Chroniques

Susana Baca : plus qu’une musicienne, gardienne d’une mémoire.

Je me souviens encore d’avoir pensé que je n’abandonnerais pas… un jour j’essaierais à nouveau… j’apprendrais finalement à voler.

Susana Baca

Depuis le 8 octobre dernier, sous le titre de PALABRAS URGENTES, que Susana Baca revient dans les bacs. Une magnifique signature de plus, en 50 ans de carrière, pour nous ravir comme elle a toujours su le faire par la douceur de sa voix et l’intensité de ses textes. Une création musicale, un recueil de 10 chansons, destiné à affronter les temps difficiles que l’humanité traverse en ces périodes. Un album qui est synonyme de non abandon, par une artiste qui à force d’essais, a finalement su voler et ô combien très haut.

77 printemps depuis le 24 mai dernier, Susana Baca (Susana Esther Baca de la Colina) est ce que l’on pourrait, sans que cela ne soulève une vague d’agitation, qualifier d’une institution. Une institution garante d’une mémoire qui, sans l’éveil et la vigilance de tous les instants, risque un effacement qui ira jusqu’à sa disparition totale. Elle est la mémoire d’une culture, dont l’histoire encore peu connue car doctement occultée, mérite d’être largement vulgarisée. Celle de ces africains, de ces noirs d’Amérique du Sud en général et du Pérou en particulier, dont la présence dans cet espace se justifie par la violence, le mépris et la négation de leur humanité dont ont fait étalage et preuve, les esclavagistes.

C’est fort de cette implication dans la bataille de faire vivre cet héritage africain dans ces contrées lointaines dont elle est finalement native, du refus de la perte de cette part de son identité, que Susana Baca est désignée à juste titre, icône de la musique afro péruvienne. Une conscience qui lui vient de sa proche parenté dont Caitro Soto (chanteur) et Ronaldo Campos (Joueur de Cajon), fondateurs de l’association Perú Negro qui milite pour la conservation du patrimoine musical afro-péruvien.

Susana Baca/©Javier Falcon

“Nous, les Afro-Péruviens, avons toujours été victimes de la ségrégation et invisibles. Me nommer permet de mettre en avant l’expérience d’une femme qui a réussi des choses que l’on pensait impossibles pour une Afro-Péruvienne.”

Susana Baca

Entre son statut de chanteuse, Susana Baca a été enseignante et aussi ministre de la culture de son pays. De ses 3 casquettes, elle a appris à sonder sa société par une observation scrupuleuse des faits. Se refusant à toute uchronie, pour ne parler que le langage du concret, du factuel. La politicienne veut convaincre que le combat qu’elle mène face à l’adversité de la société dans laquelle elle vit, devrait interpeller les siens :”les Afro-Péruviens devraient participer davantage à la vie politique“, estimait à l’époque, celle qui devenait ainsi la première ministre noire de l’histoire de son pays. Cette partie nous permet de mieux comprendre la chanson Negra del Alma de l’actuel album.

Évidemment, il serait réducteur de résumer Palabras Urgentes et partant, Susana Baca, à ce seul aspect militant. L’album est plutôt un véritable panorama qui donne à voir différentes facettes de la société péruvienne, telle que la conçoit la chanteuse. Ses héros, comme le souligne la piste d’entrée La Herida Oscura, qui met en perspective une combattante du nom de Micaela Bastidas, une figure révolutionnaire, convoquant ainsi d’autres telles que Chabuca Granda. Juana Azurduy, autre chanson qui commémore une autre figure de lutte, bolivienne cette fois…Comme on peut aussi le percevoir dans la piste Color de Rosa du poète Alejandro Romualdo.

Le titre Dämmerung en allemand (le crépuscule) exprime en quelque sorte toute la déprime dans laquelle le monde est plongé et dont la fin est le suicide.

Comment ne pas évoquer Vestida de Vida, piste qui ferme l’album et entonnée par un chœur de jeunes. Comme un cri d’alerte, pour nous inciter au retour aux fondamentaux tels que l’amour du prochain, le respect de l’environnement, la solidarité, au respect de l’altérité.

Bien que distinctes les unes les autres, les 10 pièces de cet album se rejoignent somme toute sous le sceau du militantisme protéiforme de Susana Baca.

Le monde a besoin d’entendre des voix comme celles de Susana Baca, d’entendre des paroles urgentes dites à la fois avec douceur et gravité, pour lui faire prendre conscience du danger vers lequel il court, à force de cupidité sans limites. En ce sens, cet album résonne comme une vraie sonnette d’alarme parmi tant d’autres tirées ci et là par des âmes encore raisonnables. Un discours militant poétiquement déclamé par une chanteuse à l’âme noble.

Milonga De Mis Amores
Jean-Jacques Dikongué

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