Richard Bona:”Pas d’incompétence lorsqu’il s’agit de mon métier”

” Marius Cultier ? C’est un précurseur, un avant-gardiste. C’est l’inspirateur voire le maitre des Mario Canonge, Naimro et autres. Quand tu l’entends jouer tu vois qu’il avait non seulement une connaissance des rythmes traditionnels, mais aussi une formation classique solide… C’était le guide, le pionnier ! Mais hélas son époque n’a pas été propice à le faire connaître internationalement”. S’ensuit un mime d’une des chansons du célèbre pianiste martiniquais dont le talent et le travail sont et restent méconnus de beaucoup, hélas.

Ainsi commence notre entrevue prévue depuis quelques jours dans la capitale française. La toute première interview qu’il accorde depuis la sortie de son dernier album. Malgré les traces lisibles d’une promotion éprouvante, l’homme reste fidèle à sa bonne humeur. Blagues, souvenirs d’enfance et autres petites histoires fusent. Une rencontre bon enfant au cours de laquelle nous avons parlé de « Bonafied », des perspectives, des combats etc…

Alors Richard cette promo, comment se passe-t-elle ? Tu sors de Hongrie et demain tu es au Brésil.
C’est une tournée promo dans laquelle il faut plus parler que jouer. Il faut expliquer l’album. Mais j’en profite maintenant pour rencontrer les jeunes musiciens. Pour les sensibiliser à certains problèmes auxquels les musiciens font face. Je suis dans une phase de résistance contre la médiocrité…

Mais de quelle résistance ?
La musique est en perdition depuis quelques années. Il faut que les voix s’élèvent. Inutile de compter sur les médias qui pour certains contribuent a cette perdition de la bonne musique. Ils nous bourrent les oreilles avec les DJ…Entendre parler d’un DJ, comme super créateur…Je me dis que le monde marche par la tête. Qu’est ce que les DJ créent ? Soyons sérieux et honnêtes et dans mon jugement, j’essaye de l’être au maximum. Si j’ai tort alors que l’on me le dise et je crois m’y connaitre un tout petit peu en matière de musique : Le DJ ne crée absolument rien musicalement parlant. Je prends un petit morceau de toi, un bout de l’autre, je mixe tout cela…Et avec cela on vient nous dire que c’est du génie, de la création ?

Partant donc de cette imposture que l’on impose au monde, avec quelques amis à New-York, nous avons pris l’initiative de combattre celle-ci en allant sensibiliser les jeunes. Ce n’est que de cette façon qu’il faut combattre ceux qui créent cette confusion des genres. Sensibiliser les jeunes à jouer d’un instrument et faire en sorte que le DJ ne soit pas la référence en matière de musique ou de création ; car le DJ ne crée rien, nothing, nada !!!

Lors de mon passage en Hollande, tout comme avant-hier a Budapest, j’ai été à la rencontre de nombreux jeunes ; j’ai joué avec eux, j’ai parlé de musique avec eux et leur ai expliqué qu’on ne pourrait remplacer la vraie musique par des Tunes. Le problème n’est pas que seulement ici. En Afrique c’est pareil. Les gens sont de plus en plus incapables de jouer en live…ils font du play-back et deviennent des références. C’est choquant d’entendre un journaliste venir te dire « super créateur tel Dj ou tel autre » ; mais ils ne créent rien…il joue de quel instrument ? Y en a vraiment marre !

Si c’est si facile que cela, alors moi-même je deviens médecin demain…Donc, je pense qu’il est temps d’agir ; mais agir auprès des plus jeunes en les sensibilisant ; car ils restent plus réceptifs. C’est ce que j’essaye de faire actuellement.

Penses-tu que ce soit une volonté de tuer les vrais créateurs (Musiciens) en promouvant de la sorte les DJs ? Qu’est ce qui justifie cela ?
Si seulement je pouvais te dire une ou la raison : je n’en sais rien. Comment peut-on seulement designer des gens qui ne créent rien de créateurs Je ne saurais te le dire pourquoi l’émergence de ces DJ en les désignant comme des créateurs. Un médecin sait ce que c’est que la médecine, un charpentier sait parler de quoi il parle…Mais on ne peut pas venir imposer des gens qui ne créent rien en les désignant musiciens…C’est une aberration. Il y a un problème ! C’est une usurpation. Si tu es musicien, tu es le bienvenu et nous pouvons parler musique. Il ne me viendra jamais à l’idée de descendre dans un court de tennis et me dire joueur de tennis.

C’est la norme aujourd’hui dans la corporation musicale ? On impose tout aux musiciens dans les maisons de disques?
Le drame c’est que même les maisons de disque vous amènent des gens pour travailler dans l’industrie musicale qui ne connaissent absolument rien a la musique ; mais viennent tout de même te dire comment tu dois faire ta musique…Tout cela est d’un pathétique tel que, si tu ne te défends pas, tu perds ton identité musicale, ta personnalité etc… La personne qui veut te dire comment faire ta musique, n’a rien de musical, ne vois rien…Je scrute le bonhomme dans tous les sens, I don’t see nothing….Je me dis, my man you’re in trouble (Grosse séquence de rires). A ce moment précis, tu dois pouvoir te défendre, défendre ton travail et surtout ton produit. Je leur ai dit à ceux de ma maison de disque: Don’t talk music with me…Talk music with me unless you play music. If you don’t play music, please don’t talk to me and shut your mouth….

Ce qui a le don d’énerver ces gourous des maisons de disques. Ils ne m’aiment pas pour cela. Mais je ne rentre pas dans ce schéma affectif avec eux. Ils ne sont pas mes ennemis et je les respecte en tant qu’Êtres humains… Seulement, je me dois de défendre ma profession, mon métier ma passion ; et pour cela il est hors de question d’accepter l’incompétence d’où qu’elle vienne. J’aime discuter musique avec les gens qui font/jouent de la musique ce, quelque soit le niveau car j’en tire quelque chose et à contrario, des gens qui ne jouent pas, je n’apprends rien et c’est tout à fait normal. Est-ce que j’entrerai chez un dentiste sous le prétexte que je sais mâcher des aliments et lui dire comment faire son travail ? Non !

Un jour, j’ai posé la question à un de ces gourous des maisons de disques : Est-ce que je peux rentrer dans votre bureau et vous dire comment faire votre travail ? Non…Mais pourquoi vous sentez-vous obligé de venir me dire ce que je dois faire dans ma musique ? Tu es peut-être mon ainé,but I started playing music you still walking on pampers man !!!! Alors ne me parle pas de musique, car mes oreilles bourdonnent quand tu l’ouvres.

Concrètement comment cela se passe-t-il ?
Le mec s’amène en studio en costard, pendant que tu es entrain d’arranger et cela fait des heures et des heures que tu es au boulot, il s’installe t’observe etc…Cool, c’est le patron de ta maison de disques. Et personnellement, je n’ai aucun souci avec cela. Mais des qu’il commence à ouvrir sa bouche pour te dire qu’il faut changer ceci ou cela…I look about and … (rires).

-Il me dit : « Richard, cette partie là, il faut la changer »
Je dis ok ! Que veux-tu que l’on joue donc dessus ?
-Il dit euh….Non mais je pense qu’il faut changer pour que euh….

Je rétorque donc : Si tu me dis, fais tel accord à cet endroit, je le fais. Si tu ne sais pas, alors tais-toi. Ne parlez pas de ce que vous ne savez pas. Ne venez pas, pour paraître ou jouer à l’important, me dire ce que musicalement, je dois faire. Cela ne marche pas avec moi ! Il te demande de changer un truc parce qu’il veut se faire important alors qu’il ne connait absolument rien, alors rien !

Celui qui connaît la musique, te dira concrètement ceci par exemple : Richard, faut peut-être un sol mineur et passer par le do 7 avant d’aller sur le Fa. En moins d’une minute, le travail est fait.

L’autre parce que se voulant important, vient en costard te dire, la partie là, il faut la changer et il est incapable de te dire par quoi et comment la remplacer. Les accords il y en a des milliers. Tu t’y connais, tu donnes le chemin. Ne me dis pas qu’il faut changer, alors que tu ne proposes rien. Cela ne fonctionne pas avec moi. Du coup c’est le clash pour eux…Tu es estampillé mauvais élément.

Quand tu les mets face à leur incompétence, on dit de toi que tu n’es pas coopératif. Ce n’est pas une question d’être coopératif ou pas. C’est juste que c’est une incompétence qui est mise à nu et que tu n’acceptes pas parce que toi, tu connais ton métier et celui qui veut te dicter ce que tu dois faire est un bluffeur, un usurpateur.
Par contre, si humblement tu viens en suggérant une idée, je la prends et on essaye. Qui sait, ton idée est peut-être meilleure que celle que j’avais. Je suis quelqu’un d’ouvert. Mais ne viens pas imposer en te branlant alors que tu ne connais rien dans le domaine. Chez moi cela ne marche pas et je n’aime pas cela.


Quel impact cela a donc dans le métier ?
Et c’est cette imposture qui est la norme aujourd’hui dans la plupart des maisons de disques (Je le dis maintenant et je sais que cela ne plaira pas aux médias et pas seulement) et comme avec cela ils arrivent à gérer les médiocres, c’est toute l’industrie de la musique qui se détériore, la musique avec hélas !

Mais il est important de le dire haut et fort, il faut laisser la peinture aux peintres, la médecine aux médecins et la musique aux musiciens. Ce n’est qu’une question de logique et surtout de bon sens.
Ce mélange de genre est très inquiétant et dessert la musique. Tu ne peux pas gérer les musiciens comme on gère les yaourts, c’est impossible. Il faut un minimum de connaissance dans le domaine. Fais la gestion, mais ne viens pas me parler à moi, de musique…No No No !!!!

Comment gère-t-on donc les médiocres ?
On les gère en leur imposant tout, c’est- à- dire, fort de ce que j’ai dit plus haut, en leur enlevant leur identité musicale. J’en ai vu beaucoup dans les maisons de disques. Il y en a qui sont arrivés des années après moi et à qui on a attribué des budgets de promotion énormes. Moi, on m’en a jamais filé et cela ne me pose pas un problème ; je préfère évoluer comme je l’ai toujours fait. Et cette fois-ci avec Bonafied, j’ai refusé un budget de promotion dans les conditions qui ne me sied pas.

Je te donne un exemple de gestion des médiocres dans la promo par exemple…On t’alloue un budget promo et en même temps on t’impose comment il doit être dépensé. C’est-à-dire, ils choisissent pour toi qui fait quoi, où on le fait et comment on le fait. Bref, ils gèrent ton argent à ta place.

Seulement le médiocre qui sait que ce n’est pas forcément pour son talent qu’il est là, oublie que cet argent que l’on dépense est son argent. Il sera ponctionné dans ses ventes. Et je peux te dire que pour le dépenser, ceux qui le gèrent à ta place savent y faire…Ils rivalisent d’idées pour que cet argent soit bien dépensé.
Et moi j’ai toujours dit stop à ces pratiques qui ne sont pas loin d’une escroquerie bien huilé et orchestrée. Pas question de dépenser l’argent comme vous l’avez planifié, c’est mon argent et non le vôtre. Avant d’entreprendre ou de dépenser quoi que ce soit, il faut que je sois d’accord sur l’ensemble du programme établi.
On m’a répondu une fois ceci : Mais comme tu n’as jamais fait de vidéo, tu ne peux pas comprendre etc. A mon interlocuteur qui tenait à ce que j’aille faire la vidéo (une de leurs nombreuses dépenses bien planifiée sur ton argent), chez quelqu’un qu’il avait choisi pour moi, j’ai répondu ceci : Et Dieu merci que je n’en ai jamais fait; seulement partout où je suis en concert, les salles sont toujours combles. Comment l’expliques-tu ? Donc je n’ai pas besoin de vidéo

C’est- à -dire, ils vont te chercher un pote à eux qui fait de la vidéo, ils te disent qu’elle a couté €15000 (prix négocié), alors qu’au fond elle coute 5 fois moins cher. Toi, on t’ampute €15000 euros dans tes ventes.

Tu sembles maitriser aujourd’hui les règles du jeu…
Je ne suis pas un long crayon, mais j’ai la chance d’être un fin observateur et d’avoir un certain don musical. J’ai pris et prends le temps d’observer les gens et leurs pratiques, d’apprendre et Dieu merci j’apprends vite pour essayer de tirer les bonnes conclusions. C’est ce qui me sauve. On m’a dribblé la première fois, j’ai taclé la deuxième fois mais le dribble est quand même passé…Depuis lors, jai compris comment le dribble se passe. Donc quand je tacle, je ne peux que toucher la cible. J’ai dit a ma maison de disque « Pourquoi c’est vous qui devez toujours réussir. Acceptez maintenant le fait que j’ai bien assimilé les règles du jeu et que je sois capable d’anticiper et d’éviter beaucoup d’écueils. »

Prenant l’allégorie du football et pour faire plaisir a mon accompagnateur : « Je suis devenu comme le défenseur Marius Trésor ; je tacle fort et juste…l’attaquant me dit mais tu tacles fort. Je dis non…j’ai appris. Tu m’as enseigné et j’ai bien assimilé ma leçon »

Une certaine animosité envers les maisons de disques ?
Aucune ! Mais généralement dans ces cas, ils viennent sur le champ affectif pour te rendre responsable…Je n’en ai aucune et je ne me place pas sur ce terrain. Nous avons des relations de travail et il faut que les règles soient respectes et justes dans les deux sens. Moi je peux jouer avec tout le monde du moment où je suis dans le cadre de mon travail. Je ne fais aucun faux scrupule. I’m a business man and I’m not ashamed on this….

Il y a longtemps que je me suis dit, il faut que je sois en harmonie avec moi même, c’est-a-dire sincère avec moi. On m’accepte, on ne m’accepte pas, ce n’est pas un problème ; mais quand je dors, je le fais en sachant que j’ai l’esprit libre. Et le matin lorsque je me réveille, je ne me préoccupe pas du fait que je n’ai pas fait ci ou cela parce que…Je suis contraint de faire ceci ou cela parce que la maison de disques me l’a intimé et je n’ai pas osé dire oui ou non. That’s bullshit man !!!

Tu sais, les seules choses en lesquelles je fais confiance sont ma capacité et mon envie à jouer ou à faire de la musique. Le jour où je vais les perdre, je vais arrêter. Tant que cette envie subsiste, je jouerai quitte à ce que je perde mes doigts. Tu vois (brandissant les deux sacs plastiques remplis de petits instruments acquis quelques heures avant notre pause café et notre entretien) je suis comme un gamin, quand j’arrive ici, je m’achète encore des trucs comme ceux-ci et je reste chez moi à jouer avec…Qui sait, c’est de là peut-être que viendront d’autres inspirations. J’ai encore cette flamme et c’est tout ce qui compte pour moi. Le reste, I don’t care. Comme pour mes disques, je n’ai même pas besoin de promo comme suggérée par les maisons de disques. Je leur dis, faites et donnez des fonds de promo pour les autres. Je suis content avec ce que j’ai. Et pourquoi les gens de maisons de disques ne veulent pas voir le bonheur des musiciens ? J’ai compris que les gens qui les dirigent ne sont jamais satisfaits.

Comment cela ?
Je vais t’expliquer. Lors de mon premier album, l’objectif était d’atteindre 15000 ventes. Intérieurement, je me dis, c’est beaucoup…3 semaines plus tard on avait déjà dépassé 18000 ventes. Du coup ils revoient unilatéralement les objectifs à la hausse ; c’est maintenant dépasser les 25000 ventes. Un mois et demi plus tard, rien qu’en France, on avait atteint plus de 20000 ventes. A chaque avancée, les objectifs se déplacent aussi vers le haut…Je commence à me poser des questions. On arrive à plus de 80000 copies, mais les gens sont encore à te dire, il faudrait qu’on fasse un disque d’or. A un moment tu es obligé de dire stop.On exigera plus et tu ne t’en sortiras jamais. Tu es dans le rouleau compresseur pour essayer de….

Quelle a donc été ta réaction après ces expériences ?
A un moment tu es donc obligé de te poser, de mener une réflexion profonde et procéder à une refonte de ta manière de fonctionner. Ce qui s’est chez moi traduit par un changement de personnel aussi. A une époque, j’étais à plus de 170 concerts à l’année et s’il te plaît il fallait avaler des distances ; c’était énorme. Tu dois être en Australie aujourd’hui, demain à Singapour etc…

J’ai compris qu’il fallait que je vire du monde et que je réorganise tout cela. Parce que c’était, il faut faire ceci, il faut faire cela…Et des que tu atteins l’objectif ou tu es prêt de l’atteindre, il est rapidement réviser à la hausse. J’ai mis un break à tout cela et en m’octroyant presqu’une année sabbatique.

J’en ai profité pour reconstituer mon équipe avec mes propres règles. I don’t work for you, you work for me. Je décide de ce que j’ai envie de faire et de ce que je n’ai pas envie de faire et cela, je l’ai fait comprendre au staff qui m’accompagne. Si tu ne procèdes pas ainsi, tu es fini…c’est ta santé qui prend aussi un bon coup etc…On n’a pas/plus à me dire ce que je dois faire.
Les seuls qui ont le droit de m’évaluer en tant que musicien, c’est mon public sans lequel, je ne suis rien. Ce sont ces femmes, hommes, enfants, jeunes, moins jeunes etc… qui choisissent de venir me voir jouer un soir, achètent mes disques, alors qu’ils ont une multitude de choix devant eux. A ce public, je me sens redevable de quelque chose. Nous nous sommes dans une période de combat. En tant que musicien, si nous voulons que notre métier ne soit pas confisqué par des gens qui n’ont pour seule visée que presser l’artiste pour se remplir les poches, alors nous devons combattre. Comme j’ai toujours dit, je me bats non pas pour ma chapelle personnelle, pour les plus jeunes, les plus vulnérables.

Alors ce combat doit être mené en première ligne par le Public ou les musiciens ?
Mais c’est un combat qui doit être mené par les musiciens. Il ne faut pas compter sur les autres. Pas même sur les médias. Presque 8 concerts sur 10 ne sont même pas live. Mais on encense cela dans les médias. J’ai appelé un jour lors du Superbowl (Une star dont nous tairons le nom Ndlr) pour dénoncer une supercherie. Cette personne est entrain de faire du playback et les journalistes encensent en disant « what a performance !!!». On en est au point ou les gens ne savent même plus déceler que les gens ne chantent pas en live. Il faut attendre un jour que le micro tombe et que l’on continue d’entendre la voix pour se rendre compte de l’escroquerie. La plupart des gens sont aujourd’hui en playback et on continue à les présenter comme des performers.
Il faut arrêter tout cela…Mais ces choses ont commencé avec des musiciens médiocres et il faut le dénoncer même si cela ne plaît pas. On crée des pseudos stars sans aucun background musical. C’est pour cela que l’on se retrouve aujourd’hui à parler des DJ comme des créateurs de musique. Ce ne sont pas mes stars…Je ne participe ni de près ni de loin à ces conneries. La médiocrité, suis désolé, sur mon terrain, n’existe pas. I’m gonna fight…

Quand on entend un son, on sait qu’il est d’un musicien… (Nous montrant le mail envoyé par Stevie Wonder et jouant les sons que devra reproduire le bassiste pour le prochain album). Ce que vous écoutez là (Stevie Wonder au piano) n’est qu’un murmure, mais jugez par-vous mêmes. Il t’explique même que ici, je souhaite que ce soit comme ci…That’s a musician ! Je rentre chez moi, et je vais les travailler pour être fin prêt le jour J. Çà c’est de la musique !

Qu’est ce qu’on a à nous gonfler avec les trucs de star de machin et de cela…avec le boum boum boum…Les vrais, quand ils commencent à jouer, tu as même la chair de poule, tu es content. En concert ou lors des shows télévisés quand les gens chantent, il faut être très vigilant, car il y a trop de faux.

Quelle est la loi des maisons de disques finalement ?
La musique m’a enseigné l’humilité et davantage de respect. Mais à un moment, tu te dis, cela fait des années que tu bosses comme un malade pour voir que malgré tout cela, ceux qui occupent l’espace et cherchent à dicter leur loi sont des médiocres. Il faut aussi en toute humilité et avec tout le respect, leur dire que vous êtes dans le faux. C’est ce que j’ai toujours fait même avec mes différentes maisons de disques pour ne plus être dérangé ; mais crois-tu qu’elles le comprennent ? Il y a toujours des tentatives de déstabilisation.

Au 7 ième album aujourd’hui, on veut encore me la faire… (Rires). Sérieusement, si je ne vendais pas d’albums, penses-tu qu’on me signerait ? Surtout moi qui ne me laisse pas dicter musicalement ce que je dois faire. Les maisons de disques virent des gens tous les jours pourquoi ? Le jour où tu ne vends pas, on te met out. C’est comme si on te dit d’aller vendre au marché..A la fin de la journée on te demande la recette quand tu rentres…Le jour ou tu reviens sans recette, on te dit out ! C’est la loi des maisons de disques et tout le monde le sait. Les maisons de disques sont comme les banques. Tu rapportes, vous êtes en bon termes, tu ne rapportes pas, c’est le mépris. Et dans d’autres cas comme le mien, lorsque tu te refuses à faire marcher cette machine prévue pour te broyer en demandant des explications tu deviens non coopératif. Bref, tout est fait pour que le musicien soit le seul coupable et jamais les maisons de disques. J’ai vu des musiciens se faire virer par les labels alors que ces derniers ne sont pas au courant de la situation; car dans ces cas, tu es toujours le dernier à le savoir. C’est l’humiliation du musicien. Mais c’est comme cela que fonctionne le système, car cela est aussi valable pour les dirigeants. Tu peux avoir fait 27 ans à la tête d’un label et te faire virer comme un malpropre. Ceci te montre déjà la mentalité. Quand tu vois cela, tu te dis donc, moi avec mes 5 albums, je ne représente rien.

Quelle est donc l’attitude à avoir ?
Moi j’ai la technique du Je suis là et je ne suis pas là. Un pied dedans, un pied dehors. Je suis plutôt préparé et je sais que quand les choses vont mal, les premiers à tomber ce sont les musiciens, il faut dire les choses comme elles sont. Donc je suis et reste très pragmatique et réaliste.

Si les maisons de disques se comportent ainsi, n’est-ce pas aussi parce que les musiciens leur vouent une adoration sans bornes ?
Je vais te confier un truc, telles que les choses avancent, je ne serais pas surpris qu’il n y ait plus de maisons de disques c’est peut-être dur à croire, mais c’est la tendance. Elles se cannibalisent entre elles et il n’en restera que celle qui aura phagocyté les autres. Pourquoi Universal rachète Bmg, Sony etc…C’est pour cela qu’aux jeunes je dis une chose : Il ne suffira plus simplement de bien jouer de ton instrument, il faut que tu saches comment t’enregistrer, comment presser ton disque jusqu’à la finition. Il faut faire comme les peintres…Il faut travailler dans le sens d’aller vers l’indépendance de l’artiste pour pouvoir contrôler ton produit.

Avec la banque, lorsqu’elle t’accorde un prêt pour acquérir un bien immobilier, une fois la totalité du crédit payé, le bien te revient. Mais avec les maisons de disques, ton produit ne t’appartiendra jamais. Les maisons de disques continuent à te ponctionner des années et des années. Plus de 50 ans après,  Columbia continue de se servir sur “Kind of Blue” de Miles Davis. Alors qu’il y a belle lurette que Columbia est rentrée dans ses frais avec des bénéfices. Mais continue tout de même de se servir! Si c’était une maison, elle serait doublement payée et les intérêts avec et appartiendrait à la famille, que nenni ! C’est pour cela qu’il faut que les musiciens se battent pour ne plus subir ces choses.

N’est-ce pas une question de signature ?
Non, non non !!! C’est d’abord une question de droit déjà, de savoir comment cela marche. Il faut commencer à initier et à sensibiliser les jeunes à ces questions. Si j’avais laissé mes éditions comme on me l’exigeait dès mon premier album en me disant : Si vous ne nous cédez pas vos éditions, on ne vous signe pas. Heureusement que j’avais des gens comme Joe Zawinul qui m’avait déjà sensibilisé à la question. Et moi, quand je suis arrivé lors de la signature, comme un perroquet, j’ai répété, je ne vous céderai pas mes éditions. Yeah, I don’t give my publishing ! De plus, je n’ai pas de contraintes, puisque je travaillais et travaille. Je suis d’abord un side-man. Je vais en tournée, je suis payé…. Donc inutile de me faire ce chantage. Deux mois plus tard, j’ai signé en gardant mes éditions.Combien d’artistes se font arnaquer ou se sont fait arnaquer en cédant leurs éditions ? J’en connais hélas un tas.

Tu confirmes donc ce que je soulignais…l’état d’esprit du musicien. Certains artistes prêts à tout céder pour être sous un label. La nature du rapport est biaisée par avance. Puisque tu as d’un coté, un qui ne rêve que d’appartenir à l’autre quelle que soient les conditions.
Tu as raison, c’est pour cela que je rencontre les jeunes et je les sensibilise. J’ai rencontre à Budapest un jeune violoniste de 11 ans, une pure merveille. Je lui ai parlé, qu’il soit d’abord conscient de son talent et de sa responsabilité en tant que musicien. C’est sur ce terrain qu’il faut aller et ne pas les laisser tomber dans le piège des paillettes…Comme l’apologie aujourd’hui faite aux DJ comme créateurs.


Comment s’est déroulée ta première signature ?
On vient signer un jeune artiste ; je n’ai pas d’argent pour engager un grand avocat. Interrompant mon interlocuteur, j’ajoute : (Mais tu as quand même eu l’idée et le mérite d’y penser et d’en chercher ; ce à quoi se refusent certains artistes; ils n’y songent même pas).

J’ai donc tenté d’engager un avocat de grande et bonne réputation ; mais ses frais étaient tellement exorbitants que je suis sorti de son cabinet en courant. Seulement, il avait un interne ; et celui-ci prenait sa pause. Me voyant partir, il me demande si le deal s’est bien passé avec son boss. Je lui dis non parce que trop cher. Il me demanda ce que je voulais exactement. Après lui avoir dit le pourquoi de ma visite, il se proposa donc de m’aider. Pour la petite histoire, il est encore avec moi et gère des gens comme Shakira et bien d’autres artistes. J’étais son premier client.

Lorsqu’il s’est rendu donc à la signature pour me représenter, tu sais ce que la maison de disques m’a dit : « Votre avocat un est stagiaire, un jeune qui ne connaît rien…Ne vous en faites pas on vous trouve un avocat. »…C’était tellement prévisible. C’était comme si DSK disait à Nafissiatou Diallo : T’inquiète Nafissiatou, je vais te chercher un avocat pour te défendre dans l’affaire qui nous oppose. (Rires). Ils oublient que j’ai appris…Depuis Paris, j’ai observé et j’ai appris. Je connais les codes. Ce à quoi j’ai donc répondu : « You know what ? I’m gonna keep him ». Pour moi c’était la preuve que ce gars me défendait bien. La preuve, il reste mon avocat jusqu’à ce jour.

Si tu ne piges pas, tu vas signer un contrat de 8 albums et tu es coincé ; car 8 albums cela peut durer…On peut te dire d’en sortir 1 tous les 5 ans et tu es enchaîné. C’est pour cela que je ne me laisse pas dicter ce que je dois faire avec ma musique. Je ne suis pas mieux loti du seul fait que je joue de la musique, mais du fait d’avoir su protéger mes intérêts dont mes éditions. Tu t’imagines, je ne vends pas des millions d’albums comme certains ; mais je m’en sors. Alors lorsqu’on me dit qu’un artiste qui vend des millions d’albums ne s’en sort pas. Ceci me motive à mener le combat pour protéger les jeunes artistes.

Comment expliques-tu que quelqu’un vende tant d’albums et 4 ans plus tard, on te dit qu’il est fauché?
Plusieurs raisons dont celles que j’ai citées plus haut. Tu as aussi le phénomène des tournées. Tu vas en tournée, il y a tellement un monde fou autour de toi. Tu ne sais pas qui fait quoi…Mais les frais sont à ta charge. Ce sont tes ventes qui sont ponctionnées pour payer ces frais. Bref toutes ces charges que l’on occasionne sans que le musicien en soit conscient. Tous ces gens autour de l’artiste ne sont pas la à titre gratuit, ils sont payés par toi…mais tu ne le sais pas. C’est la réalité qui n’est jamais mise en avant.

En ce qui concerne les chiffres de vente des disques. Est-ce que la maison de disque te donne les vrais chiffres ? L’artiste a-t-il un moyen de contrôle de ces chiffres ? Ce sont des questions légitimes que les gens doivent se poser. Le chiffre qui t’est donné doit ne doit pas souffrir de contestation. Sinon à toi de prouver le contraire et cela coûte cher…

Explique-nous cela clairement…
Si tu contestes les chiffres, tu demandes à faire l’audit. Ces chiffres te sont donnes par la maison de disque, toi n’ayant aucun moyen de le contrôler. Et faire l’audit suppose que l’entreprise sera fermée pendant la durée de cet audit. Il te faudra donc compenser le manque à gagner de la maison de disque pendant cette période. Il faut déjà être certain de posséder la somme du manque à gagner de la maison de disque pendant l’audit. Comme ils sont surs que c’est une entreprise décourageante et risquée qui peut te conduire à ta ruine, cela fait que le musicien est toujours perdant. Il y a Nora Jones qui a pu sortir vainqueur d’une telle entreprise et confrontation avec sa maison de disques.

Que faire donc ?
C’est pour cela que je dis que je suis en résistance en allant sensibiliser les plus jeunes ; car on peut encore sauver des musiciens de cette mauvaise organisation de l’industrie musicale qui en réalité tue les créateurs. Cette mise à mort des créateurs est partout palpable. En Afrique c’est le cas. Rien n’est fait pour aider les créateurs. Je dis souvent qu’on ne m’aide même pas, parce que je m’en sors pas mal ; mais ces ainés qui nous ont donné envie de faire de la musique…Pourquoi ne met-on pas de politique en place pour les tirer de la galère ? La culture reste vraiment pour le politique, une chose sans importance et c’est vraiment dommage. Quand tu vois par exemple qu’au Cameroun, il n ya pas de salles de spectacle digne de ce nom…Les quelques lieux qui nous faisaient rêver sont négligés et délaissés.

Alors que penses-tu de l’album ?
Je suis plutôt content que l’album sorte et pour le grand public a partir du 22 avril et il est comme je l’ai voulu. C’est un album très très codé et qui demande une parfaite maitrise de la langue Duala. Mon séjour au pays a permis de me reconnecter avec certaines choses dont les anciens et la langue. Belles mélodies aussi. J’ai rendu hommage à un grand monsieur de la musique Sadrack Mbodi Ekollo…Ce sont ces gens qui ont fabriqué des gens comme moi. Il faut avoir entendu quelque chose pour jouer. Il y a de très jolis contes dans l’album. C’est un album de questionnement, d’observation…

-Tumba la Nyama…La tribu des animaux : (En somme les animaux s’interrogent sur la nature humaine et leur chronique insatisfaction et manque d’humilité. le caractère désordonné de l’humain…Vouloir dénaturer tout ce que la nature a mis en place et en même temps donner des leçons)

-Dunia (C’est la vie…Je chante une certaine tristesse. Cet abandon, ce rejet en bloc du traditionnel pour la modernité (Nouveauté). Cela sans avoir pris la peine de décrypter tous les messages que nous adressent le traditionnel. Malgré l’insistance des messages que la nature vous adresse, vous vous êtes bornés…)

Alors la question de finale: Que signifie Bonafied ?
C’est en quelque sorte un néologisme que j’ai tiré de l’adjectif  anglais : Bonafide=Authentique. En le conjuguant, cela a donc donné Bonafied.

C’est un album authentique, acoustique qui ne contient que ce que j’ai voulu et non ce que l’on a voulu que je mette. Je préfère rester fidèle à mon public que de courir le risque de le perdre en allant chercher un public hypothétique l’on voudrait m’imposer. Tel est l’esprit de cet album. Le public n’est pas dupe comme certains semblent l’oublier. Le mien je l’ai authentifié et cet album lui est dédié.