S.Béatrix:”…B.Obama est est plus ressenti que compris”

p_sylvianne-beatrix-300x270Au détour d’une discussion sur le réseau social, une rencontre; celle d’une femme qui arbore plusieurs casquettes. Traductrice et interprète, Sylviane Béatrix est également écrivaine et scénariste. Elle nous parle de son livre, un recueil de poèmes sur Barack Obama ” Le roi des cœurs ou 100 poèmes pour Barack Obama”.

Bonjour Sylviane, grâce à ce que je qualifierai de “un heureux concours de circonstances”, j´ai fait votre ‘connaissance’ via le réseau social. Comment vous présenter à nos lectrices et lecteurs ?
J´ai également été très heureuse de faire votre connaissance, Jean-Jacques. Je trouve cela toujours passionnant de faire de nouvelles connaissances. À chaque fois, c´est tout un monde qui s´ouvre à nous.
Pour répondre à votre question :
Je dois dire qu’il est toujours difficile de se présenter soi-même de manière objective et exhaustive. Je commencerai donc par la « fiche technique » :
Je suis née le 31 août 1952 à Fort-de-France, Martinique, de parents tous deux Martiniquais.
J´arrive en France métropolitaine à l´âge de 3 ans et grandis à Versailles. En 1975, je me marie avec un Tyrolien et pars m´installer dans la ville natale de mon mari, à Innsbruck, capitale de la province du Tyrol, en Autriche, où je fais des études en traduction écrite et en interprétariat. Pendant plusieurs années, j´enseigne aux Autrichiens et aux Allemands à l´Université d’Innsbruck (Institut de linguistique) et  à l´Institut Français d’Innsbruck (français langue étrangère).

En 1997, nous rentrons en France. De 1997 à 2009, nous habitons dans le département du Nord (59), à Douai. Je travaille alors en tant que traductrice et interprète de conférence pour la langue allemande (à Lille, à Bruxelles, et dans bien d´autres villes). En janvier 1998, je deviens Expert judiciaire près la Cour d´Appel de Douai, ce qui me vaut le grand honneur d´assurer les fonctions d´interprète pour la langue allemande dans le cadre de grands procès tels que le procès Daniel Nivel/Markus Warnecke (il s´agit du dernier hooligan allemand jugé en France suite aux incidents intervenus à Lens lors de la Coupe du Monde de Football de 1998).

J´ai également eu le grand honneur d’être la voix allemande de Madame Martine Aubry, Maire de Lille et ancienne Ministre du Travail et de la Solidarité, pour son discours d’ouverture de « Lille Capitale européenne de la Culture », en 2004. En août 2009, nous rentrons en Autriche.
J’ai deux filles dont l´une travaille à la télévision, et l´autre faisant des études en attendant de pouvoir réaliser son rêve : devenir actrice.

Parallèlement à mes activités professionnelles, je n’ai jamais cessé d’écrire. J´écris depuis l´âge de 13 ans, je n’ai pas écrit sans interruption, mais pense avoir toujours été une grande observatrice. Jeune, je rêvais d´être journaliste parce que tout m’interpellait, et que j’étais toujours prête à monter sur les barricades. L´injustice a toujours été pour moi « la bête à abattre ».

Comme pour beaucoup d´écrivains, l´écriture est une passion. C´est quelque chose que nous avons en nous et dont nous ne pouvons pas nous passer. J´ai presque envie de parler d´instinct, de drogue même.
J´écris dans tous les styles littéraires : poésie, prose, romans et nouvelles, je viens même de découvrir le Slam en la personne de « Grand Corps Malade » que j´admire beaucoup.

Pour moi, écrire, c´est s´exprimer. La technique littéraire importe peu ; ce qui compte c´est la force d´expression, que le message soit réellement perçu. Mais la forme reste toutefois importante puisque lire est avant tout un plaisir momentané.

En ce qui concerne ma propre personne, je suis à la fois très sérieuse et très drôle. Je prends la vie au sérieux, adore toutefois rire aux éclats au milieu d´un cercle d´amis, et dans ces moments-là, je suis loin d´être triste. Là aussi je pleure, mais de joie cette fois-ci.

Vous cumulez plusieurs casquettes dont celle de scénariste également. Si vous devriez écrire un scénario sur le réseau social qu´elle  serait la trame ?
Cela tombe bien que vous me posiez cette question car mon tout premier scénario porte justement sur l´un des réseaux sociaux les plus connus actuellement : Facebook. J´ai écrit ce scénario (et y travaille toujours) pour ma fille cadette qui souhaite devenir actrice. Quant à l´intérêt pour les scénarios, il me vient de Maka Sidibé, un jeune réalisateur, comédien et scénariste, un ami de ma fille aînée, qui a déjà remporté de nombreux prix prestigieux. Mon premier scénario, donc, est taillé sur mesure pour ma fille cadette, ce qui lui permettrait de mettre en valeur non seulement ses talents d´actrice et de comédienne, mais aussi de danseuse. Elle a une formation de danseuse classique (Conservatoires de Versailles et de Lille), mais également en danse contemporaine et dans d´autres styles de danses modernes. Et comme la plus grande partie de sa vie se passe sur Facebook, j´ai pensé qu´il convenait d´en parler dans un scénario, de mettre en scène ce phénomène planétaire.

Ce qui me plaît dans les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, c´est que chacun a pignon sur rue, est donc visible, a droit à la parole, peut décider lui-même de s´afficher ou non. Jusqu’ici “l’affichage”, et de ce fait la promotion et les avantages sociaux ou privilèges étaient étroitement liés au bon vouloir d’une poignée de « mentors » qui pouvaient se permettre d´aider les uns ou de refuser les autres, et de ce fait d´influencer l´avenir de tout un chacun. (De nouveau un système propice à l’injustice, à la discrimination et à la corruption.)

Aujourd’hui, même s´ils ne sont pas encore parfaits, les réseaux sociaux en ligne ont révolutionné le monde : pas d´exclusion intempestive, chances relativement égales ; le monde entier est invité à la « fête de famille ». Je parle de tout cela  dans mon scénario, des nouvelles possibilités que nous offre Internet : nous sommes tous connectés au monde. Personne ne peut plus être réellement exclu : ni les Iraniens, ni certains quartiers défavorisés en France. Le monde est tout de suite informé de toute injustice, en quelques clics.
J’entends souvent l´expression « la famille Facebook » qui bientôt reléguera le terme « d’amis ». Instinctivement, nous nous allions, selon nos affinités. Beaucoup « d´unions », « d´alliances » se créent comme des mariages. C´est de tout cela dont je parle dans mon scénario, de tous ces changements « révolutionnaires ».

p_sylvianne-beatrix-300x270D´écriture, vous avez en décembre 2009 publié un livre « Le Roi des Cœurs ou 100 poèmes pour Barack Obama ». Qu’est-ce qui a inspiré sa rédaction ? Quels sont les grandes lignes de ce livre que je découvre également ?
Merci d´avoir « découvert mon livre ». C´est bien là le but de tous mes efforts sur Internet : faire connaître mon livre au grand public. Mon livre est né des profondes émotions que j´ai ressenties le 20 janvier 2010 lorsque j´attendais la retransmission de l´investiture de Barack Obama à la télévision. Ces émotions d´une très grande intensité m´ont amenée à réfléchir. Je me suis mise à analyser les raisons de l’état d’excitation dans lequel je me trouvais, puis j´ai souhaité éterniser les résultats de cette analyse sous forme de poèmes. Écrire un poème, c’est écrire au figuré, envelopper des pensées, parfois trop dures pour être dites frontalement ou ouvertement en public, dans un papier de bonbon littéraire.

Lorsque Barack Obama a été élu premier président noir des États-Unis, j´ai ressenti comme un immense soulagement. C´était comme si j´avais été libérée de prison, comme si je voyais la fin d´un interminable tunnel que j´aurais traversé pendant des décennies. Alors voyant, en fin d´après-midi du 20 janvier 2010, des millions d´autres personnes en larmes, tout comme moi, à la télévision, même Miss France et une célèbre journaliste de la chaîne de télévision allemande Pro7, j´ai compris que nous étions les membres d´une grande famille qui avaient été séparés pendant une « interminable nuit politique » (comme je le dis dans l´un de mes poèmes) et qui rentraient enfin à la maison.

Ce n´est pas forcément de la famille des personnes de couleur dont je parle, mais tout simplement de la famille des personnes de bonne volonté, de la famille de tous ceux qui rejettent tout ce qui fait mal, toute injustice, tout acte de persécution sous toutes ses formes. La famille de tous ceux qui subissent les violences de politiques erronées était réunie de nouveau, c´était la fin d´un cauchemar séculaire, d´où l´effondrement émotionnel.

L´élection de Barack Obama a prouvé que l´impossible était possible et qu´une situation difficile et insoutenable n´était pas une fatalité, qu´il y avait toujours une sortie de secours. Barack Obama nous a redonné l´espoir et a mis un terme à l´outrecuidance des tout-puissants.

Étant une femme réaliste, j´ai pensé que beaucoup d´entre nous oublieraient bien vite ces moments historiques et adopteraient trop facilement des attitudes nuisibles au groupe de naufragés que nous avons été (et nous sommes loin d´être sauvés). Il convient donc de lutter contre l´oubli, immortaliser les grands moments de joie commune, les petites et les grandes victoires, construire des lieux du souvenir sous forme de musées, d´objets d´art, de livres, préserver notre héritage commun. Et mon livre est mon humble participation à cet effort collectif.

Comme son titre l´indique, mon livre est composé de 100 poèmes non seulement de tailles différentes, mais aussi de styles différents. Certains sont drôles, d´autres sérieux parfois même tristes, certains conciliants, d´autres dérangeants. Les premiers poèmes décrivent les émotions ressenties lors de l´investiture de Barack Obama, les suivants analysent les raisons de l´envergure et de la profondeur de ces émotions, suivent alors des analyses politiques et sociétales, et les poèmes offrant une projection dans l´avenir viennent clore ce voyage poétique complété par une nouvelle intitulé « Raconte-moi les Antilles », une ébauche d´explication du relationnel entre les Noirs et les Blancs empreinte d´une histoire sombre de plus de quatre siècles dont la situation politique actuelle est l´aboutissement. « Le Roi des Cœurs ou 100 poèmes pour Barack Obama » est le premier livre que je publie, mais pas le premier que j´ai écrit. J´avais déjà fini mon premier roman auparavant, mais ait préféré attendre avant de le lancer pour pouvoir découvrir le monde du livre qui est un univers absolument nouveau pour moi et qui cache bien des méandres. Il convient de découvrir minutieusement ce monde particulier pour éviter les écueils.

Ceci dit, il n´est guère facile d´entamer une carrière littéraire avec un recueil de poèmes ; la poésie étant toujours considérée comme l´enfant pauvre de la littérature. Ce que je regrette, car lire des poèmes, c´est se plonger dans un monde fantastique de pures émotions.

Cover Beatrix« Barack Obama roi des cœurs » ! De ces dames ?
C´est vrai que la rumeur court que les principaux supporters de Barack Obama étaient des « supportrices » telles que Michelle Obama, elle-même, Oprah Winfrey et Caroline Kennedy pour n´en citer que quelques unes. Mais le titre de mon livre m´est venu à l´esprit lorsque j´ai vu toutes ces personnes émues jusqu´aux larmes juste après son élection d´une part, puis lors de son investiture. Et là, il y avait autant d´hommes que de femmes. Le révérend Jesse Jackson, l´un des adeptes de Martin Luther King, était aussi ému que Oprah Winfrey.

En outre, Barack Obama ne se réduit pas à un phénomène uniquement féminin ou masculin, il va au-delà de la politique nord-américaine, il est un événement planétaire. Et de ce fait, mon livre ne s´adresse pas uniquement aux femmes ou aux personnes de couleur, mais aux personnes de tous horizons. Barack Obama est une « affaire de cœur », il est plus ressenti que compris.
J´ai même été surprise de constater, sur la base des retours que j´ai obtenu jusqu´ici de mes lecteurs, que la répartition de ces derniers était très équilibrée : aucune couleur de peau ne domine, aucune tranche d´âge et aucune classe sociale.

L´expression « Le Roi des Cœurs » attire juste l´attention sur le fait que le phénomène Barack Obama n´est pas uniquement un phénomène politique mais un phénomène qui relève du domaine émotionnel, de l´âme et du cœur. Ce phénomène est plus irrationnel que rationnel, il est peut-être le cri de tous ceux qui ne supportaient plus d´être dirigés par des technocrates : « des robots aux torses creux », comme je les appelle dans mes poèmes.

Quelle est votre lecture de l´accession de Barack Obama à la magistrature suprême aux États-Unis et quels enseignements en tirez-vous.
Pour moi l´accession de Barack Obama à la magistrature suprême, donc l´arrivée d´un Noir à la Maison Blanche, est un événement historique attendu depuis des lustres  par des millions de personnes réparties sur toute la surface de la planète: la fin d´une aberration politique nourrit par des ambitions économiques aiguisées par l´attrait du pouvoir absolu basé sur un système de désinformation sophistiqué, consolidé par des outils de propagande « de salon » et de lavage de cerveau bien orchestré, une machine parfaitement huilée. Tout était enjolivé pour ne pas y paraître.

En devenant l´homme le plus puissant au monde, Barack Obama a prouvé que les personnes de couleur pouvaient accéder également à tous les échelons intermédiaires, donc que désormais tout était possible. Il est la personnification d´un démenti planétaire de tous les préjugés qui ont nourri des milliers d´injustices et de discriminations. Barack Obama a fait vaciller un système hiérarchique basé uniquement sur une volonté politique non seulement malsaine mais aussi inhumaine. Il va sans dire que ce faisant il s´est également attiré la foudre des puissants de ce monde qui n´apprécient pas que l´on perturbe l´ordre établi (un aspect que je n´ai pas omis de traiter dans mon livre, voir à ce sujet le poème intitulé « Les détracteurs ».)

Que voudriez-vous que l’on retienne de ce livre ?
Mon livre comme beaucoup de recueils de poésie n´enseigne pas, mais inspire. Il tente d´ouvrir les yeux, suggère une nouvelle vision des choses, attire l´attention sur des interprétations inédites ou peut-être tout simplement volontairement occultées, il est une invitation à la réflexion et une incantation au courage de faire bouger les choses en suivant l´exemple de Barack Obama qui s´est donné sans compter. Je n´ai pas la prétention, au travers de ce livre, de donner des conseils de comportement. Mes poèmes créent de nouvelles pulsions, invitent à la réflexion, invitent à ne pas oublier trop vite l´extraordinaire performance de Barack Obama dont nous profitons tous. Mon livre est une tentative personnelle, et très modeste, de participer à la conservation de la mémoire collective des Noirs.

Un peuple n´a aucune chance de bâtir un avenir stable sans racines, sans histoire, sans mémoire collective. Il m´arrive très souvent de comparer mon livre aux dessins des hommes préhistoriques conservés jusqu´à nos jours dans des grottes protégées des intempéries. Les témoignages dessinés ou écrits sont la nourriture intellectuelle dont nous avons tous besoin pour nous sentir bien dans nos baskets (voir à ce sujet le poème « Le basket »).

En outre, je souligne une fois de plus que mon livre n´est pas réservé uniquement aux personnes de couleur. Mon slogan personnel se résumant en un seul mot : « Ensemble ». Je suis très heureuse, par exemple, d´avoir fait « basculer » l´opinion de mes amis de Paris et de Versailles, qui suite à la lecture de ma nouvelle « Raconte-moi les Antilles » ont carrément changé de cap et perçoivent toute information de la presse télévisée ou écrite concernant les Antilles et les personnes de couleur avec la plus grande prudence. Comme je le dit également dans mon livre : « chacun de nous doit poser sa pierre, aussi petite soit-elle ». Si ma pierre à moi, c´est d´avoir appris à mes amis à se poser des questions avant « d´ingurgiter » toute information concernant les personnes de couleur sans faire preuve de la moindre critique, alors je pense avoir réussi dans mon entreprise.