R.Bona: “Sans la confiance, rien n’est possible “

Richard BonaRichard Bona : “ C’est parce que je fais confiance aux autres en déléguant que je pense être à ce niveau. “

Après une prestation de haute facture à l’espace Carpeaux de Courbevoie (banlieue parisienne) hier soir (22/01/09), Richard Bona se soumet volontiers aux questions que je lui ai posées ce matin dans un café parisien et donne certaines clés de sa réussite. Expérimentant une formule à trois avec le guitariste Sylvain Luc et le batteur Steve Gadd, Richard en a profité pour livrer au public courbevoisien, un avant goût de ce que ce sera son prochain album qui sortira le 24/10 de cette année. L’artiste continue son exploration et nous fait découvrir d’autres saveurs, transcendant les clivages par son ouverture d’esprit et cette envie de se surpasser qui font de lui un très grand Artiste.

Richard, 168 concerts en une année à peine. Comment expliquez-vous les raisons d’une telle endurance ou devrais-je dire d’une telle performance ?
Je ne m’use pas en route. J’essaye d’avoir une hygiène de vie saine en préservant mon capital santé par beaucoup de sommeil après les concerts. Je ne bois ni ne fume ceci est important pour un artiste de haut niveau.

Richard Bona court-il après quelque chose ?
Je ne pense pas courir après quoi que ce soit, seule la passion qui m’habite me faire courir. Je suis un passionné de musique et en ce sens je suis heureux et ne ressens donc aucune pénibilité de ce métier ô combien prenant. Oui ! Je cours après ma passion.

A la question qui vous a été posée aux Antilles par un journaliste si c’est de l’argent ou la notoriété qui vous motive tant ? Vous disiez plutôt la reconnaissance de vos pairs. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
J’ai la reconnaissance de mes pairs. Mais si je continue à me dépenser tant, c’est surtout que je me lance des défis chaque jour. Que je me dise que oui ! J’ai fait de gros progrès dans mon métier.

Vous êtes finalement quelqu’un qui favorise l’approche humaine même dans le travail. Est-ce si évident dans votre monde musical dit être envahi par des requins ?
Rires… J’ai peur de l’animal, mais pas peur des individus, des musiciens ou des gens qui travaillent dans la musique ou ailleurs et je ne pense pas que ce soit des requins. Le climat de peur très souvent on se le crée soi-même et c’est très souvent l’ignorance qui en est la source ou la cause. En Israël dernièrement je posais une question à des jeunes « avez-vous des amis arabes », ils me disent avoir peur, ce à quoi j’arguais : « Mais comment pouvez-vous avoir peur des gens que vous ne connaissez même pas ? » . Prenez l’exemple de Bush qui fait peur au monde en disant « ils veulent nous attaquer mais tu as envie de lui demander : où sont-ils ? Les as-tu vus ? »
Le métier de musicien est passionnant et j’ai plus d’amis dans ce monde que d’ennemis et je cultive le positif. Je préfère garder les bons moments qu’autre chose.

Lorsque l’on a vu son nom traîné dans la boue par ses compatriotes, comment arrive-t-on à pardonner et continuer à faire confiance ?
Je reste positif dans mon rapport avec les autres et je ne saurais juger les autres à travers le comportement d’un individu. [Il revient sur l’incident de son passeport laissé à l’ambassade du Cameroun à Paris et qui s’est retrouvé en Hongrie avec la photo d’un autre individu]. J’ai été beaucoup choqué, mais c’est de l’histoire ancienne maintenant. C’est comme avec la piraterie. Je ne pense pas que la solution soit la répression tous azimuts, car les bonhommes qui se débrouillent de cette façon s’éloignent du vol, du banditisme et d’autres fléaux plus graves. Il faut expliquer que c’est mauvais de pirater, mais non réprimer. Il faut trouver des solutions alternatives. Enlevez les CD’s piratés à ces gens, on va se mettre à crier : il y a trop de bandits, de voleurs etc… Le Cameroun n’a même pas la capacité de piraterie qui règne en Chine. Je pense que chacun essaie de se débrouiller à sa manière. C’est un état d’esprit la piraterie. Une anecdote ! Au Cameroun une femme qui s’est achetée des Cd’s piratés, m’interpelle en me disant, « hey man, tes cd ont cassé mon appareil, il faut me rembourser. ». J’étais écroulé de rires. Il faut trouver des solutions équitables. On ne peut pas passer d’un extrême à un autre ; enlevez ces Cd’s à ces gars, vous verrez ce que cela produira de pire dans la société. Ces gens essaient de survivre face à l’agressivité de la vie en Afrique. Mon propos n’est pas de dire de pirater, je milite même pour que les locaux ne soient pas piratés et peut comprendre que je sois piraté moi, ou Manu Dibango. Que je sois piraté, cela n’influence pas beaucoup ma progression, mais pour les locaux, cela peut s’avérer très négatif. Trouvons des solutions alternatives. Quand on a faim, ou lorsque l’on voit son enfant en pleurs parce qu’il a faim, on essaie de se débrouiller et c’est ce que font ces gens. Le bonhomme qui fait 18 heures de travail à la sauvette, ne vole pas, ne truande personne, il essaie de survivre. He just try to survive man !!!!

Le label naissant et 100% camerounais, ISANGO, vous a fait venir à Dortmund. Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter la proposition, vous qui avez souvent été abusé par vos compatriotes ?
Ce serait injuste de dire que j’ai été abusé par mes compatriotes. ISANGO a fait du beau boulot même si les deux autres expériences avec mes compatriotes se sont mal soldées. Ceci étant je continue à faire confiance et si je peux donner un coup de main à quelqu’un, je le ferai volontiers pourvu que ce dernier respecte la déontologie du métier. En ce sens, ISANGO a été très professionnel. Je crois aux gens, je leur fais confiance et c’est ce qui me pousse et fait aussi ma réussite d’une certaine façon. Si on n‘a pas confiance, on ne peut plus rien faire.

Quel sens donnez-vous à votre musique d’un point de vue global ?
La paix et l’amour sont le sens de ma musique. Ces deux éléments sont essentiels dans la vie et jouent un rôle important même dans la musique. Lorsque je vois des gens qui m’apostrophent en me disant : « nous avons été mariés avec votre musique » ou alors « j’ai rencontré ma compagne ou mon compagnon grâce à vous », c’est l’amour qui s’exprime. D’autres qui me disent que  « pendant le deuil de leur père, ils se sont recueillis avec mes chansons ». Ceci traduit pour moi de l’amour ; même pendant la mort. Vous savez, la mort n’est pas toujours une mauvaise chose.

Peut-on dire que Richard Bona est un artiste engagé ?
Je ne sais pas ! J’ai beaucoup de respect pour ceux qui ont perdu partie ou entièrement leur vie pour des causes nobles. Mandela était engagé. J’essaie à ma manière de contribuer à l’amélioration des choses en aidant du peu que je peux. . (Très embarrassé de révéler). Dernièrement au Cameroun, j’ai préféré donner mes cachets pour un orphelinat et pour un centre de dépistage de Sida. Mais ceci ne fait pas encore de moi un artiste engagé. Non ! Je respecte beaucoup ce mot pour prétendre être un artiste engagé.

Richard BonaQu’est ce qui fait que Richard Bona se permette de résister aux menaces de Sony Columbia et même claquer la porte alors que certains musiciens rêveraient de rentrer chez eux ou avoir ne serait-ce qu’une audition ?
Comme je le mentionnais plus haut, je ne crains pas les individus, je les respecte. Si nous avons des divergences de vue par rapport à un contrat établi, et que l’on ne me laisse plus faire ce que je dois faire, et ce pourquoi j’ai signé, « we’re breaking the contract, from there we’ve the problem ! ». C’est un peu la tendance dans les maisons de disques, qui veulent vous imposer certaines choses comme chanter en une autre langue à partir de votre potentiel. C’est certes une approche commerciale qui pourrait rapporter gros et cela je le comprends aussi. Mais moi je ne conçois pas ma musique en terme commercial.

Mais c’est ce qui fait votre engagement aussi non ? Favoriser l’émergence de nos langues dans un monde qui a du mal à les accepter non ?
Oui ! Musicalement on peut percevoir cela comme un engagement. De peur de me répéter, il est important que nous supportions nos langues, que nous chantions en nos langues. Nous avons une culture, une histoire. Je maîtrise mieux ma culture que celle des autres et nos langues sont belles et très poétiques. Je peux chanter un ou deux morceaux en langues étrangères, mais je préfère la mienne. Nous devons aussi raconter aux autres ce que nous avons chez nous, même s’ils disent ne pas comprendre. Nous n’étions pas obligés non plus de comprendre leurs choses, mais on l’a fait ….. Donc c’est à nous d’imposer ce que nous sommes et ce que nous avons.

Je dois vous avouer que la fluidité, la facilité de travailler avec vous est fascinante. Il m’a fallu au plus 15 minutes pour obtenir cette interview, sans que j’ai à vous courir après. Un mail au manager et l’affaire a été bouclée, car votre accord est venu de suite. Faveur ?
Non ! Je suis un musicien professionnel et je ne me concentre que sur ma musique, le reste je le délègue aux autres. Il est important à ce niveau, de déléguer sinon tu ne t’en sors pas. Cela pourrait paraître prétentieux pour certains, mais ce n’est que comme cela que cela marche. Je ne sais pas qui vous avez contacté, (Agent à Boston ndlr), celui-ci a relayé de suite à mon manager de New-york qui lui a contacté mon « road manager » qui organise mon planning. Ce dernier positionne la chose. Il y a des compatriotes qui viennent directement après le concert ou lors de la balance « on veut une interview pour tel magazine » mais c’est impossible à ce moment, car je suis entrain de travailler et je dois satisfaire les spectateurs en faisant un bon job man !!!! .
[Me montrant son agenda] tout est organisé à l’avance, les interviews et autres, je n’improvise pas sur le coup. Si je ne respecte pas le planning préétabli par ces gens, je discrédite leur travail. Ils sont payés pour cela. Et ceci me rend la tâche facile, je peux me concentrer sur ma musique. Le Road Manager est mon chef en tournée, c’est lui qui décide. A moins de me prendre dans des situations quelque fois pas très confortables. La dernière fois, j’ai donné une interview dans l’avion en allant au Cameroun, mais c’était pour être convenant, ce n’est pas comme cela que çà doit se passer.

Je pense qu’il faut déléguer les tâches pour lesquelles nous ne sommes pas compétents car nous ne les ferons pas bien au lieu de s’en encombrer. [Son agent français Olivier arrive]. Même lui est obligé de prendre rendez-vous car je lui ai dit que j’avais déjà une interview à 11 heures lorsqu’il a proposé me rencontrer. Pourtant c’est mon agent. Je le verrai après toi. Ce n’est que comme cela que je peux me concentrer à ma musique. On ne peut pas être soi même musicien, manager, dealer de ses concerts etc…Ce n’est pas crédible, ce n’est pas efficace. Il faut faire confiance ! Je demande souvent à certains artistes de chez nous, « as-tu un agent ? Ils me disent non ! Je n’ai pas confiance ». « As-tu un manager ? Non ! Pas vraiment ». C’est incroyable ! Comment peut-on vivre lorsqu’on n’a pas confiance aux autres, lorsqu’on ne leur fait pas confiance ? Il faut faire confiance aux gens. Même à ton fils, lorsque tu lui donnes des interdictions, il faut lui faire confiance qu’il respectera tes consignes. Mes agents, je leur fais confiance et cela les motive aussi. Quand on fait confiance aux gens, c’est motivant et ils  se disent « waouh !!! He trusts me ! Et çà les motive. Sans confiance, l’instabilité s’installe avec la peur qui va avec et cela devient contre productif. Il faut créer un rapport gagnant-gagnant !

Quelle coloration aura le prochain album ? Indienne & Brésilienne ? Car « Bombay » comme « Samba » sont de très belles chansons et le public de Courbevoie a apprécié.
J’écris un album sur le blues. Le blues est une gamme pentatonique jouée partout dans le monde. Au Cameroun, c’est notre makossa, bikutsi etc. L’album sort le 24 octobre et sera intitulé “les 12 membres du blues « The twelves shades of blues ». J’essaie de faire des albums à thèmes, car les voyages m’enrichissent beaucoup. C’est la première fois que je joue « Bombay » en public afin de tester la réceptivité et le feeling des gens.

En vous remerciant de m’avoir permis de donner aux lecteurs certaines clés de votre métier, je vous dis à bientôt en rappelant que votre attachement profond au Cameroun fait plaisir. [Il me montre ses baskets aux couleurs du Cameroun]
C’est moi qui vous remercie d’être venu et de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer. Bonne route avec Camerounlink!