Kassav subsistera-t-il sans lui ?

Le propos ne se veut pas un dithyrambe à Jacob Desvarieux. C’est du vivant des gens, qu’il faut leur témoigner notre admiration, notre amitié, les encenser,etc…afin qu’ils en prennent connaissance. Une fois qu’ils ne sont plus là, tout propos dans ce sens, me semble inapproprié, lorsqu’il ne se nourrit pas d’autres intentions. Il s’agit plus d’une interrogation. Une interrogation qui, je crois, habite beaucoup de personnes dans mon cas et qui porte sur l’avenir du groupe Kassav, sans celui qui en était devenu l’incarnation. Une question qui habite ceux de ma génération ou pas, qui ont aimé ces 40 années durant lesquelles, un de ses ténors a bataillé sans relâche, pour le hisser au sommet.

De manière simple, on peut dire que le propre des institutions est de situer au-dessus des individus ; même de ceux qui les ont fait naître ou qui les ont créées. Dans une certaine mesure, les créateurs peuvent les incarner; mais jamais, ils ne peuvent être au-dessus ou se substituer à elles. Tel est également le cas pour l’institution Kassav et de sa continuité sans son leader charismatique. D’ailleurs même si c’était sur un ton de plaisanterie, Pipo le présentait comme le boss.

Le plus grand groupe de zouk actuel (peut-être de tous les temps ?) et plus grand groupe de musique français, même si cela irrite les caciques, celles/ceux qui se plaisent à considérer aussi bien la Martinique et la Guadeloupe comme françaises, que lorsqu’il faut aller dépouiller ces îles, empoisonner leurs sols ; ou lorsque ses enfants récoltent des médailles ci et là pour la république. Oui, avec 40 années d’existence, battu tous les records possibles dans son domaine, Kassav est, à ce jour, le plus grand groupe français sans contestation aucune. Il a inventé un genre musical qui est venu s’imposer en Hexagone qui lui tournait le dos ce, après avoir eu sa bénédiction de et en Afrique, tout un symbole. Et il est ensuite allé conquérir le monde. Les inconditionnels se souviennent de la première piste de l’album éponyme AN-BA-CHEN’N LA et les paroles prémonitoires chantées par Patrick Saint-Eloi « Van-la van-la ja ka touné – Zouk pwan on nôt dirèksyon – pou esplozé pou inondé lèmond antiyé »

Kassav/©Tribune2lArtiste

Sa popularité est allée au-delà de l’espérance de ses fondateurs et des frontières de leurs îles, rendant son influence palpable, perceptible. La Maison du zouk (musée du zouk) créée par Luis Paulo Da Silva à Luanda (Angola)  en 2012 est un des nombreux témoignages. Mais ce qui fait la force et la particularité de Kassav, c’est sa forte conscience historique, comme jamais un groupe de musique n’en a revendiqué ce, particulièrement dans les îles dont il est originaire. Une conscience historique qui a tranché avec le doudouisme prisé par les anciens colons et autres descendants de.., histoire d’accentuer les traits d’humour malsain, dès lors qu’il fallait/faut parler des Antilles…  et dont certains groupes de musique ou artistes ont bien incarné, volontairement ou pas.

De sa configuration de départ avec le maître-d ‘œuvre Pierre Edouard Décimus à celle que l’on connaît (on aura connu avant sa disparition), il y a eu Jacob Desvarieux. Le socle, l’inamovible, la figure, l’emblème de l’institution Kassav. Une forte empreinte. Une empreinte écrite à l’encre de sa voix particulière, sa prestance, son savoir-faire. Une empreinte écrite à l’encre indélébile sommes-nous obligés d’admettre. Lorsqu’on évoque le nom Kassav, la première image qui nous arrive en tête est celle Jacob Desvarieux. C’est dire le charisme du personnage.

Jacob Desvarieux/©Tribune2lartiste

Depuis le 31 juillet dernier, Kassav est orphelin de cette figure emblématique. Nous ne saurons ne pas évoquer le départ également d’un instrumentiste majeur de la formation, le trompettiste Freddy Hovsepian, qui lui quelques mois avant Jacob Desvarieux, le 11 février précisément, a transité vers l’autre monde.

Pipo (Jean-Philippe Marthély) en convalescence et, selon les observations à partir de ses quelques rares sorties (malheureusement toujours pour des raisons/événements difficiles émotionnellement) qui entretiennent notre espoir de le revoir nous gratifier de ses Azipipi et de ses bodoum ou alors d’un bon Cocco Bo Nini, la question se pose aujourd’hui pour tous les amoureux de ce groupe avec lequel les gens de ma génération ont grandi et cheminé. Jocelyne Beroard, Georges Décimus, Jean-Claude Naimro auront-ils encore cet entrain, cette envie mais surtout encore la force de continuer sans ce sourire et cette timidité mais combien parlants à leur côté lorsqu’ils étaient sur scène en la personne de Jacob Desvarieux ? Et les fans que nous sommes, regarderons-nous toujours Kassav ainsi amputé avec le même état d’esprit, la même ferveur, le même enthousiasme ?

Le départ de Jacob Desvarieux ouvrira sûrement une nouvelle ère Kassav, avec un nouveau public qui apprendra également à grandir, à cheminer avec la nouvelle configuration qui se fera ; car une institution de cette envergure ne peut se permettre de disparaître. Elle peut muter mais ne doit pas disparaître.

 Quant à notre génération, nous nous abreuverons toujours avec beaucoup de délectation et de plaisir, à la fontaine de l’immense héritage de ce que comportent ces 40 années de triomphe de ce zouk conquérant.