL
©Jazzyvee|www.alembic.com

Arrivez-vous aussi à la musique par envie de résister à l’intransigeance de votre père ? Par goût de rébellion comme votre frère ? Ou tout simplement parce que le talent vous y disposait ? Ou alors est-ce la somme de tous ces éléments.
– Je ne sais pas ce qui c’est vraiment passé mais à un certain moment de ma vie je me suis senti complètement envoûté, ensorcelé… que dis je ?? Éblouis, et même hypnotisé! Je ne pouvais me concentrer sur rien d’autre !! La musique est devenue et restée mon maître absolu…


Des deux aînés, Félix et Roger lequel vous a le plus influencé ?

– Roger a été pour moi un Mentor de la vie, un Gaudi, un genre de Jean le Baptiste qui a semé toutes les graines que Félix a arrosées, que j’ai cultivées et récoltées. Roger est le musicien/ bassiste le plus boudé de l’histoire de la basse camerounaise… un phénomène d’avant-gardisme en musique comme dans la vie. Félix c’est le maraîcher, l’instigateur qui te fait marcher sur l’eau ou au moins te dit où sont les pierres.

Quel est l’instrument de vos débuts ? Et pourquoi la guitare basse ?
– J’ai commencé par la batterie. Pour gratter quelques minutes d’orgasme musical, je suis devenu le roadie de Félix qui avait des activités dans les sissongos un peu partout dans Yaoundé qui affectaient sa ponctualité. Dès que possible je transportais, j’installais et faisais le soundcheck de sa batterie pour diverses occasions. Certains jours de chance, j’arrivais à voler trois ou quatre chansons en répétition à titre de batteur remplaçant! Sinon, je pense que je suis né bassiste ou peut être quand je me suis rendu compte que le bassiste était le plus cool du groupe, le plus libre et harmoniquement important, avait toutes les femmes… le choix s’est fait. Il y a une autre version qui parle de l’excellence de Félix comme batteur et a précipité mon exode.

Recentrons-nous sur vous maintenant. Comment arrivez-vous au CMCN (Centre Musical Créatif de Nancy) ?
– En voiture, vers 9h30 du matin après une bonne nuit de repos mais avant cela, Hans J. Kullock le directeur du CMCN m’avait engagé pour des master classes pendant les périodes de repos de Paul Simon.  J’y suis allé avec Félix et Bruno Caviglia à la guitare pour décortiquer quelques aspects de mon approche musicale.

Comment débutent vos rencontres musicales à l’international ? Je pense notamment à Paul Simon et surtout à Stanley Clark, Herbie Hancock, etc….
– Paul de par ses enquêtes, a entendu parler de moi et travaillait sur des idées de groove avec Vincent Nguini (éminence musicale camerounaise). Il a demandé à Vincent si les rumeurs sur moi étaient vraies et ce dernier avec qui j’avais passé un bout de temps au sein du groupe de Manu Dibango lui a immédiatement répliqué de manière absolument affirmative. Le reste s’est fait très vite; je suis allé à NYC en 89 pour enregistrer une chanson et il m’a retenu pour tout l’album et les tournées.

– J’ai rencontré Stanley en 1984 à Paris à l’Olympia et nous sommes resté en contact jusqu’en 1991 quand je suis allé vivre à L.A où il a pu m’écouter avec mon groupe « Leccology » et m’a offert de travailler avec lui sur « East River Drive » comme compositeur et adjoint bassiste. Le rêve!!

– J’ai professionnellement rencontré Herbie lors des enregistrements de son CD « Dis is da Drum » produit par Bill Summers. Ils m’ont contacté pour une séance d’enregistrement, ont aimé et il m’a ordonné de revenir deux jours plus tard avec une chanson écrite pour lui! Un incroyable honneur pour moi!!  Assez similaire avec Seal, Don Grusin, John Patitucci, Stewart Copeland, Jeff Beck, David Lee Roth, Ray Charles etc…

Quel a été votre impression une fois au contact de ces gens que vous considériez à tort ou à raison être des ‘durs’ ?
– Je me suis senti à la fois libre, étonné, rassuré, infime et immense… Voir les plus « durs » dans leurs laboratoires concocter ce qui va impacter la planète quelques mois plus tard est quelque chose de magique ! Il n’y a pas de règle… Ils sont plus au service de la musique que les moins « durs ».

Quand décidez-vous de vous installer aux USA ? Et pourquoi ?
– Quand j’ai commencé á travailler avec Paul Simon en automne 1989, la dynamique de ma relation avec la communauté musicale parisienne a changé de façon spectaculaire… A la fin de la 1re tournée en 1992, je pars vivre à Los Angeles pour changer d’air, respirer et grandir musicalement.

Lorsque vous arrivez aux USA, quel est l’état des lieux que vous faites ? La basse camerounaise est elle crainte ? Avez-vous rencontré d’autres camerounais jouant à cet instrument là-bas ?
– Quand je surviens, le roi de la basse africaine est Bakithi Kumalo le talentueux sud africain de l’album « graceland » de Paul Simon. La basse camerounaise n’existe encore à aucune pertinente échelle qui m’aborde l’esprit. Quelques années auparavant, je me souviens avoir au long des tournées avec Manu Dibango et d’autres projets, rencontré des bassistes mais plutôt amateurs qu’autre chose.

Comment jugez-vous la progression ou l’apport des autres bassistes camerounais venus après que vous avez ouvert la voie des USA ?
– Ma première et plus sanglante bataille a été contre les stéréotypes, le statu quo, la tendance à ne cantonner les africains qu’aux projets ethniques comme il en est hélas coutume jusqu’à présent. J’aimerais tant que tous soient aujourd’hui considérés comme musiciens et non seulement musiciens africains. Je me réjouis en tout cas de voir de nouveaux bassistes camerounais arriver dans ce pays lointain et faire valoir leur art. Nous sommes l’extension du travail qu’avaient ébauchés certains de nos « durs » comme Manu ou Fela.

Vous considérez-vous comme l’éclaireur de cette ‘troupe’ de bassistes arrivés après vous ?

– La réponse est déjà dans votre question… J’y travaille dans tous les styles depuis 1987.

Brièvement quels sont vos faits d’armes dans la basse ? On entend parler de la méthode ‘Sabal Lecco’ à la basse. Réalité ou commentaire ?
– Première règle : Le groove – Le cœur et les pieds avant la tête – Seconde règle : Il n’y a pas de règles ; le reste c’est du commentaire.

Armando Sabal2
Armand Sabal Lecco mondialement reconnu, mais peu ou pas connu dans son propre pays. Ou du moins, pas présent du tout. Comment expliquez-vous cela ?
– Quelle énigme!

Certains croient que vous ne soyez pas aptes à jouer les rythmes du Cameroun.

– C’est l’une des meilleures blagues que j’ai entendues depuis un moment! Pourquoi n’en serais je pas apte? Mon travail avec les Brecker Brothers, John Patitucci, Don Grusin, Stanley Clarke, Paul Simon, Zainal Abidin, Scott Kinsey, Mercedes Sosa etc, leur rafraîchirait vigoureusement la mémoire. Mais quoiqu’il en soit, l’incrédulité est plus forte que les miracles!

Si vous entrevoyez faire des choses avec les camerounais ou au Cameroun, comment comptez-vous casser le ‘mur’ entre vous et le public camerounais ?
– Il n’y a aucun mur naturel entre le public camerounais et moi. Pour travailler au Cameroun, il n’y aurait qu’une question de structure et présence à résoudre. Cela fait plus de vingt cinq ans que je suis impliqué et légitime dans les plus haut cercles musicaux de la planète et j’aimerais partager avec les artistes folkloriques et modernes de mon pays ce que j’ai appris et aussi ce qui suscite l’intérêt de ceux qui m’engagent autant partout ailleurs.

La scène africaine vous manque-t-elle ?

De temps en temps oui.  Quand elle est inspirée, elle est létale !

Vous êtes installé aujourd’hui en Espagne, pourquoi ce pays et non un retour en France ?

– J’adore l’énergie de Barcelona qui m’inspire et Paris n’est d’ailleurs qu’à 1h30 d’avion en cas de manque…

Quelle est l’actualité de Armand Sabal Lecco ?
– Je viens de composer une pièce pour le nouveau CD de Stanley Clarke, dans le nouveau CD de l’artiste espagnole Txell Sust, je joue de la plupart des instruments, produit et compose. Un cinéaste utilise la musique de mon projet « The Rest of the World » pour un documentaire sur les droits de l’homme qui sortira cette année (AMMMA). Je suis en pleine tournée mondiale avec Alejandro Sanz et dès que je peux, je me rue au studio pour terminer les enregistrements de mon CD « POSITIVE ARMY » avec de nombreux invités, où j’utilise toute une panoplie de basses, joue de pas mal d’instruments, chante en français, swahili, Búlu et en Kepéré, des séances de studio pour des copains, divers artistes et pour divers films et documentaires aux USA etc… j’adore sortir jammer à l’impromptu et élargir mes goûts, me reposer, voir mes amis, lire, bouffer…

Quand est-ce qu’on verra Armand Sabal Lecco sur la scène camerounaise ?

– Très bientôt je l’espère. Just call my name and I’ll  be there.

Pourrait-on également revoir la paire (Félix et Armand) sur scène comme dans le « Soul Makossa Gang » ?
– Déjà en avant goût, Félix se manifeste sur deux chansons de mon CD « POSITIVE ARMY » qui sortira cet été. Sinon, j’adorerais pouvoir rejouer avec Manu, Félix, Vincent… Je crois que c’est une combinaison particulière et un son worldbeat qui me manque.

A vous le mot de la fin !

– Le progrès c’est l’unité. Que vous croyiez que vous pouvez ou non, vous avez raison dans les deux cas.
Merci de m’avoir accordé cette interview et à bientôt.