Rido Bayonne raconté par quelques fidèles, un clin d’œil à un musicien de génie.
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Henri Janson disait : “Fermer les yeux, c’est une manière comme une autre de tirer les rideaux.” Dans la matinée de dimanche 17 novembre à l’hôpital Saint-Louis à Paris, Rido Bayonne a fermé les yeux, tirant ainsi les rideaux sur ce monde. Fidèle à sa réputation, faire les choses comme il les conçoit, les sent, il a pris de court les dernières sentinelles à ses côtés, pour s’en aller en douceur. A 77 ans, Rido Dieudonné Bayonne, homme d’airain et créateur d’espoir, a tiré sa révérence. Il y a deux semaines, nous lui avons consacré une émission, dans laquelle sont intervenus des fidèles.
Né à Pointe-Noire (République du Congo) en 1947, Rido Bayonne infuse sa musique des différentes saveurs amassées au cours de ses pérégrinations. C’est dès l’âge de 14 ans, sans qu’il en soit conscient et convaincu, que débute la quête de sa voie, se retrouvant loin de son Congo natal, errant dans les rues d’une ville d’un pays qui lui est inconnu, Douala au Cameroun. Mais dans cette trajectoire, qu’il qualifie lui-même d’épineuse pour un jeune garçon de son âge, il y trouvera la source de son bonheur, un orage (il lui consacrera une chanson éponyme dans son dernier album Alliances). Dame nature se charge de mettre fin à l’infortune du gamin, lui envoyant comme bouclier une maman adoptive (DOUALA EYANGO Ruth) et surtout, lui procurant enfin un toit. Et pour couronner cet ensoleillement dans sa vie, il lui révèle ce qui sera son destin, sa vocation. Le jeune Rido Dieudonné Bayonne est comme habité par une philharmonie qui ne le quittera plus et qui, toute sa vie artistique durant, nourrira sa musicalité.
De sa discographie, l’album Douala-Brazza sorti en 2005, sera le témoignage de sa reconnaissance et de son amour pour le Cameroun et particulièrement pour sa ville d’adoption Douala. Ce qui se traduira aussi par sa maîtrise de la langue locale, le duala. Il dira dans un entretien au webzine T2A : « J’essaye de donner en retour, ce que le Cameroun m’a donné. C’est pour cela que je partage avec intransigeance, certes humbles, mes connaissances musicales; mais avec beaucoup de générosité, de passion et sans demander quoi que ce soit en retour. »
S’il est admis que les voyages forment la jeunesse, alors Rido Bayonne en etait la parfaite illustration. Car lorsqu’il envisage sa carrière et son rôle sur la scène musicale, ce n’est plus en tant que congolais ou camerounais d’adoption; encore moins comme batteur, bassiste, guitariste ou joueur d’un autre instrument; mais davantage comme coordonnateur. Entendez ici, les rôles de d’arrangeur, de directeur artistique et de musicien multi-instrumentiste, etc…Ce qui d’un point de vue africain, musicalement parlant, était plutôt marginal, et le positionnait comme un pionnier. A l’image de ce que disait Albert Camus, Rido Bayonne venait d’inventer l’espoir, là où à priori, il y en avait pas pour beaucoup d’enfants de sa condition.
L’autodidacte qui, à l’âge de 13 ans quitte son pays natal, ayant pour seuls bagages, l’amour du travail, un mental d’acier et un caractère bien prononcé quand il le faut, en quelques années, est devenu une référence, un guide, un enseignant. Son objectif étant d’apprendre à servir la musique puis de la servir également. Dans cette lancée, il fera des rencontres (Sugar Blue, James Brown, Dizzy Gillespie, Jaco Pastorius, etc…) des collaborations, des alliances. Il enregistrera des albums (7 au total), il formera et dirigera des orchestres. Rido Bayonne s’impose comme une espèce de couteau suisse haut de gamme de la musique.
Cette nature qui sait se montrer généreuse, avec le temps qui passe, peut également vous consumer de diverses manières, en se dressant contre vous. Et Rido Bayonne en a fait l’amère expérience dans la soixantaine. La musicalité, affirmait-il, Si vous ne canalisez pas la musicalité en vous, elle peut, dans son expression, se révéler trop dangereuse. Le volcan, le dynamique et parfois l’impétueux selon certains de ses élèves est amoindri par une pathologie, qui a nécessité une lourde opération. Doté d’un mental à toute épreuve, il se remettra et se lancera dans sa passion, non plus avec le même entrain ; mais avec la même volonté et toujours avec le même objectif sus cité comme leitmotiv.
Lorsqu’en 2018, il sort l’album Alliances, Rido Bayonne est déjà en phase de réflexion profonde sur comment évoquer, compiler, réunir tous les compagnons de route de sa longue carrière de plus de 50 ans. Comment partager autrement cette bénédiction d’avoir tant reçu ? C’est de cette manière, par la musique son moyen d’expression favori, qu’il dévoile aussi son être profond, sa tendresse, son affabilité, exposant concomitamment son côté intransigeant. L’album Alliances sonne comme une œuvre testamentaire, 22 titres et plus de cent musiciens qui interviennent. C’est dire les exigences d’une telle entreprise. Seulement, et il faut l’avouer, une fois de plus il a eu raison de se montrer intransigeant, car Alliances définit l’intemporalité de toute l’œuvre musicale de Rido Bayonne.
Si nous voulons découvrir pour les uns et mieux comprendre pour les autres qui était ce grand monsieur par la taille, le talent et dont la beauté des sons croise l’intelligence, la joie, le bonheur, alors quoi de mieux que d’aller à la rencontre de son œuvre, de ses alliances. Et de là où il séjourne maintenant, il saura se faire une place de charme parmi les collègues. Ecoutons donc Paco Séry, Isabel Gonzalez et autres Valérie Belinga, Sista Clarisse, Bessy Gordon et aussi Sylvie Bayonne et Tata Jane.