M.Wandji:” Trop d’égoïsme chez les artistes”
Pour couper court aux rumeurs persistantes autour de Culture Mboa et que nous relayions ici grâce à notre collaborateur Edwin Amasha sous le titre « Le feu dans le réseau Cultutre Mboa », nous avons pris contact avec Manu Wandji ; par souci d’équilibre et de neutralité, avons également envoyé une correspondance au sieur Ruben Binam pour son droit de réponse.
Manu Wandji, revient donc dans ce qui s’apparente à un hold-up en bonne et due forme, et nous relate les faits qui aujourd’hui ne relèvent plus de la fiction, encore moins de la rumeur. Nous vous livrons in-extenso le contenu de l’interview qu’il a accordée à notre webzine.
Pouvez-vous faire une brève présentation de qui vous êtes ?
Je suis né en France d’un père camerounais et d’une mère française. J’ai grandi au Cameroun à partir de l’âge de 8 ans avant de revenir en France pour les études… que j’ai vite abandonnées pour me destiner à l’art !
J’ai donc commencé la musique au Cameroun bercé par les musiques urbaines et traditionnelles et les sons de la forêt équatoriale… ce qui a influencé énormément ma musique et mes productions.
Votre petit nom est « Wambo » que signifie-t-il et pourquoi ? Nous savons que vous le portez depuis le Lycée Leclerc de Yaoundé.
J’ai effectivement hérité de ce surnom durant ma scolarité dans ce lycée… pour remettre les choses dans leur contexte (c’est-à-dire les années 70) les enfants entendaient parler des maquisards Ernest Ouandjié , de Wambo le courant … le raccourci était vite fait ! Ce n’est que des années plus tard que j’ai compris le sens profond et l’histoire de mon surnom… et comme je suis un peu rebelle dans l’âme, je l’ai gardé !
Vous avez plusieurs casquettes dans le métier nous le savons. Mais quel est votre rapport à la musique ?
Je suis effectivement musicien-chanteur-producteur-compositeur…. Mais je me sens tout d’abord artiste dans le sens large et intellectuel du mot. L’amour pour la musique a toujours été très fort chez moi. J’aime profondément les rapports avec les autres artistes et leurs diversités… elle enrichit tellement l’art !
Si vous devriez dessiner votre cartographie musicale à ce jour, comment la résumeriez-vous ?
C‘est vrai que je suis quelqu’un de plutôt actif et entreprenant… après avoir longtemps accompagné de grands artistes africains tels que Ray Léma, Papa Wemba ou Geoffrey Oryéma, j’ai ressenti l’envie de composer, produire ma propre musique ou celle des autres. Et face aux difficultés que nous avons en Europe et aux États-Unis avec les labels de « World Music » pour se faire produire et se faire accepter tels que nous sommes, j’ai monté mon propre label et studio d’enregistrement (Wambo productions). L’indépendance artistique a toujours été mon leitmotiv.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai produit les 2 premiers albums d’Henri Dikongué avec le succès international qui a suivi. Je réalise aussi, en plus de mes propres albums, beaucoup de bandes sons pour l’image et le spectacle vivant (Cie de danse).
Au-delà de votre appartenance à ce pays, pour quelles raisons êtes-vous actuellement au Cameroun?
J’ai toujours été très attaché au Cameroun, malgré le fait que je vive depuis plus de 25 ans en France. Mais je suis toujours revenu pour la famille (mon père vit à Yaoundé) et pour la musique.
J’ai un public ici au Mboa qui apprécie beaucoup tout ce que je compose, chante ou produit et cela me touche beaucoup… Cette fois-ci j’ai été invité à la 1ère édition du « festival de la saison sèche » à Douala consacré à la musique classique. J’ai donc pu présenter des compositions issues principalement de mon travail avec l’image (films, reportages, danse) le tout interprété par un quatuor à cordes, un pianiste et un guitariste… très belle rencontre ! J’ai même chanté ma chanson phare « C’est pas facile » en version classique.
Vous vous définissez comme quelqu’un de fondamentalement sensible aux autres. Est-ce cette sensibilité qui a joué dans l’élaboration du projet Culture Mboa ?
Ma sensibilité musicale et mon amour pour les autres artistes (chanteurs, musiciens, danseurs) ont toujours été profonde en moi. J’aime les associations, les synergies des compétences autant artistiques qu’intellectuelles…
La création du collectif Culture Mboa est née de cette sensibilité.
Pour remettre les choses dans leur contexte, il faut savoir qu’avec Henri Dikongué nous avons vendu pas loin de 100 000 cassettes payés, malgré la piraterie qui sévissait déjà en ce temps là (1995/2000), mais un vrai marché organisé par des professionnels existait.
Quand j’ai donc voulu sortir mon premier album de chansons sous mon pseudo Wambo, je me suis vite confronté a une dure réalité : la piraterie avait envahi tout le marché et seuls quelques « faux » commerçants subsistaient et arnaquaient régulièrement les artistes.
C’est le grand artiste gabonais Pierre Akendengué , venu enregistrer son album dans mon studio en 2004 et avec qui j’ai tourné un moment, qui m’a donné l’idée de créer un circuit de distribution de CD dans des magasins et grandes surfaces. Il pratiquait ce système de dépôt-vente pour ses propres disques.
Comment s’est constitué « Culture Mboa » ?
Pour l’histoire : c’est en fait avec Blick Bassy (ex Macase, groupe qui m’accompagnait lors de mes concerts au Cameroun) que j’ai commencé à parler de ce projet en 2005 ; nous avons commencé à prospecter quelques gérants de grands magasins à Douala et Yaoundé pour voir si un tel projet (dépôt/vente de CD originaux) pouvait les intéresser… puis Blick est parti s’installer définitivement en France.
J’ai donc proposé à Ruben Binam (clavier du même groupe) de s’associer à ce projet. Je trouvais que cet homme était une personne volontaire et engagé dans une volonté de changer le paysage culturel camerounais. Il venait de monter son label et studio (Alizés records) et avait aussi besoin d’un réseau de distribution fiable de CD.
C’est lui qui m’a présenté Jacques Greg Belobo qui avait aussi une idée similaire…. Nous avons donc commencé un « brainstorming » et le nom de « Culture Mboa » est sorti. Restait a structurer ce collectif.
J’ai donc proposé de scinder CULTURE MBOA en 2 entités séparées et complémentaires :
– Un GIC (groupement d’initiative commune) dont les actionnaires sont Jacques Greg Belobo, Gaby Fopa, Pierre-Michel Hapy et moi-même qui détient 70%. Cette structure assure la gestion de la vente des CD.
– Une association dont la présidence serait assurée par Ruben Binam (sur mes recommandations et par soucis d’équité, puisqu’il n’avait pas investi d’argent dans le GIC).
Son rôle étant de communiquer de façon permanente sur les méfaits de la piraterie dans la carrière des artistes (j’ai d’ailleurs à ce propos enregistré beaucoup de spot vidéo des artistes eux-mêmes et signé un partenariat avec Canal 2 pour leurs diffusions). Assurer la rédaction des courriers et demandes de subventions, etc…
Jacques Greg Belobo s’est retiré de la gestion du collectif très rapidement, expliquant qu’il ne trouverait pas assez de temps et d’énergie pour cela.
Pendant les 3 premières années , je me suis défoncé sur ce projet, sacrifié ma vie de famille, investi de l’argent… et même mis la promotion de mon propre album entre parenthèse. Donc 2 à 3 fois par an au Cameroun, mobiliser les artistes, rencontrer ceux de la diaspora et des États-Unis pour leur faire comprendre qu’il fallait qu’on se regroupe en adhérant au collectif … que je leur assurais une bonne gestion du GIC.
Mars 2008, j’emmène le projet au ministère de la culture… la ministre décide alors de nous soutenir bien au de là de nos espérances : une étude menée par M.Tankoua Félicité et commandée par le Mincult (Ministère de la culture NDLR) nous propose un budget de 100 millions de francs cfa afin que l’on puisse couvrir tout le territoire camerounais, avec agrément à la clé !
Nous sommes fous de joie ! Après tous nos efforts… malheureusement je ne savais pas que j’allais à partir de là, me faire doubler par mon collaborateur…
Il commence par organiser subitement et sans ma concertation des ventes « promotionnels » à 2500 francs Cfa le CD (difficile après de redonner 3000 francs Cfa à l’artiste qui a signé un contrat sur ces modalités !)… Dès que je suis reparti, il commence à dire partout et surtout au ministère que c’est lui qui a crée ce collectif, fait le « Black out »total dans nos échanges…
J’apprends qu’il touche déjà des subventions de la part du Mincult. Je lui fais donc part de mon mécontentement dès mars 2009 en soulignant son comportement non respectueux à l’égard de toute la confiance que j’avais placée en lui. Bref, celui que je considérais comme mon petit frère et ami était en train de jouer la carte solo pour n’avoir pas de compte à rendre à personne.
Concours de circonstances, cette année là j’étais en plein divorce et ne pouvais absolument pas me rendre au Cameroun de manière urgente… c’est vrai que ça m’a vraiment fait mal au cœur de le voir profiter de cette période douloureuse de ma vie privé pour s’approprier la gestion de ce collectif.
Et quel bilan tirez-vous aujourd’hui de ces 5 ans d’existence ?
Mon constat est très mitigé : d’un côté le circuit de distribution s’est considérablement élargie (mais combien de millions du Mincult ont été nécessaire pour cela ?) , le volume des CD vendu aussi forcement…. Mais là où il y a un gros problème c’est que la plupart des artistes ne touchent pas l’argent de leurs ventes. Le collectif me doit personnellement plus de 400.000 fr cfa depuis 3 ans.
Aucune communication avec les artistes, ni les médias. La population ne sait toujours pas où trouver les Cds de Culture Mboa.Ruben a abandonné le projet des spots télévisés (alors que j’ai composé gratuitement le générique du 20h de Canal 2 en échange de leurs diffusions gratuite).
Donc actuellement, les artistes sont très déçus de la manière dont ce collectif fonctionne et réclame une assemblée générale.
Sans juger, quel regard jetez-vous sur la question du droit d’auteur qui se pose actuellement au Cameroun, avec des débats (règlements de compte) qui touchent plus aux personnes qu’au sujet proprement dit ?
Après avoir été membre de la Socinada et de la CMC, j’avoue que personnellement j’ai baissé les bras et renoncer à m’affilier pour l’instant à la Socam (mais je ne dis pas que c’est une bonne chose !) .Je n’avais pas envie de repayer les déclarations de toutes mes œuvres et toucher des miettes ! Wait and see !
Vous dites sur le plateau de Mme Kala Lobé Suzanne, je vous cite: « j’ai crée, il y a 5 ans culture Mboa pour les artistes, j’y ai mis au départ 5 millions de FCFA, aujourd’hui Ruben s’est accaparé de tout le business, moi même j’ai l’impression d’être écarté du deal, il faut bien que Ruben dise aux artistes ce qu’il fait de la subvention que le ministère de la culture accorde à Culture Mboa. »
C’est vrai que j’ai mis 5 millions de francs cfa de ma poche (Billets d’avion, visa, meubles, déplacements, téléphone, salaires de Yves Ekani qui faisait les recouvrements pendant les 3 premières années).
Si Ruben Binam voulait gérer cette structure tout seul, il aurait été plus correct de sa part de me le faire savoir, de racheter les parts et les dettes des actionnaires ! C’est trop facile de s’assoir sur l’argent des autres (artistes, subventions et investisseurs).
En quelque sorte vous êtes entrain de dire que vous assistez à un hold-up en règle de votre projet par ce Ruben et qu’en même temps, il y a une malversation financière pour couronner le tout. Car la subvention allouée à Culture Mboa semble s’évaporer dans la nature et qu’une fois de plus les artistes n’y voient que du feu….
Oui il y a malversation financière tant par rapport aux artistes-adhérents que par rapport au ministère de la culture qui nous a fait confiance et bien sûr moi-même ! mais la malhonnêteté se paye toujours un jour… il y a un moment où les belles paroles et les discours ne font plus recettes.
Nous réclamons haut et fort une assemblée générale afin qu’il vienne justifier de la gestion du collectif depuis les 2 dernières années.
Culture Mboa est un super projet qui doit absolument fonctionner tel que je l’avais conçu : informations, réunions et partage des taches en fonction des compétences de chacun. Cela ne doit pas être l’affaire d’un seul individu qui de surcroit à l’heure d’aujourd’hui n’a plus aucun crédit auprès des artistes camerounais.
Lorsqu’on laisse sa vache au voisin, ne court-on pas le risque de se la voir confisquer ou alors de ne jamais boire à son lait ? N’était-ce pas prévisible, si hold-up il y a, que le projet pouvait vous filer entre les doigts ?
Tout à fait…. J’avoue que j’ai pris une bonne leçon !
Avez-vous déjà été reçu par la ministre Ama Tutu depuis ? Et que dit-elle au sujet de cette énième affaire sur les artistes, l’argent et la piraterie ? Quelle est sa position par rapport à votre affaire ?
Lors de mon précédent voyage au Cameroun en janvier 2011 , je lui ai remis un rapport complet sur la situation, telle que je l’ai décrite ci-dessus. Je sais que Mr Binam a été convoqué… et comme par hasard certains artistes ont été payé et des nouveaux kiosques ont été installés sur les trottoirs de Yaoundé. Mais sa position est légitime :elle ne peut s’ingérer dans notre association, nous devons faire nous même le ménage.
Certains artistes dont nous ne citerons pas les noms, parlent même que « Culture Mboa » ne leur reversent pas l’argent de la vente de leurs produits. Que dites-vous de çà ?
Je suis vraiment choqué, comme je le disais plus haut…. Surtout quand on sait ce que le ministère a donné comme subventions ! Et imaginez ma propre position : pas payé, plus d’albums dans le réseau que vous avez vous-même crée !!!
Quel est de votre côté, le retour que vous avez des artistes dans leur majorité ?
Ils sont tous très déçus … D’autant plus que cela vient de la part d’un gars « de la maison » pour reprendre l’expression d’un musicien proche de Ruben Binam. Et il faut bien comprendre que moi-même , qui avait tellement sollicité pendant 3 ans les artistes à venir nous rejoindre,me suis retrouvé dans une position très délicate. Tous ces gens là me demandent aujourd’hui de «reprendre cette affaire »…. Mais attention ! là où je partage le point de vue de Ruben Binam, c’est qu’il ne suffit pas de payer leur adhésion et laisser ses CD pour que les choses se passent.
Comment comptez-vous donc régler ce différend qui une fois de plus, en plus de ternir l’image de la gestion de l’affaire culturelle et musicale, semble même toucher la vôtre. Elle semble même jeter un discrédit sur vous.
Les solutions aux problèmes doivent se trouver ENSEMBLE.
Comme je le disais plus haut, Culture Mboa est un GIC et surtout une association… donc il faut organiser une assemblée générale afin de poser toutes les questions et d’avoir enfin les comptes sur la table afin de trouver une solution dans le dialogue et le calme.
Malheureusement, quand j’ai soumis l’idée en janvier dernier à Ruben Binam, sa réponse m’a laissé sans voix : « Je n’ai rien à dire à ces gens là ! »
Quant à mon image et mon statut d’artiste je n’ai pas de problème. Vous savez beaucoup d’artistes m’ont vu à l’œuvre pendant des années et ont plutôt pitié de moi ! Ici au Mboa on sait qui fait quoi et comment… le comportement de chacun est analysé systématiquement !!! lol
Que pensez-vous de vous, je parle de l’ensemble des musiciens camerounais ? N’avez-vous pas l’impression que vous manquez, pour beaucoup, de solidarité, de générosité et que nombreux n’ont pas une vision plus loin que l’argent qu’ils peuvent percevoir ?
Tout à fait ! C’est aussi la grande leçon que j’ai tirée de cette expérience… il est trop facile de gueuler dehors et ne jamais avoir le courage de se réunir (avec ou sans moi d’ailleurs ) afin de trouver une solution ensemble.
Trop d’artistes sont égoïstes et ne calculent que leur « gombos »…. Du coup on peut alors les « frapper » comme on veut… d’ailleurs c’est en grande partie pour cette raison que la piraterie s’est installée à ce niveau là au Cameroun… J’ai l’habitude de dire que les benskiners sont plus structurés et donc plus efficaces face à leurs revendications.
La vision à court terme et solitaire ne paye pas. Prenons l’exemple sur nos voisins nigérians !
En vous souhaitant bonne route dans le combat que vous allez engager, nous vous laissons le mot de la fin.
Un extrait de ma chanson « C’est pas facile » :
Je dis « solidarité » ce n’est pas manger tout seul
Je dis « solidarité » ce n’est pas rouler, rouler toujours solo !
Donner son cœur en amitié, dans la vie c’est pas facile ….