P.Akendengue: « On m’a dit que ma musique est invendable! »
Avec son art consommé de l’allégorie, Pierre Akendengue est l’un des artistes les plus respectés du continent. Le poète septuagénaire n’est pas à bout de souffle et le prouve avec « Destinée »
D’où venez-vous au Gabon?
Je suis né au Gabon, le 25 avril 1943, sur une ile du sud-ouest: Awuta, dans la région lagunaire du Fernan-Vaz. Je suis un natif de l’eau. J’ai grandi entre tam-tam et pirogue, chasse et pêche, évocation de Dieu et des ancêtres. Je dormais sur une natte, à même le sol, près du feu, entouré d’arbustes. C’était un paradis.
Dès le berceau vous avez été empreint de spiritualité
Mes parents voulaient devenir prêtres. Finalement, ils se sont mariés, mélangeant allègrement leur foi catholique et l’animisme. Il n’y a pas de hiatus entre mon baptême, à l’église catholique, et ma croyance en mes ancêtres. On dit que les dieux aiment les louanges. Il y avait au quotidien des musiques sacrées, adressées aux divinités. Dès l’âge de trois ans, je suis parti à Port Gentil, la première ville cosmopolite et économique du Gabon. Les cinquante ethnies du Gabon, mais aussi des africains de l’Ouest, déferlaient pour vendre leur force de travail. Les occidentaux exploitaient le bois, le pétrole, l’usine de contreplaqué. J’ai été très tôt confronté au monde des masses laborieuses, à la précarité. A l’époque on marchait beaucoup. Il n’y avait pas de taxi. Chacun amenait sa culture: les occidentaux, leurs phonographes. Tout cela m’a donné une ouverture d’esprit.
Comment était le Port Gentil de l’époque coloniale?
L’Apartheid existait au Gabon, à Port Gentil en particulier. On avait une ville coupée en deux. Tout ce qui était en bord de mer, sur la presqu’île, était le domaine réservé des occidentaux. Il était interdit de jouer de la musique traditionnelle en ville, sous prétexte que cela dérangeait les expatriés. Si quelqu’un n’avait pu être soigné dans un hôpital, on l’emmenait dans la campagne, pour une veillée, avec un guérisseur, des tambours et des chants sacrés, pour appeler les esprits. A dix ans, en 1955, je suis parti à Libreville, dans un collège de curés Bessieux (du nom du premier évêque arrivé au Gabon en 1848, NDLR) Tous les jours il y avait des messes, des chants grégoriens, qui contrastaient avec les cantiques traditionnels. Ça m’ouvrait à d’autres canons musicaux. Je me suis intéressé à la composition. Des prêtres, voyant mes dispositions, m’ont acheté une guitare. Mais je ne savais pas en jouer. J’avais deux amis chanteurs: Hilarion Nguema et Claude Damas Ozimo, fils du président de l’Assemblée Nationale de l’époque, qui ont popularisé mes premières chansons. J’ai écrit la première à quatorze ans.
Vous avez eu tôt un éveil militant
Il y a eu le coup d’état de 1964, à Libreville. Les militaires ont renversé le président de l’époque: Léon Mba. L’armée française l’a remis en selle. Avec des jeunes, on est allé manifester devant une caserne. On était révoltés contre les français. Quand on est arrivé à la caserne il n’y avait personne! On a détalé comme des lapins!
Comment êtes-vous arrivé en France?
Je suis venu en France, à Orléans, pour passer mon Bac. En 1967, je me suis rendu avec mes chansons, au Petit conservatoire de Mireille. Ce passage a été important. Mireille m’a incité à chanter dans ma langue maternelle: le myéné, en me faisant comprendre que le monde a besoin de s’ouvrir à la différence. Elle m’a encouragé à apporter quelque chose de mon Gabon natal. Ça n’a pas réussi au départ. Quand je suis allé voir un directeur artistique il m’a dit: « C’est invendable! J’ai un chiffre d’affaire à réaliser! » J’ai fini par faire un 45 tours, à compte d’auteur. Sur une face il y avait un clavier et une batterie. Je faisais toutes les voix. Sur l’autre face, une guitare acoustique, avec un poème d’un ami, aujourd’hui décédé: « Le chant de coupeur d’Oukoumé ». Une journaliste Nicole Lacroix a écrit que le disque sortait des sentiers battus. Les africains, alors, ne sortaient que des disques de danse. Pierre Barouh l’a entendu et c’est comme ça que j’ai signé mon premier contrat d’artiste, chez Saravah en 1974.
D’où votre premier album: « Nandipo »
Nandipo tourne autour de mon enfance et de mon évolution. Grâce à Pierre Barouh, je me suis retrouvé avec un certain nombre de jeunes artistes, alors peu connus : Nana Vasconcelos, David Mc Neil, Sedefian Aram, Jacques Higelin… On se produisait au Théâtre Mouffetard, sans programmateur. Celui qui le sentait venait jouer sa chanson. J’étais seul, avec ma guitare devant un auditoire français.
Deux ans plus tard dans le fameux: « Considérable » vous prônez l’unité africaine
C’est l’histoire de Poé, ce personnage, dont le chant provoque la pluie. Il est une passerelle entre la forêt et la vie dans nos cités. Poé arrive en France comme tirailleur, contre l’occupant nazi. Quand il revient au pays il continue de tirer, mais ça ne marche pas. Il échappe de peu à la potence. Dans « Considérable » je dis que la liberté est valable pour chacun de nous. Poé représente la quête permanente de la liberté.
Cet engagement vous a valu quelques déboires
J’ai appartenu à une association estudiantine marxiste. Par la musique, je communiquais avec des gens avec lesquels je partageais certains idéaux de justice. Je prenais fait et cause pour les défavorisés. Ce n’était pas pour plaire au plus grand nombre. Mes chansons n’étaient pas gratuites. Je ne disais pas: « Chérie tu as oublié de fermer la porte! » mais que tout travail égal salaire. Je chantais dans ma langue, qui n’est pratiquée que par dix pour cent des gabonais. Ça a été interprété comme une dénonciation du pouvoir en place. J’étais suspect. Quand le président Pompidou est venu au Gabon on m’a demandé de chanter et j’ai refusé. Ça a été mal perçu. Il y avait encore la censure universitaire. Ma bourse à Nanterre a été coupée. J’ai dû gagner ma vie en chantant à droite et à gauche. Pendant longtemps, je n’ai pas pu aller au Gabon. Quand mon père est décédé en 1975, je n’ai pas pu porter son deuil, car j’étais menacé de prison. D’autres étudiants ont été incarcérés à l’époque. Dans ce contexte de guerre froide, tout ce qui était lié au communisme était considéré comme une maladie dangereuse. J’ai eu des mésaventures. On a failli m’enlever. Mais je n’ai pas changé de point de vue. Je pense que le pays est toujours mal gouverné. La majorité vit en dessous du seuil de pauvreté. Nous avons une institution de lutte contre l’enrichissement illicite, censée lutter contre la corruption. Les audits n’ont rien donné. Personne n’est allé en prison. C’est une coquille vide. Quand la communauté internationale dénonce les biens mal acquis ça passe. Si un gabonais le dit c’est un crime de lèse-majesté. L’argument de ceux qui pillent c’est que la France le fait. Ca ne justifie pas la corruption. On devrait faire un effort pour que chacun ait le minimum vital. Des gens meurent de maladies qu’on peut soigner. On n’arrive pas à le faire car l’argent est détourné. Il faut que ça change.
Dans les années 80, étiez-vous conscient de participer à ce mouvement « World Music » des Youssou N’Dour, Salif Keita…?
De plus en plus de monde venait à nos concerts. Il y avait une évolution des mentalités. J’étais content de voir que Jack Lang, Michel Rocard, assistaient à mes concerts. On formait une famille avec les Touré Kunda, Xalam, Manu Dibango, Francis Bebey…Ensuite sont venus Youssou N’Dour, Salif Keita et Mory Kanté. Ils ont prouvé que les musiciens africains étaient de mieux en mieux formés.
De quoi parle votre nouvel album: « Destinée »?
Dans « Ma forêt » je m’insurge qu’il n’y ait plus que quatre poumons sur notre planète. Dans la région de Port Gentil, une grande nappe de pétrole a été répandue l’an dernier. La société à l’origine de cet accident: Perenco a payé. Mais des sommes dérisoires! Résultat: la mangrove se détruit. Les œufs des poissons pourrissent. A terme, il y aura des cancers. Les enfants sont malformés On n’en parle même pas. C’est un désastre écologique. Les eaux montent. Port Gentil est en dessous du niveau de la mer. J’ai aussi écrit: « Luanda ». J’ai été en Angola plusieurs fois. J’ai observé la façon dont l’Angola a eu son indépendance, vis à vis des portugais. Entre le fusil et l’outil ils ont privilégié l’outil. L’Angola donne l’exemple, actuellement. Ce pays a de grandes sociétés au Portugal. Au Gabon on ne sait même pas comment sont gérés les barils! L’État français garde la mainmise sur notre pétrole. Sur le titre « Eningo » j’évoque un python qui crache de l’argent. Mais tout le monde n’y a pas droit. Ce pays est plein de richesses mais on les vole. Les femmes accouchent dans des couloirs. Pendant ce temps, il y en a qui ramassent ce que crache le python. Ils construisent de belles villas. Ils voyagent aux États-Unis. Les gens chez nous meurent tellement que j’ai dit ceci: « Les pompes funèbres proliférant, ça réduit le taux de chômage!»
Vous avez travaillé avec des valeurs sûres comme le guitariste congolais, Olivier Tshimanga, le pianiste François Bréant.
Ma démarche s’inscrit dans la capacité de la musique traditionnelle africaine d’intégrer des valeurs exogènes. Je suis comme le gardien du temple, qui donne des nouvelles du pays, en s’ouvrant à celles de l’extérieur. Tshimanga est un merveilleux guitariste. François Bréant est un ami avec lequel je travaille, depuis l’époque où je vivais en France. C’est un enrichissement mutuel. Ma tradition les nourrit. Leur sensibilité, leur technicité m’apporte. C’est un peu comme mon travail sur « Lambarena », avec deux musiques à priori étrangères (la sienne et l’œuvre de Bach NDLR) mais qui a abouti à cette alchimie avec Hughes de Courson.
Peut-on être critique et accepter, comme vous l’avez fait, d’être conseiller du ministère de la culture de feu Omar Bongo?
Le Gabon est un petit pays d’1,5 million d’habitants. Si vous on nomme à un poste et que vous refusez, vous ne pouvez pas gagner votre vie. Il n’y a pas une seule salle de spectacle! La seule est à l’Institut français. Je n’ai pas de regrets. J’ai mis en place une association des artistes musiciens et interprètes. J’ai tenté, en vain, de mettre en place une société d’auteurs. Il n’y en a pas. Les artistes gabonais n’ont pas de droits d’auteur. J’ai essayé de pousser de l’intérieur du système mais j’ai échoué. J’ai aussi créé une école pour jeunes talents: « Le carrefour des arts ». Je leur ai permis de se produire pendant les fêtes, les manifestations officielles, d’avoir une visibilité. La chanteuse Annie Flore Batchiellilys en est issue. Je n’ai pas fait une mauvaise chose en acceptant ce cadre. C’était un compromis, pas une compromission. Je garde mon cap.
Qu’avez-vous pensé de la succession du fils: Ali Bongo, au pouvoir depuis 2009?
Il y a eu des morts à Port Gentil. On n’est pas dupes que le Gabon est le pré carré de la France. Sarkozy ne pouvait pas se permettre de laisser notre pays aller ailleurs. On souhaite que les choses changent. Ça ne peut passer que par l’éducation. Mais les conditions ne sont pas optimales. Les professeurs font des grèves pour la revalorisation de leurs postes. C’est l’éducation qui mènera à un éveil des consciences. Pas de s’accrocher à la servilité comme à un lit d’hôpital! Les gens ne sont pas assez conscients de leurs droits.
Qu’envisagez-vous prochainement?
J’aimerai venir en Europe mais les promoteurs actuels ne me connaissent plus.
Liens:
http://www.youtube.com/watch?v=WVmMVe5ckno
http://www.youtube.com/watch?v=MivHxtbJ5PE
http://www.youtube.com/watch?v=GNFOgAdPK2w
http://www.akendengue.com/