‘Paï a Nyambé’,l’œuvre de la perfection
Sam Mbendè : “Toguy est un très grand homme, il faut comprendre cet homme et sa dimension spirituelle…”
Il ne serait pas du tout ‘OSE’ que de le comparer à un Quincy Jones par exemple tant par le talent et leur capacité à transformer en merveille, tout ce qu’ils ont touché. Ce serait, me semble-t-il qu’une juste et vraie comparaison, toute chose égale par ailleurs. Je dirais même que c’est lui donner la place qui est la sienne dans ce monde qui bouge, avance et semble relayer dans l’ordre de l’anecdotique, du superflu tout ce qu’il laisse derrière lui. Même ses pairs, pour lesquels la base d’appréciation est et reste musicale sont unanimes : il est, avec les Francis Bebey, Eboa Lotin, Charles Ewanjè, Manu Dibango, Brillant Ekambi, un maître à penser de la musique camerounaise, un orfèvre du son. Un grand a dit de lui ‘il est le meilleur de sa génération’.
Dans l’univers musical camerounais il est et reste celui dont la profondeur des textes et la vision sont inégalées à quelques exceptions. Cette profondeur que l’on ne saurait comprendre si on n’a pas pris un tant soit peu, le recul de chercher à cerner certains aspects de la vie de ce ‘génie’. Ce génie et cette maestria du ‘Ngila Nyama’ qui lui viennent de sa capacité à transformer les séquelles d’une vie qui ne lui a pas toujours réservée le meilleur ce, lorsque l’on écoute ‘EMENE Marie’, en de paroles, des sons, des musiques prodigieux. Étant de la race des puristes, des perfectionnistes et des gagneurs, il a su transformer ce poids qui aurait déstabilisé plus d’un en une énergie positive, et ainsi rentrer dans le cercle très fermé de ceux qui ont eu, l’espace de quelques instants, l’honneur de tutoyer de près la PERFECTION par leur savoir-faire.
La perfection, Bessaw’a Toto Nkakè Guillaume alias ‘Toguy’ n’a eu de cesse de l’approcher, de la titiller, de la côtoyer à chacun de ses opus, pour finalement flirte avec elle lorsqu’en 1983, il lance ‘Paï a Nyambé’ :‘la pagaie de Dieu’. Album métaphorique par excellence. Une métaphore que Friedrich Nietzsche définit en ces termes ” La métaphore n’est pas pour le vrai poète une figure de rhétorique, mais une image substituée qu’il place réellement devant ses yeux à la place d’une idée.” Voila ce qu’est ‘Paï a Nyambé’ un album et un titre métaphoriques, un album quasi parfait, visionnaire, futuriste et qui innovait par son enregistrement à l’époque et un assemblage humain de qualité autour d’un projet, d’une idée réelle. Si Toguy a mis son talent d’orateur et de griot au service de cet album, il faut plus y voir sa spiritualité qui le rend proche et distant si on n’a pas pris le temps de comprendre, ainsi Sam Mbendè:
“Toguy est un très grand homme, il faut comprendre cet homme et sa dimension spirituelle; voilà un surdoué et le maître qui nous inspire chaque fois de Jr Nelson en passant par Richard Bona,Guy, Félix , Papy, Étienne Mbappè etc..Il nous a tous inspiré et même influencé. De par les arrangements de celui que nous appelons le ‘maestro’ nous avons eu le goût de faire de la bonne musique. Comme Roger Milla dans le foot, Toguy est le géant de notre musique sans flagornerie….”
‘Paï a Nyambé’ est tout simplement une œuvre de la perfection. En cette période de disette qualitative musicale qui secoue la musique africaine et camerounaise, cet album s’impose comme une marque, une mesure, une norme de qualité qui permet de définir la potabilité de la musique. L’exigence de qualité qui s’y trouve est un guide comme l’est également son auteur pour de nombreux musiciens, pour la gloire de la musique, de l’art.
Joint au téléphone cet après-midi, pour comprendre en effet pourquoi le lion s’est fait ou se fait discret sur ses propres productions, il m’a parlé avec sérénité, avec beaucoup de courtoisie et de respect, loin de l’image de ‘prétentieux ou présomptueux’ que certains s’amusent à lui coller à la peau. L’homme m’a avoué avoir pris le parti de se mettre en retrait pour des raisons liées à sa conception de la vie, ce qui confirme le propos d’un de ses inconditionnels Sam Mbendé.
Avec un sens du discernement et de la reparti qu’on retrouve dans ses albums, il m’a dit ne pas rechercher les paillettes ni les gloires qui sont justes des choses éphémères. « Je ne souhaite pas me tromper de combat » lance-t-il calmement mais avec beaucoup de fermeté. Humble, il dit ne pas vouloir juger ce qui se fait aujourd’hui dans la musique camerounaise (qu’il a aidée à mettre en place. Ndlr) mais reste bien évidemment à l’écoute. Ce que l’on peut normalement vérifier dans l’album du jeune Eriko (à qui nous souhaitons un prompt rétablissement et adressons nos prières, ainsi qu’à ses proches) pour se rendre compte que le lion est toujours là et veille. Et son coup de griffe reste aussi vif et saignant comme on le constate dans l’album du jeune sus cité.
Quant à son éventuel retour dans les bacs, l’homme est resté égal à lui-même, c`est-à-dire dans la pondération et la mesure, en ne pas se livrant, car comme tout bon sage, il sait que ceci ne dépend pas que seulement de l’humain que nous sommes. Ne dit-on pas communément que ‘L’homme propose, Dieu dispose’. N’est-ce pas là une grande leçon sur la perception de ce que nous sommes et de la notion de temps ?
Nous avons tenu à rendre hommage à celui qui est une très grande référence de la musique camerounaise et africaine par son talent, sa classe et sa noblesse d’esprit. Puisse notre pays choyer ses enfants et leur octroyer la place qui est la leur ? Aimé Césaire disait : “Accommodez-vous de moi. Je ne m`accommode pas de vous !“.
Et si nous prenons le temps de nous accommoder du lion Toguy et ne pas toujours espérer qu’il s’accommode de nous ?
En écoute “Mundende mwa bedimo”