AUDIFAC Ignace parle de “Et si Dieu n’aimait pas les Noirs ?”

audifacJournaliste camerounais vivant en Italie depuis une quinzaine d’année, il est co-auteur avec Serge Bilé de « Et si Dieu n’aimait pas les Noirs ». Audifac Ignace qui, jusqu’à ce que nous le contactions est resté réservé et en retrait, nous livre les raisons qui ont motivé l’écriture de ce livre qui fait polémique tant l’objet qui y est traité était pour beaucoup, au-dessus de toute suspicion de quelconque phobie et surtout pas celle négro-phobie au regard de la forte adhésion des noirs à la chose catholique . Avec sérénité, il analyse la situation et nous donne quelques explications et clés pour une meilleure compréhension de ce livre hautement instructif.

Monsieur Audifac, vous êtes, avec Serge Bilé, l’auteur de « Et si Dieu n’aimait pas les Noirs », mais par contre on ne vous entend que très rarement ; alors qui êtes-vous ?
Audifac Ignace est journaliste camerounais. Je vis et travaille depuis près de 15 ans en Italie, plus précisément à Turin.

Qu’est ce qui a motivé la sortie d’un tel livre et précisément sur cette thématique et surtout le symbole (Vatican) ?
La thématique nous est apparue par hasard. En effet en début 2005 Serge se trouvait en Italie pour une série de conférences. A l’époque je faisais des recherches sur l’histoire des papes africains c’est à dire : Victor 1e (189-199)  Miltiades (311-314), Gelase 1e (492-496). Par coïncidence Serge aussi travaillait sur le même sujet. Et de commun accord nous avions décidé d’y aller ensemble. Le jour d’après, nous sommes allés rencontrer un dame italienne qui aussi fait des recherches. Au cours de notre rencontre, elle nous a donné la copie du fameux télégramme envoyé aux forces alliées par Sir Francis d’Arcy Osbonne, ambassadeur de la Grande Bretagne près le St-Siège, sur demande du pape Pie XII . Le pape ne voulait pas de soldats noirs aux portes du Vatican, alors que ceux-ci avaient combattu pour la libération de Rome. Il est a noté que Rome était la première capitale occidentale à être libérée durant la 2e guerre mondiale. Et parmi ceux qui ont versé leur sang pour cette libération, il y avait de nombreux soldats noirs.

Nous avons donc voulu enquêté pour en savoir plus. Si en 1944 on ne voulait des Noirs, aujourd’hui qu’en est-il ? Nous sommes donc allés donner la parole non seulement aux prêtres et religieuses africaines mais aussi aux personnels laïcs africains qui travaillent du Vatican.

L’idée d’apostasie est-elle en arrière plan lorsque vous décidez de sortir le livre ?
Non. Notre intention n’est pas celle d’un abandon ou d’un rejet de la religion ou de l’église. Encore moins celle de pousser les croyants à douter de leur foi. Nous dénonçons les écarts de comportements de ceux qui, étant dans l’église, vont contre le message d’amour et de fraternité que Jésus lui même proclamait.

Vous avez mené une enquête de plus de 3 ans pour sortir le livre. Cela a-t-il été facile de la faire ? Si non pour quelles raisons ?
Comme vous le dites l’enquête a duré plus de 3 ans et elle a été très difficile à cause de la loi du silence qui règne dans le milieu. Tout le monde a peur. L’omerta est aussi poussé à cause du thème qui reste tabou. Vous voyez, l’esclavage et la colonisation ont laissés des séquelles dans les mentalités chez nous les Africains à tel enseigne qu’il est parfois très difficile de parler de certains sujets sensibles surtout quand il s’agit par exemple du racisme qu’on subit dans l’église, de la prostitution des religieuses  qui, pourtant existe et gangrène le milieu.

Toutefois on ne parle pas aussi, à cause du carriérisme qui anime certains clergés africains et la peur des répressions et sanctions.

Quelle serait la raison de cette ambiance « négrophobe » que l’on palpe au Vatican lorsqu’on lit votre livre ?
La peur du Noir remonte depuis la nuit des temps avec le passage biblique de la fameuse malédiction de Cham (d’ailleurs utilisée pour justifier l’esclavage contre les Noirs) et transmise de génération en génération. Il y a trop de clichés méprisants à l’égard des noirs, et les rapports qu’une grande partie du clergé occidental a encore aujourd’hui avec le monde noir sont jonchés de stéréotypes.

Le pape est comme vous le savez, arrivé au Cameroun. Quel  est selon vous le but de ce voyage ?
Il a lui même dit qu’il s’agissait d’un voyage pastoral. Et c’est de son devoir de berger de porter l’évangile partout dans le monde. J’ai aussi appris qu’il remettra la « feuille de route » du 2e synode africain qui aura lieu en automne prochain à Rome. Mais je crains que ce texte de l’exhortation apostolique  ressemble à celui du 1e synode « l’Eglise en Afrique » où l’on a noté une discordance entre la pensée des pères du synode et le texte final. Comme par exemple la proposition N°48 ou l’on pouvait lire :  «Il est essentiel que l’église établisse les ministères pour la femme et intensifie les efforts en faveur de leur formation ». Dans le document final, au N° 121, on lit : « il est opportun que les femmes adéquatement formées, se rendent participantes, à des niveaux appropriés par rapport à l’activité apostolique de l’église ». Et là il y a nuance.

Diriez-vous comme il se lit partout ailleurs que l’arrivée du pape au Cameroun soit une « grâce » pour le pays.
Si l’on entend par « grâce » cette donne surnaturelle que le Créateur accorde en vue du salut, je dirai que le Cameroun et d’ailleurs l’Afrique, n’avait pas besoin de l’arrivée du pape pour la recevoir. Si la « grâce » ici est une faveur que l’on fait sans y être obligé, je crains que le coût d’une telle visite soit assez pesant pour une population sevrée  par une misère galopante. Toutefois j’attends qu’une telle visite du pape porte des changements concret dans l’église elle même par rapport au clergé africain comme par exemple la forte représentation de ce clergé dans la curie romaine et pourquoi pas la nomination des évêques africains dans les diocèses européens. Cela veut dire rendre l’église catholique vraiment universelle comme on prétend ; où encore aujourd’hui on considère l’Afrique comme terre de missions alors que l’antique église de l’Europe se fatigue pour convertir des nouveaux fidèles.

Croyez-vous que l’église ou les religions comme on les voit fleurir en Afrique soient une voie  salvatrice pour le continent ?
Pas du tout. Pour professer leur foi, les Africains n’ont pas nécessairement besoin de se lier à une église ou une religion. Les Africains doivent se méfier de cette poussée effrayante des églises et religions sur le continent. Les gouvernants doivent prendre des mesures strictes et sévères pour arrêter leur implantation car elles exploitent les misères des peuples. Elles sont pour la grande majorité des vendeuses d’illusions.

Serge BDepuis la sortie de votre livre, quelle a été la réaction du Vatican à votre endroit ?
Attendre une réaction du Vatican consiste à considérer notre travail comme une arme d’affrontement. Or nous ne sommes pas dans cette logique. Nous n’avons que donné, Serge et moi, la parole aux personnels africains laïc et religieux du Vatican afin qu’ils puissent parler du malaise qu’ils vivent au quotidien. Ce faisant, nous informons l’opinion publique de cette situation, en espérant que les choses changent positivement. Nous ne disons pas que l’église catholique aujourd’hui est raciste. Nous disons que l’église est une institution humaine et comme telle, certains de ses serviteurs laïcs ou religieux calquent les maux qui existent ailleurs. Et il faut les dénoncer.

Avez-vous par contre reçu des encouragements du corps même de l’église catholique ou d’autres obédiences religieuses ?
Oui, nous recevons de milliers de lettres d’encouragements de la part des religieux, des laïcs etc.. Mais aussi des opinions contraires et même des injures. Rappelez-vous que Mgr Méranville nous a proféré des injures. N’oubliez pas que nous avons touché un sujet tabou, qui ne plaît pas toujours. Et l’histoire nous montre qu’il y a toujours eu des résistances à chaque fois que l’on a dénoncé les injustices et de surcroît le racisme.

Quel  témoignage éloquent avez-vous reçu ? Et le plus houspillant ?
Tous les témoignages que nous avons reçus, nous ont permis d’étudier et comprendre les mécanismes du malaise du racisme au Vatican mais surtout la profondeur du malaise. Savoir qu’il existe des prêtres africains clochards au Vatican, que les religieuses africaines se prostituent au Vatican, que les enseignants africains dans les universités vaticanes sont discriminés etc. etc. c’est choquant. Mais il fallait quand même le découvrir et le dénoncer.
Un des témoignages les plus tristes que Serge et moi avions recueillis durant l’enquête est celui qui explique le réseau des sœurs religieuses qui partent de l’Afrique pour se prostituer….au Vatican. L’histoire de la sœur Bertha dans le livre est assez triste.

Le livre met-il en évidence tous les dessous de votre enquête au Vatican ?
Nécessairement. Nous avons essayez, au tant que faire se peut, de toucher un sujet tabou, celui du racisme anti Noir au Vatican en donnant la parole aux victimes eux-mêmes. Nous n’avons pas la prétention d’avoir abordé tout le sujet au complet. Cependant, pour rendre plus consistant notre travail, nous nous sommes promenés avec notre camera pour recueillir aussi les témoignages vidéos qui font partie d’un documentaire qui sera disponible dans les prochaines semaines.