B.BA KOBHIO : ’’Le cinéma en tant qu’art n’a pas besoin de salles’’
Festival Écrans Noirs, cinéma camerounais, le célèbre cinéaste camerounais fait le point. Il est notre invité de la semaine.
Entretien mené par Karine Koumenioc.
L’apothéose de la quatorzième édition du festival Écrans Noirs a eu lieu samedi dernier au palais des congrès de Yaoundé. Quelle est votre sentiment après cette célébration du cinéma africain?
Sentiment de satisfaction parce que déjà, la semaine s’est terminée. Il n’y a pas eu de gros clash, il n’y a pas eu d’incidents. Voilà, nous sommes contents ne serait-ce que pour cela. Nos invités repartent, pour la plupart, satisfaits et puis nous avons pensé à des innovations comme la délocalisation du lieu du festival qui a été une bonne décision. Ces temps-ci, quand je passe au boulevard du 20 mai, je constate que c’était quand même assez bâtard comme lieu. Ici, c’est beaucoup mieux. Donc, ça va je suis content.
Comment jugez-vous cette édition du festival par rapport aux précédentes ? Y a-t-il eu une évolution ou pas ?
Nous avons connu des éditions où il y avait Patricia-Basseck. Nous avions une équipe. Cette fois-ci, il n’y avait plus
Patricia (Moune Mbede, ancienne directrice du festival, ndlr). On a essayé de pousser les différents compartiments à être autonomes. Et avec des nouveaux visages, forcément il y a une nouvelle manière de faire qui n’a pas été mauvaise. En gros, ça été bien.
Pensez-vous que le festival Ecrans Noirs promeut réellement le cinéma africain ?
Je crois qu’il promeut réellement le cinéma africain. Du moins au Cameroun. Notre potentiel, il y a quelques années, c’était de le promouvoir en Afrique Centrale. On faisait toujours une caravane où on allait du Cameroun en Centrafrique puis au Gabon. Nous ne faisons plus ce périple parce que ça coûtait cher. Je crois qu’au niveau de l’Afrique Centrale, du Cameroun, de Yaoundé, on voit ces films là qu’on ne voit pas dans plusieurs pays africains. De plus en plus, les cinéastes africains attendent les Ecrans Noirs peut-être parce qu’il y a désormais une compétition. Il faut comme ça trouver des astuces qui donnent beaucoup plus d’intérêt au festival et c’est pour cela que nous allons, dans l’avenir, essayer de faire venir beaucoup plus de vedettes qui drainent du monde.
Basseck Ba Kobhio© www.terre-africaine.com
Comment entrevoyez-vous l’intérêt que le public camerounais porte à ce festival ?
Moi je pense que c’est pour le cinéma qu’ils viennent. C’est vrai que, par exemple à l’ouverture et à la clôture, beaucoup de gens me disent que c’est pour être vu à la télévision. Parce que ça passe en direct. Il y a des possibilités tous les jours d’aller passer devant une camera de télévision mais si on choisit celle-là, je la préfère à
tout le reste. Je crois que le public nous suit. C’est lui qui nous aide à tenir. Donc, il faut que nous continuons à aller vers lui, à le rechercher. On a eu quelques expériences qui se sont révélées malheureuses par le passé. Par exemple, on a tenté d’aller dans les cinéclubs, à Mvog Ada, à Melen. On a eu des problèmes de piraterie. Le film, aussitôt qu’il était mis dans le lecteur DVD était copié. Sinon, en dehors de ça, nous avons toujours été gâté par le public camerounais. C’est grâce à lui qu’on tient 14 ans.
Nous avons constaté qu’ici au village du festival, l’affluence était un peu timide tout au long de la semaine. On a l’impression que le public camerounais ne s’est pas vraiment intéressé aux réalisations africaines. Que pensez-vous de cela ?
Les gens ne sont peut-être pas venu mais vous savez, moi j’ai appris la vraie raison il y a quelques minutes. C’est que le jour où nous avons démarré, il y a eu un tournoi de basket-ball pour laquelle les entrées étaient payantes. Les premiers qui sont venus sont rentrés avec la nouvelle selon laquelle il fallait payer pour entrer aux Ecrans Noirs. Jusqu’aujourd’hui je n’avais pas compris ça. Ça a dû beaucoup jouer contre eux sinon, vous savez dans chaque manifestation, il y a des années où il y a beaucoup de monde et des années où il n’y en a pas assez. Cette année a été une année sans trop de monde. Il faudra qu’au quinzième anniversaire, cette cour grouille de monde.
Quelles sont les chances pour les films qui passent aux Écrans Noirs de postuler à un festival comme celui de Cannes ?
Ça c’est deux choses différentes. Si quelqu’un veut aller à Cannes, il va à Cannes. D’ailleurs, tous rêvent d’abord d’aller à Cannes. Mais vous savez, quand vous allez à Cannes, vous ne passez pas à ailleurs. Vous ne pouvez pas, après être passé aux Ecrans Noirs et passer à Cannes. Vous ne pouvez passer qu’avant. Ce n’est pas donné à tous les films. Ça me plairait bien que tous ces films aillent à Cannes mais en même temps le règlement à Cannes, quand on a sorti un film quelque part dans le monde en dehors de son pays d’origine, on ne peut plus aller à Cannes.
Quand on parle du cinéma africain sur le continent, on pense beaucoup plus au Fespaco et en second aux Ecrans Noirs. Pourquoi est-ce que le Fespaco passe toujours avant les Ecrans Noirs. Qu’estce qui fait la différence entre les deux festivals ?
C’est la différence entre une grosse machine d’État fortement soutenu par une population totalement mobilisé; avec des journées fériées pendant toute une semaine comme on sait le faire au Cameroun lorsqu’il s’agit de football et, une manifestation qui à été portée par des privés et qui n’a parfois que des bonnes volontés pour faire avancer les choses. Et puis le Fespaco c’est quand même quelque chose qui est né au moment où il n’y avait
pas des manifestations en Afrique. Donc, que c’est un peu le père. Quand nous avons commencé, nous voulions que le festival Écrans Noirs soit un Fespaco Cameroun. Le Fespaco, c’est une manifestation que nous respectons et qui nous aide beaucoup d’ailleurs parce que l’année prochaine nous irons au Fespaco et je peux vous garantir que la compétition en 2011 au festival Ecrans Noirs sera très intéressante parce que nous aurons beaucoup de films nouveaux.
Maintenant que le festival est terminé, qu’envisagez-vous faire d’ici au prochain festival ?
Nous avons une école qui va faire bientôt 5 mois. Elle est située dans les locaux de l’ancien centre de promotion en faveur de la femme qui se trouve à Nkolndongo à la CNPS. C’est désormais l’école des classes de cinéma des Ecrans Noirs. Donc, nous allons avoir des cours là-bas. Nous allons engager un directeur d’école qui est l’ancien directeur de la cinématographie du Cameroun, ancien directeur du FODIC qui était président du jury des scénarios. Donc, sur le plan de la formation, nous allons continuer. N’oubliez que nous avons un projet qui nous tient à cœur et qui a mobilisé beaucoup cette année. C’est celui d’une salle de classe. Une grosse société d’État de la place a accepté de regarder très favorablement la question, de prendre des parts importantes à ce projet. Ça va être une grosse occupation au cours de l’année. C’est une école camerounaise mais, nous allons faire comme l’école de Ouagadougou qui s’ouvre à des étrangers africains. Nous allons donc être très ouverts aux candidats qui ne sont pas camerounais en espérant qu’ils s’y intéressent.
Est-ce que la fermeture des salles de cinéma est un handicap pour les Ecrans Noirs ?
Il y a très peu de films camerounais qui passaient dans ces salles parce qu’il y avait peu de films. S’il n’y a pas de lieu du tout où le film passe, il n’y a même pas une chance de dire qu’un film camerounais passera quelque part. Donc, vaut mieux qu’il y ait ces lieux là qui laissaient au moins la chance aux films camerounais de se dérouler dans ces salles. Pour nous, c’est une bataille qu’il va falloir mener et nous allons la mener.
Comment croire au cinéma camerounais dans un pays où justement il n’y a pas de salles de cinéma ?
C’est vrai qu’il faut des salles pour voir des films mais le cinéma, ce n’est pas la salle. Le cinéma, c’est le cinéma. Quand il passe au niveau de la salle, il devient un commerce. Mais, le cinéma en tant que art, n’a pas besoin de salles. Il doit exister. C’est parce que l’art existe que le commercial ou l’industriel arrive. Donc, nous on doit développer le côté artistique parce que ça va permettre de voir un cinéma de qualité avant de parler du commercial.
Avez-vous déjà commencé à préparer la quinzième édition du festival ?
Je fais une réunion demain (lundi 7 juin 2010, ndlr) avec tous mes collaborateurs avant de nous retrouver dans huit mois. Certains vont continuer à travailler au cours de l’année, d’autres vont revenir. Il faut que chacun parte avec l’idée qu’il y a dans quelques mois, une quinzième édition qui devra être une édition de qualité.
Pour finir, je souhaite longue vie à votre journal EMERGENCE. Je vous souhaite une bonne chance.