Les Nubians: « Citoyennes universelles»

nubiansCe sont deux sœurs métisses franco-camerounaises. Longtemps basées en France les Nubians cartonnent désormais aux USA avec leur Nu Soul teintée de musiques africaines..

Qui sont les Nubians?
Célia Faussart, l’une des sœurs nubiennes.

Hélène Faussart, l’autre sœur nubienne. A la base, les Nubians ce sont deux sœurs qui font de la musique ensemble. Deux sœurs métisses: maman camerounaise, Bamiléké, papa français. Nées à Paris, on a grandi en partie en Afrique, au Tchad. On est revenu en France par la suite. On a commencé la musique  en chantonnant a cappella. On composait nos chansons dans notre coin. On a commencé nos première scènes à Bordeaux. Mine de rien ça fait vingt ans!

Quels sont vos derniers projets en date?
Hélène: On  défend sur scène notre album « Nu revolution », qu’on a produit en indépendant, nous-mêmes du début à la fin. On a travaillé dessus plus de deux ans. On en est super fières!

Musicalement c’est très éclectique.

Hélène: Comme d’habitude. Nous sommes des citoyennes universelles. On aime se balader dans les genres, dans les langues. Là on raconte de nouveau une histoire. C’est un voyage. Ça commence avec les tambours en Afrique et ça finit en Afrique. Entretemps on se balade dans la diaspora. Ça a toujours été notre propos. Là dessus il n’y a pas de changement. Ce qui a été super excitant dans cette aventure ce sont les productions musicales. Pouvoir travailler avec Jean-Michel Rotin, un mec issu  du Zouk, qui fait des trucs incroyables. Travailler aussi avec « Pirahnahead » de la scène House de Detroit. Avec les musiciens qui sont sur l’album. Andreas Levin notamment, qui est une nouvelle collaboration. Il est issu du groupe Nuyorican: « Yerba Buena ». C’est un grand producteur et multi « Grammy awards winner » en musiques latines. (compilations Verve « Red hot + riot » Red hot + indigo « ) On a également des retrouvailles familiales avec tonton Manu Dibango et notre complice John Banzai.

Célia: Il y a de nouvelles rencontres: Eric Roberson de la scène Soul indépendante qui a écrit énormément de chansons pour « Musiq Soulchild » et qui forme  un duo House: Blaze, avec Josh Milan. Brian Jackson aussi, qui est le légendaire complice de Gil-Scott Heron. Il y a aussi pas mal de musiciens de la scène locale new-yorkaise. On a travaillé avec « La Petite chorale française de Brooklyn » composée de chanteurs français: Alexis Julliard, Marie Martin, incroyable chanteuse, qui a fait pas mal de musiques de film en France et a un groupe de jazz génial. C’est une petite bretonne qu’on aime beaucoup. Adeline Michel, chanteuse, bassiste, guitariste de Soul, ex membre d’un groupe intéressant baptisé: « The crowd » Et puis il y a eu aussi la magie de retrouver les balafons de chez nous, de notre village du Cameroun de les ramener et de les enregistrer ici à New York.

Au niveau de l’identité, comment vous voyez-vous: afropéennes, afro-américaines?
Célia: Définitivement afropéennes. Nous faisons partie de celles qui l’ont clamé haut et fort, depuis le début. L’afropéanité nous colle à la peau. Après, c’est vrai que l’un des thèmes principaux de cet album est l’universalité et surtout la citoyenneté universelle: « World citizenship ». C’est cette afropéanité, inscrite dans la diaspora, ouverte et prête aux enjeux de maintenant: devenir des citoyennes universels.

Quel est votre lien avec le Cameroun?
Hélène: C’est incessant, continuel. C’est la famille. On va au Cameroun le plus qu’on peut. On est en contact avec la scène camerounaise en permanence: les Danielle Eog, Sultan Oshimihn… Notre album est « drivé » par le Cameroun, dans la mesure où, la plupart des basses de cet album, sont faites par André Manga, l’un des directeurs musicaux de Manu Dibango. C’est la « basse camerounaise » qui rend célèbre les camerounais à travers le monde. Le Cameroun on y est présent toujours, et jusque dans l’album.

Est-ce que vous investissez dans des activités là bas?
Hélène: On est marraines de plusieurs associations. On y prépare des projets, notamment la création d’un festival à Kribi, sur la plage: une sorte de « Sunsplash » camerounais.

nubiansAux États-Unis il y a eu une vague française Edith Piaf puis une vague « Les Nubians ». Comment expliquez-vous cet engouement?
Célia: L’amour ne s’explique pas mais en tout cas il est! Ça a été depuis le début. Les américains nous ont aimé et accepté, jusqu’à présent. Ils nous ont écouté en langue française, sans que ça les dérange. Dans cet album on chante un peu plus en anglais. Mais c’est aussi parce que c’est la première fois qu’on enregistre, en partie, un disque aux États-Unis. Depuis toutes ces années on a enregistré à Paris, Londres, la Jamaïque…mais jamais aux États-Unis, malgré notre succès américain.  Maintenant, on est un peu plus à l’aise avec l’anglais. On arrive à y mettre de l’affectif, à moins sentir la barrière de la langue. L’Amérique c’est un peu comme une deuxième maison. On y vit depuis un peu plus de dix ans!

Dans quelles circonstances avez-vous migré aux États-Unis?
Hélène: Dans le cadre de « Nu revolution ». Les productions sont ici à New York. Cela faisait sens pour le développement de l’album de rejoindre la base, sachant que nous en sommes les premiers investisseurs. Les allers-retours Paris-New York coutent super cher. On a aussi des vies de famille. Il fallait que tout ça soit cohérent alors on a migré.

Pour dire les choses clairement, l’arrière-plan politique en France vous a aussi incité à  partir?
Hélène: Malheureusement les conséquences de la politique de notre pays ont aussi des conséquences économique graves. En France, il n’y avait pas de travail pour nous. Tout est donné aux mêmes. C’est comme si tu n’avais jamais rien fait dans ta vie. La France c’est quand même difficile. C’est difficile pour les minorités de trouver du boulot, d’être reconnus à sa valeur, à son expérience. Après toutes ces années en France on n’avait plus l’énergie nécessaire pour créer. Il a fallu partir pour ne pas se sentir engluées.

Célia: Le contexte ambiant m’écœurait à la longue. Ce que j’entendais à la radio, à la télévision m’irritait. J’ai vu tellement d’artistes aigris. Avant de devenir aigrie à notre tour on a préféré partir. Le monde est grand. On est parties aussi pour aider des artistes, qui se battent en France, et n’ont pas d’autres portes de sortie que le marché local. Nous, on a la chance de pouvoir de construire des ponts pour nous et nos amis artistes. Je pense que c’est un devoir. C’est aussi un devoir de refuser la « sous-citoyenneté » en France.

Justement, vous qui êtes deux côtés comment analysez-vous les deux modèles d’immigration?
Hélène: L’Amérique est pragmatique. Le visa est donné selon ce qu’on veut en faire. Surtout aux exilés politiques. Quand vous venez travailler vous l’achetez. Mais au moins on peut bosser! A partir du moment où on rentre dans le pays on ne subit pas toutes les humiliations qu’on subit en France. C’est un truc de malade! Qu’on enlève aux immigrés à ce point leur dignité, leur intelligence, leur Histoire, leur volonté. C’est quand même flippant!  A New York il n’y a pas de contrôle d’identité dans la rue au faciès. Ça n’existe pas!

Célia: Il y a des choses qui sont systémiques. Les gens aux USA ont un peu plus l’impression de pouvoir faire valoir leurs droits. Ils se sentent moins frustrés. Je donne un exemple très simple. Vous n’avez pas de papiers. Vous habitez dans un appartement où le plafond tombe. A New York, vous appelez la ville. Vous vous plaignez. Vous appelez votre propriétaire: il ne fait rien. Vous appelez la ville. La ville s’en occupe, que vous ayez des papiers ou pas. Ce n’est pas une question de papiers mais d’existence humaine. C’est une question de dignité. J’ai eu un jour une conversation avec un chauffeur de taxi malien. Ça m’a beaucoup fait réfléchir. On venait de Paris. On est rentré dans le taxi. J’ai vu qu’il avait un nom africain et parlait français: « Salut mon frère ça va? » Il me dit «Vous venez d’où? » -De Paris! » Il me répond: « Paris! Plus jamais j’y vais! » Je dis « Bon! Mais vous êtes en Amérique là. C’est bien pour vous? Ça vous plaît? » Il me dit: « L’Amérique là! C’est le vrai pays des droits de l’Homme. » Je lui réplique: Oula! Attention! J’espère que vous avez une bonne théorie derrière! » « Ecoute! Moi ici zé fait le taxi! On ne me demande pas mes papiers. Si un jour quelqu’un me tape, me casse le nez me vole mon argent z’appelle la police. La police vient et cherche mon voleur. En France si la même chose se passe et que z’appelle la police on me demande les papiers. On me met les menottes. On m’amène en prison!» Je suis restée la bouche ouverte. C’est vrai. Les droits basique de justice sont garantis en Amérique. Papiers ou non. En France on peut avoir des papiers mais être catalogués de «  minorités visibles » » Waaaah! Ben ça m’écœure! Aux USA je vois des personnes handicapées travailler. En vivant ici, il y a des choses qui me choquent quand je retourne en France. Des trucs que je ne voyais pas forcément avant. En France il y a une intolérance. On n’aime pas la différence. C’est compliqué. Les femmes sont sous-payées. On est encore dans une société assez misogyne. Les handicapés ne travaillent pas. Les homosexuels et les gens de couleur galèrent. On peut  vous refuser les appartements, du travail pour tout et n’importe quoi!

Vous étiez là pendant l’investiture d’Obama. Qu’est-ce que vous avez vécu en 2009?
Hélène Faussart: Le monde a changé avec l’élection d’Obama. Je pense qu’il y a eu une révolution dans les mentalités. Avoir un noir président, pour un pays qui était encore en pleine ségrégation, il y a à peine cinquante ans, c’est incroyable! L’Amérique a un pouvoir de résiliance incroyable. C’est là où en Europe nous sommes de vieilles nations. On n’arrive pas à passer les trucs. L’Amérique a su s’unir derrière un projet commun qui était mené par ce mec noir: Barack Obama

Célia Faussart:Barack Obama c’est un symbole pour les noirs ici. C’est un symbole aussi pour les immigrés. Beaucoup d’immigrés qu’ils soient costaricains ou des coréens se disent: « Waaah immigré première génération! Possible! »

En terme de politique qu’a t-il changé selon vous?
Hélène: Par exemple, une amie américaine m’a dit: « Je  vais à la sécurité sociale m’inscrire. Je suis éligible pour pouvoir bénéficier de la sécurité sociale. J’y vais maintenant vite avant que les républicains ne repassent et que les lois ne changent. Que toute cela ne disparaisse. » Cette femme est à dix ans de la retraite. Ça change sa vie. Il y a la théorie à la télévision. Mais quand tu vois le résultat dans la vie des gens tu te dis que ça valait le coup. Après c’est facile de tirer à boulets rouges sur un mec qui hérite d’un pays en ruines. Un pays qui est en train de mener de fausses guerres en Irak en Afghanistan depuis une dizaine d’années. Le coût de ces guerres est astronomique. Il y a des lobbys forts. C’est quand même compliqué. Il ne faut pas que le monde se trompe non plus. Obama l’a toujours dit: « Je ne suis pas un faiseur de miracles. Si on fait les trucs c’est ensemble. » Alors c’est facile quand ça ne va plus de dire à un moment donné c’est toi! Non! On est ensemble! Il faut qu’on réfléchisse tous et qu’on parle. Qu’on fasse les efforts nécessaires pour pouvoir avancer. Seulement c’est difficile de sacrifier son petit confort personnel pour l’intérêt général.

nubians1Pour revenir à la musique: « Princesses nubiennes », « One step forward », « Nu revolution »: il y a un fil  entre ces trois albums?
Célia: On est parties de « Princesses nubiennes ». Maintenant on en est au stade de « Reines ». On était des jeunes filles. Maintenant nous sommes des femmes adultes, responsables. Tout repose sur nous. C’est ça qui fait la différence entre la princesse et la reine. La responsabilité, le fait de porter les choses toutes seules. C’est un des liens entre les disques. Il y a aussi le thème de la diaspora. Il y a toujours chez les « Nubians une proposition de mondes ensemble avec la paix et l’amour. En Occident ce sont des thèmes qui paraissent naïfs.On a grandi au Tchad. La guerre et la paix sont des choses concrètes, qu’on peut voir. L’esprit là-bas ce n’est pas: « On va se balader dans la nature! » Il y a des mines antipersonnel! On croit en ce monde possible de tolérance et de compréhension, d’acceptation de la différence. La différence est une épice qui nous enrichit. Ça amène les rêves plus loin. Cet album s’appelle « Nu revolution »: Rêve Evolution. Le processus évolutif nous tient à cœur. Si on stagne on meurt! On doit toujours être en mouvement. Martin Luther King avait un rêve dont les artistes se sont inspirés. Mais ce rêve là est devenu réalité avec Obama. What’s next? Et bien il y a ce rêve du monde ensemble qui prend forme. Avec Internet on se rend compte que les distances sont abolies. On peut voyager, avoir l’information plus vite. C’est Internet qui a aidé les révolutions du monde arabe: « le Printemps arabe ». Les nouvelles générations s’appuient sur ce monde qu’elles voient comme un tout. Enfin, on défend aussi un activisme politique,qui n’est pas forcément: gauche/droite. On s’intéresse à la politique car ce sont les règles du vivre ensemble. Alors, bien sûr, on en parle.

«  Les Nubians presents: Echoes Chapter One Nubian voyager » a été un projet phare en 2005
Hélène: On voulait réaliser une œuvre collective et provoquer des rencontres avec différents poètes. Faire se rencontrer des langues, des dictions, des langages, différentes visions.  En 1999 on a fait notre première tournée en 1999 aux États-Unis. On a organisé en amont un concours de poésie sur Internet. On a sélectionné, dans chaque ville où on a été jouer, des poètes locaux. On savait déjà un peu qui ils étaient, quel style ils avaient. Après cette tournée il y a eu des rencontres tellement fulgurantes qu’on a décidé de mettre en avant ces poètes et ces poèmes. On a été naturellement vers les poètes avec lesquels on avait le plus d’affinités et surtout ceux qui nous ont le plus ému. On les a d’abord enregistrés a cappella pour capter leur flow, leurs intentions. Ensuite on a habillé tous ces poèmes à Marseille, avec Mounir Belkhir, à Marseille. Cela a été conçu comme un livre cd. On a fait de belles rencontres: Queen GodIs, John Banzai, Jamarhl Crawford.., avec des scènes magiques comme les Trans Musicales de Rennes. A refaire. On pense à un chapitre deux.

Des rencontres marquantes vous en avez eu beaucoup sur la route.
Hélène Faussart: Le rappeur Keith Elam alias Guru nous a marqué. Il nous a contacté en 2003 pour son projet Jazzmatazz: « Streetsoul ». On s’est retrouvé en studio avec lui, Chad Hugo et Pharrell Williams. On devait même enregistrer un titre avec Isaac Hayes.

Célia: Très classe Guru. Gentleman. Très soucieux des artistes qu’il invite. Quelqu’un qui sait inviter, qui se soucie de comment ça se passe, de comment on se sent. De savoir si on aime le « track » à la fin. C’était et c’est un grand monsieur. Il fait partie des pertes inestimables. Autre rencontre incroyable: Henri Salvador. Inoubliable.

Hélène: C’était magique. Il est arrivé en rigolant. Il est parti en rigolant. Toujours en forme. L’œil pétillant comme un enfant. Il adorait cette chanson « Que le mot soit perle ». Il disait « Oulala j’aurai bien aimé l’avoir écrite celle là! » C’était un des plus beaux compliments qu’on peut faire.

Célia: Toujours soucieux de la mélodie: « Cette phrase là vous la chantez comment? » On lui explique comment on veut chanter. Et dès qu’il pose la voix derrière le micro.. Magique! On a appelé notre mère au Cameroun: « Maman t’entend? » -Ah mais c’est monsieur Henri Salvador? -Oui maman on est en studio il chante notre chanson! – »Ah mes filles! » Pour nous Henri Salvador, c’est notre enfance. Notre mère nous chantait ses chansons. Nous avons chanté ses chansons à nos enfants. C’est la légende. Il a inspiré la Bossa Nova.

Hélène: On a fait beaucoup de belles rencontres mais beaucoup sont partis. Abbey Lincoln en fait partie. On entend sa voix dans le premier album « Princesses nubiennes ». James Brown est l’une des grandes rencontres de notre vie. On a fait sa première partie au Zénith en septembre 1998. Faut le faire! L’album venait de sortir. On a cru qu’on allait se faire manger par le Zénith! Les mecs venaient pour James bien sûr! Il y avait même des sosies dans la salle! Tu te dis « C’est pas possible. On ne va jamais y arriver! » Et on l’a fait ce concert! Et c’était bien! Même James Brown nous a félicité. Il a dit: « C’est pas facile de jouer avant moi. Vous l’avez fait! » Il nous a applaudit: « Bravo les filles! L’Amérique vous attend! » Juste après on a eu ce succès au États-Unis. On s’est dit: « Waaah! Le vieux l’avait dit. » Il y a encore plein de belles rencontres à venir! La musique est  une aventure, un voyage!

Avec qui vous reste t-il à travailler?
Hélène: Il y en a tant. Quincy Jones. C’est un vieux rêve!

Célia: Avec Prince aussi. Il nous a vu en concert à Minneapolis. On se dit qu’il y a peut-être moyen de moyenner! Avec Keziah Jones. On a partagé pas mal de scènes ensemble. Il y en a pleiiiiin!