Etoundi Essamba, dissèque le voile.

essambaDu talent, elle en a. Du courage, il en faut et elle en fait la preuve et la démonstration en ces temps où l’aspect extérieur permet de vous ranger dans le camp du bien ou du mal; temps qui pour certains, est un présage à la guerre des civilisations qu’ils appellent de tous leurs vœux. En se proposant de zoomer sur des femmes arborant l’objet du ‘délit’, elle court le risque de faire la promotion de l’infériorisation de la femme et de tous les autres clichés. Et pourtant….
Par-dessus tout, ce qu’il faut retenir de cette personne, c’est son intelligence, sa subtilité et surtout sa générosité au service finalement de l’humain en général.

Ainsi se dessine la trajectoire d’Etoundi Essamba Angèle, cette photographe camerounaise installée aux Pays-Bas qui, sans façon aucune, a accepté de répondre aux questions que je lui ai posées.

Qui est Angèle Etoundi Essamba ?
Je suis artiste plasticienne d’origine camerounaise. J’ai quitté le Cameroun à l’âge de 10 ans pour la France où je suis restée jusqu`à la fin de mes études secondaires.
Après mon baccalauréat, je suis partie m’installer en 1982 à Amsterdam aux Pays-Bas ; C’est là que je me suis initiée à la photographie dès 1984 en suivant une formation à la Nederlandse Fotovakschool (École professionnelle néerlandaise de la photographie).

Comment arrivez-vous à la photographie ? Vivez-vous de votre photographie ou alors est-ce une passion ?
La photographie est vraiment une passion, et cette passion je la pratique et la vis au quotidien depuis presque 25 ans.
La photographie est un besoin. Elle me permet de communiquer, de m’exprimer, de m’épanouir. Elle me donne des forces. Elle m’a permis aussi de comprendre beaucoup de choses, de regarder les choses autrement, de découvrir le monde, d’échanger, de partager. La photographie m’a beaucoup enrichie.
Le parcours a été long, mais depuis plusieurs années, j’arrive à vivre de mon art, sinon ce serait un luxe superflu.

Êtes-vous une croyante pratiquante ? De quelle confession ?
Je suis catholique et pratique à ma manière. La foi est essentielle. Pour moi c’est surtout très intérieure, très intime.

Dans quelle démarche inscrivez-vous votre travail de photographie ?
Je suis une photographe autonome, mes images se construisent à partir de mise en scène dans un cadre que je construis et ou je fais évoluer mes modèles.
Il y´a alors une complicité qui se crée, il y´a un échange.
Comme un peintre qui travaille sur une toile, moi je peins avec mon appareil photo.

Vos modèles sont des femmes et voilées. Comment expliquez-vous ce choix ?
Si la femme constitue l’élément central de ma démarche, c’est parce qu’elle est une source d’inspiration intarissable.
Elle est la matrice du monde (Mother Earth). C’est elle qui est la gardienne de notre identité, c’est elle qui transmet les valeurs culturelles et les connaissances traditionnelles et c’est elle qui sert de pont entre la tradition et la modernité.
Mon travail est donc une célébration (au sens le plus large), de la femme : sa force, sa vitalité, sa dignité, sa grâce, sa sensualité.
Lui rendre cet hommage, c’est lui donner la part qui lui revient tout naturellement.

Je travaille volontiers le corps féminin dans une dimension symbolique et esthétique. Pour moi c’est un corps qui parle de blessures, de combats, d’épanouissement, de fragilité et de force. Un corps qui dénonce, qui s’insurge Bref, un corps qui est vraiment habité par la vie et donc qui raconte la vie et ses mystères, tout simplement.

Mon but est non seulement de rompre avec les stéréotypes sur la femme noire opprimée, soumise, exotique etc.… véhiculés par les médias occidentaux, mais de les dépasser en montrant une femme sûre d’elle.
Et puis nous avons nous mêmes besoin d’images dans lesquelles on puisse se reconnaître et s’identifier.

Quant au voile, c’est un tout nouveau projet. Mais qui entre dans une démarche logique de mon parcours photographique. C’est sur la femme en général et la femme noire en particulier et de surcroît une femme qui dément et rompt avec les stéréotypes que l’occident a longtemps véhiculés.

Quelle conception faites-vous du voile et de la femme ‘noire’ en général ?
Il est évident que l’image des femmes et du voile soit prédominante dans mon nouveau travail. Ce sont les multiples symboles que la femme et le voile incarnent qui me fascinent et m’inspirent. Encore une fois, il s’agit d’un projet bien spécifique, l’ensemble de mon travail ne porte donc pas que sur la femme voilée.
Mais, c’est mon expérience que j’ai voulu immortaliser et partager, c’est a`dire mon regard de femme sur ces femmes la`, et surtout l’énorme fascination qu’elles ont provoquées en moi, par leur façon de porter le voile et de se mouvoir avec autant d’élégance, de dignité et de noblesse.

Je parle non seulement du voile mais aussi du foulard et du drapé.
J’essaye d’aborder ce thème sous un autre angle en mettant l’accent sur l’esthétique et le mystique du voile.

Ce que je conteste, c’est surtout l’image simplificatrice qu’on attribue au voile.
Le voile n’est pas que symbole de soumission, d’effacement, d’enfermement, de répression et de violence. Et le voile physique n’est pas un voile mental.
Tout comme une nudité absolue ne symbolise pas forcément la liberté, le voile ne fait pas de toutes celles qui le portent, des désemparées.
Au contraire, le voile que je montre est celui qui ose, qui invite, qui séduit, parce qu’il autorise justement le geste du dévoilement.
Ce n’est pas un dévoilement du corps, mais un dévoilement qui passe par les regards, les transparences, la gestuelle.

Mais il ne faut pas oublier que le voile reste aussi un sujet qui est au cœur de l’actualité et qui a soulevé de nombreux débats. C’est un sujet sensible, qui porte sur le rejet, le refus de la différence et donc touche directement l’identité même de l’être humain. Ce travail vise aussi à changer les regards et à susciter une réflexion sur toutes les formes d’exclusion dans notre système social.

Le voile s’inscrit-il historiquement dans l’approche de l’esthétique par la femme ‘noire’ africaine? Si oui ! Est-ce la même conception encore de nos jours ?
Je crois qu’il faut éviter de généraliser. Il faudrait commencer par nuancer, car il y’a voile et voile. La preuve est que dans la série « dévoilements » je parle d’un voile qui passe par la boerka, qui est une des composantes la plus austère du port du voile, mais aussi le drapé et le foulard.
Mais peu importe, les femmes noires, africaines ont toujours portés le voile avec esthétisme et mysticisme.

essambaDerrière l’objectif de votre caméra, n y a-t-il pas une ‘féministe’ qui shoote et mène un combat comme on n’en voit un peu partout ?
Lla notion de féminisme façon occidentale me fait un peu peur et je n’arrive pas à m’identifier à elle. D’ailleurs suffit-il d’être femme et de photographier des femmes pour se voir coller l’étiquette de féministe. Je crois que mon combat est tout autre. C’est avant tout l’humain qui m’intéresse.

Quelle est la part du religieux dans votre approche de la femme voilée ainsi photographiée ?
Le respect, la tolérance, l’acceptation de l´autre dans toute sa différence.

Avez-vous aussi des modèles d’origine ‘nord-africaine ‘ ? Ou Européenne ?
Bien sur. J’ai même des asiatiques parmi mes modèles. C’est l’être humain dans sa diversité qui m’inspire. L’échange mutuel.

N’avez-vous pas l’impression de défendre une religion en particulier même si vous inscrivez à juste titre, votre travail dans une optique de la lutte pour la tolérance ?
Chacun trouve son compte dans mes images et c’est cela qui fait leur force et leur donne toute leur dimension universelle. J’ai défini plus haut ce qui m’a emmené à faire ce travail. Si mon souci avait été de défendre une religion en particulier, je n’aurais pas eu besoin d’aller jusqu’à Zanzibar. Le déclic se serait fait à Amsterdam, Paris où encore Londres.

Comment croyez-vous que votre travail soit perçu dans le pays où vous vivez ? Ne craignez vous pas l’accusation de pro-islamiste ?
Le travail a été jusque là très bien reçu dans tous les pays où l’exposition s’est tenue et aussi bien par les islamistes que les non islamistes.
Je crois d’ailleurs que c’est aussi le rôle de l’artiste de dénoncer, de changer les regards même si on ne peut pas changer le monde, on peut rêver de le faire.
Et le médium photographique a justement cette force parce qu’il dépasse toutes les barrières linguistiques, et devient de ce fait accessible a` tout un chacun.
C’est l’image seule qui parle.
Dès le moment où on est dans les sentiments de crainte, on ne peut plus créer.

Quels sont les pays qui ont déjà sollicité votre exposition ?
Ce travail a déjà été exposé en France, en Hollande, aux États –Unis, au Sénégal, en Espagne où une itinérance est assurée depuis plus d’un an.

Quel retour avez-vous des femmes voilées ou des instances religieuses?
Des instances religieuses : aucun
Quant aux femmes voilées, elles manifestent un sentiment de fierté, et d’identification avec les images, tout comme les femmes non voilées et les hommes.

 Avez-vous l’impression que votre travail ait une portée au-delà de l’idée noble qui vous anime, à savoir la lutte pour la tolérance ?
Ce travail véhicule d’autres symboles, il parle de mode, de force, de sensualité, d’attentes, d’Espoir, d’individu, de solidarité…

Quand est-ce que ce travail sera exposé au Cameroun ? Avez-vous des projets ou des propositions dans cette direction ?
Je retourne régulièrement au Cameroun pour présenter de nouveaux projets et celui-ci sera également présenté quand le moment sera opportun et j´espère très vite.
Tout cela est en gestation.

Que peut-on vous souhaiter Angèle ?
Continuer à me laisser inspirer par mon entourage, mes vécus. Rester dans l’échange, la rencontre, le débat, l’enrichissement mutuel. J’aimerais pouvoir passer le relais. Transmettre aux autres mon expérience et mes acquis dans le domaine de la photographie. J’y ai quelquefois organisé des workshops et conseillé beaucoup de photographes émergeant. Mais cela se limitait toujours à des projets occasionnels, hors j’aspire à travailler de manière plus structuré, sur des projets où je pourrais encadrer et former les jeunes sur une période bien définie.
Créer des structures professionnelles adéquates où les artistes peuvent présenter leurs œuvres et bénéficier d’une bonne promotion.
L’idéal serait de mettre en place au Cameroun des projets artistiques, avec d’autres artistes qui comme moi sont très attachés au développement de leur pays, et l’expriment dans leur créations, conscients que la notion de développement peut aussi passer par l’Art.

A vous le mot de la fin.
Croire en ses rêves, rêver de les réaliser et travailler avec acharnement pour y arriver. Rien n’est impossible.