« On ne triche pas avec la musique » : Justin Bowen
Justin Bowen: “Être musicien c’est avoir les problèmes d’un musicien. Quand je ne sais pas où jouer et avec qui aller faire une tournée ou moi-même en faire, là je commence à me poser des questions. Ce sont là les soucis d’un musicien, un vrai musicien.“
Attachant, blagueur, il distille la bonne humeur à son contact et l’on passerait des heures avec lui sans s’en rendre compte parce que l’homme sait également manier le verbe. Éloquent, il ne parle surtout pas pour ne rien dire, car derrière chaque métaphore qu’il utilise, il met le doigt là où çà fait mal dès lors qu’il s’agit de son métier. Aussi, insiste-t-il très régulièrement comme pour faire passer un message : ’’ La musique est mon travail, je ne sais pas faire autre chose, donc je me dois de faire au minimum 8 heures de travail par jour de la même façon qu’Eto’o fils a le football comme métier et s’entraîne tous les jours’’ et de rajouter ’’ il y a aucun honneur à cela, puisque d’autres travaillent comme avocat, journalistes etc.. Par contre quand on décide de faire un métier, on le fait bien. Si vous trichez, cela aura des conséquences et on le découvrira tôt ou tard’’.
L’un des meilleurs pianistes camerounais avait planté le décor comme pour indiquer la direction à prendre dans l’entretien que nous passerons dans le jardin de sa maison en région parisienne. Attentionné, Justin l’est avec ses invités comme avec sa magnifique progéniture qui m’entraîne dans une conversation en allemand et d’autres sujets liés à leur occupation d’étudiantes et d’élèves…
Saisissant la perche ainsi tendue par ce :’’ …Par contre quand on décide de faire un métier, on le fait bien. Si vous trichez, cela aura des conséquences et on le découvrira tôt ou tard’’, je fonce donc pour en savoir un peu plus de ce que Justin Bowen pense de la musique camerounaise à l’heure des festivités du cinquantenaire et quelle conception se fait-il de son métier.
Quel est donc l’état des lieux de la musique camerounaise Justin ?
Le problème de la musique camerounaise est à l’image des problèmes du pays. Les gens ne sont pas à leur place et cela a pour conséquence l’instauration d’une certaine médiocrité.
Je ne comprends pas les gens qui ne sont pas à leur place.
Il faut distinguer beaucoup de choses lorsqu’on aborde cette question. D’abord il faut dire que les musiques du Cameroun se portent bien dans leur ensemble, c’est-à-dire celles qui prennent source dans nos traditions profondes. C’est pour cela que vous verrez que des rythmes comme le Bikutsi, le Ben Skin, l’Assiko qui sont des musiques qui ne souffrent pas d’un certain essoufflement parce qu’elles sont restées originales. Par contre le Makossa dans lequel j’ai également beaucoup travaillé a subi de graves secousses, parce qu’il a été entraîné dans des directions qui lui ôtaient sa substance pourquoi ? Parce que les gens ne sont pas à leur place.
Est-ce le fait des musiciens ?
Là également il faut faire un distinguo. Sortir un disque ne fait pas encore de toi un musicien. Je joue au football les dimanches ou de temps en temps ; suis-je pour autant footballeur ? Non !
Pour répondre donc à ta question, c’est tout ce qui gravite autour de ce métier et dans le Makossa qui a fait perdre son âme à ce rythme. Des Eboa Lothin, des Brillant, Ndedi Dibango, Toguy et j’en oublie, donnaient une âme à cette musique. Sais-tu pourquoi ? Ils étaient musiciens ! Aujourd’hui ce n’est plus tellement le cas.
Il faut également ajouter que les producteurs et les contraintes commerciales ont contribué à pervertir le milieu en sacrifiant la qualité pour le commerce…Mais même jusque là ! Brillant faisait de la musique commerciale, mais avec un fond, une âme, Toguy, Ndedi Dibango, c’était pareil ! Parce qu’ils sont musiciens dans l’âme.
Je peux aussi te dire que le Bikutsi se galvaude et les puristes s’en plaignent.
Je ne partage pas ton point de vue en totalité. Que certains le ramènent en dessous de la ceinture n’enlève en rien de manière essentielle à ce rythme qui puise son inspiration dans ses racines profondes. C’est un rythme inimitable (dans le sens où on ne saurait le vider de sa substance) ailleurs sans qu’on ne sache d’où il vient.
La nature a horreur du vide tu le sais !
Çà n’explique pas tout dans pour le sujet que nous débattons. Je pense que l’appât du gain y est pour beaucoup. Je ne dis pas qu’il ne faut pas en chercher. Mais pas au détriment de l’essentiel de cette chose.
Qu’est-ce qu’être musicien alors ?
C’est celui ou celle dont le travail est la musique ; dont la source des revenus voire ‘la vie’ dépendent de cette activité. Quand je me lève le matin, mon travail c’est de jouer au piano pendant au moins 8 heures, tout comme ma femme va travailler. Eto’o fait la même chose, il s’entraîne tous les jours pour aller jouer les dimanches etc…
Être musicien c’est avoir les problèmes d’un musicien. Quand je ne sais pas où jouer et avec qui aller faire une tournée ou moi-même en faire, là je commence à me poser des questions. Ce sont là les soucis d’un musicien, un vrai musicien.
Or on ne peut pas se dire musicien alors qu’on ne travaille pas pour cela. Beaucoup ne sont pas musiciens, même s’ils sortent des disques, car ce n’est pas leur métier. Ils apportent de l’argent pour qu’on fasse un disque et une fois celui-ci sorti, ils peuvent vivre d’autres choses même s’ils perçoivent les rentrées des ventes du disque.
Qui doit faire la musique alors ?
Tout le monde a le droit de faire de la musique puisque c’est un art, donc ouvert et libre. Mais lorsqu’on se dit musicien de métier, professionnel alors je dis qu’il faut laisser la musique aux musiciens. On peut faire une aventure, mais à un moment on est rattrapé ; parce qu’on manque de connaissance musicale pour faire ce métier. Tout n’est pas seulement une question d’inspiration ou de talent.
Revenons un peu sur le Makossa, en d’autres termes, il y a eu beaucoup d’aventuriers ?
Ce n’est pas cela mon propos. La musique camerounaise a été entourée par de gens dont l’objectif n’est pas forcément la promotion de la musique, mais le business. Et je dis ce n’est que de bonne guerre, car lorsqu’on investit, il faut un retour d’investissement. Seulement, il appartient par exemple, aux arrangeurs avec lesquels les producteurs travaillent de fixer le cap et de donner la direction. Oui pour travailler sur ce projet, mais dans un certain cadre qui sert la musique.
Si on sert la musique, il faut également être capable de refuser des projets qui la desservent et cette rigueur n’a pas beaucoup prévalue à une certaine époque. Et c’est le Makossa qui en a beaucoup souffert dans sa qualité et son âme. On peut reprocher une certaine légèreté au Bikutsi, mais fait est que, lorsqu’on entend le bikutsi, on sait d’emblée le situer au Cameroun et non ailleurs comme je l’ai dit tout à l’heure. On n’a pas « dombolisé » le Bikutsi, l’Assiko et qu’en sais-je, mais le Makossa a perdu toute son âme car malmené par des influences venues d’ailleurs et encouragées par les concernés.
Mais comment es-tu devenu musicien toi ?
Très tôt j’ai commencé à jouer et j’ai eu la bénédiction de mes parents qui, voyant qu’ils ne pouvaient rien faire contre mon irrépressible envie, ont facilité en acceptant que je fasse la musique comme métier. Je partais du Cameroun en ayant déjà un background que je croyais solide. Mais lorsque je débarque en France et je vois jouer les gens qui ont la connaissance de la musique, je me rends vite compte que je n’étais pas musicien, car je ne connaissais pas la musique et l’instrument que je jouais. J’ai vu un gamin d’à peine 8 ans joué et j’ai pris peur…C’est te dire l’importance de l’apprentissage.
C’est, et il faut le dire, Vincent Nguini, une véritable science musicale qui m’a poussé vers l’apprentissage de la musique et de mon instrument, il m’a été d’un apport précieux et inestimable. J’ai pris des cours de musique. Je partais du Havre pour Paris pour aller étudier la musique. Et même jusqu’à il y a un an, je prenais encore des cours de piano classique pour élargir mon spectre musical.
Et penses-tu que beaucoup dans le milieu n’ait pas cette démarche ?
Je préfère plutôt parler de ceux et celles qui ont cette démarche car c’est pour moi être un musicien professionnel, c’est cela travailler comme musicien. Un avocat ne peut pas aller plaider alors qu’il ne connaît pas le droit…
Mais on note un retour de la qualité musicale au Cameroun….
Oui ! Parce qu’en partie, pendant ce temps de flottaison, nombreux apprenaient la musique et lorsqu’ils ont décidé de sortir des disques, on a vite fait la différence entre le musicien et celui qui ne l’est pas. C’est pour cela que l’on trouve aujourd’hui des productions musicales de qualité par des musiciens talentueux qui ont pris la peine de s’informer sur les rudiments du métier et plus.
Ceci étant il y a de tout dans la nature et l’on a besoin de tout cela pour que le monde continue de vivre.
Parle-moi de ton dernier disque ’’Rio Dos Camaroes’’
Il est inspiré de mon voyage au Cameroun et des beautés qu’on y trouve. C’est la raison pour laquelle je me demande comment on peut s’aventurer dans d’autres choses alors qu’on n’a même pas encore commencé à explorer la richesse musicale de chez nous. On peut les adapter à d’autres inspirations, mais la source doit être chez nous me semble t-il. Donc ’’Rio dos Camaroes’’ est inspiré de nos traditions, et j’ai donc adapté à mes expériences à travers mes rencontres. Dans l’esprit il n’est pas différent de ’’Flash Back ’’ et s’inscrit dans l’idée que je me fais de la musique.
Quelle crainte nourris-tu par rapport à lui ?
Un disque doit avoir une vie et non s’insérer forcément dans une optique commerciale, de tendance ou de mode. Car si vous suivez ces canaux, vous êtes dans l’éphémère. Donc je n’ai aucune crainte par rapport à cela. Même dans 50 ans, j’aimerais que l’on dise, mince ! Quel musicien ! Quel disque !
Tes projets pour le Cameroun ?
J’ai l’intime conviction que dans de bonnes conditions, on verrait des pianistes de grande envergure proliférer au Cameroun. Le problème avec le piano, c’est qu’il n’est pas accessible à tout le monde, peu de familles peuvent s’en offrir ou inscrire des enfants pour des cours. Je nourris l’ambition d’ouvrir une école de piano accessible à tous pour que celui-ci soit aujourd’hui ce qu’est la basse chez nous. Il n’est pas normal que nous n’ayons pas assez de pianistes alors qu’il y a des talents qui sommeillent chez les jeunes. Et aux pianistes débutants camerounais, je dis toujours, ne restez pas sur vos acquis parce que vous jouez dans un bar ici et là ou avec un tel, apprenez la musique, domptez votre instrument et cela passe par des cours.
Tu n’es pas aux festivités au Cameroun ?
Contractuellement je ne pouvais pas et je l’ai fait savoir aux autorités camerounaises lors de leur prise de contact avec moi à cet effet.
A toi le mot de la fin alors !
Merci d’être passé et surtout pour le travail que tu fais, car tu te positionnes comme un très bon partenaire de par ton approche et la qualité de ton travail. J’espère que tu recevras le soutien massif de tous dans cette aventure. Merci à tous les fans de la musique.