Jaylou : ’’Pour moi une bonne musique, c’est celle qui a le respect de l’idée qui l’a conçue’’

De retour du Cameroun, où il a pris part aux festivités du cinquantenaire, le guitariste Jaylou Ava me reçoit à son domicile à Paris. Il revient entre autres sujets, sur l’organisation de ces festivités et le rôle que doit jouer la culture dans l’épanouissement d’un pays. En pleine préparation de son prochain album ’’Ethno Skies’’, qui révèlera au monde un autre visage de l’artiste, je trouve un Jaylou Ava non pas stressé par rapport aux défis musicaux qu’il s’est fixés, mais plutôt un monsieur épanoui et encore plus joyeux luron qu’il ne laisse souvent transparaitre.

Alors Jaylou ce voyage au Cameroun pour le cinquantenaire comment le décris-tu ?
Tout d’abord j’ai tenu à faire ce voyage parce qu’il s’agit du Cameroun avant toute autre considération. Dans l’ensemble, ce n’était pas mal ; cela m’a permis de rencontrer d’autres artistes camerounais également conviés et de nouer d’autres contacts et de jauger un peu le niveau organisationnel des grands événements.

Dans l’ensemble. Mais si l’on détaillait le voyage que dirais-tu ? Toi qui fustiges le manque de considération des autorités pour la chose culturelle ?
J’essaie de faire la part des choses. Ma position n’a pas changé par rapport au manque de considération pour la culture dans notre pays, mais si mon pays a besoin de moi, je me sens obligé, si mon calendrier me le permet, de répondre présent. Dans le détail, je dirais donc que j’ai été agréablement surpris quant au respect de la parole donnée par rapport à la « motivation » financière promise aux artistes. A ce niveau, mention spéciale, j’ai perçu mon cachet sans avoir à courir après quiconque et je pense que c’est le cas de tous.

Par contre sur le plan organisationnel, j’ai déploré certains manquements. Si je ne me trompe pas, nous étions au moins 102 musiciens à passer en une soirée et cela était pénible. Certains musiciens ont dû attendre des heures et des heures avant de se produire sur scène etc…. Le son qui n’était pas à la hauteur…De tas de petits désagréments qui pouvaient être évités si on avait pris le soin de bien faire les choses. Bref un certain amateurisme qui ne devrait plus avoir lieu. Mais je pense que les choses sont dans la bonne voie.

—- Pendant ce temps, passent en boucle les magnifiques chansons qui composeront le prochain album ’’Ethno Skies ’’.

Mais c’est tout un autre univers musical de Jaylou que l’on découvre là !
On peut dire çà comme cela. En effet ceux qui s’attendent à voir Jaylou Ava dans le registre habituel auront la grande surprise de me découvrir sous un autre angle. Et c’est cela également la force d’un musicien ; savoir offrir autre chose, sans se renier ; et de bonne qualité surtout. Il faut élargir son spectre et essayer de s’adapter à toutes les situations. Lire et comprendre certaines attentes et pourquoi pas aller créer certains besoins enfouis chez les mélomanes. Nous devons également être force de proposition, de révélation des choses dont on n’a pas conscience sur le coup, mais qui, dès lors qu’on écoute un morceau, on se dit ’’ mais justement cette chanson vient de combler, ou de mettre en évidence ce que je n’arrivais pas à dire etc…’’. Et c’est ce qui est en filigrane le leitmotiv du prochain album ’’Ethno Skies’’.

©Jaylou Ava/Youtube
©Jaylou Ava/Youtube

 

Lire et comprendre les attentes de son public ? Explique-moi çà
Le projet Donny Elwood ’’ Négro et Beau’’ dans lequel j’ai pris part, partait de l’observation que j’ai faite lorsque nous jouions dans les cabarets à Yaoundé. Et lorsque nous faisions écouter le produit avant sa sortie, certains nous disaient, ’’ les gens ne vont pas aimer, on n’aime pas çà ici etc…, les gens aiment les choses qui bougent’’. Mais le succès qu’a connu ce projet est venu démentir ces allégations qui réduiraient les camerounais seulement à de la musique d’ambiance. Donc ’’Ethno Skies’’ part sur le même format et le public seul saura juger de sa qualité et de son utilité surtout, car la qualité y est. Je ne saurais présenter au public un produit qui n’ait un minimum de qualité.

A quelle situation t’es-tu adapté dans cet opus certes pas encore sorti ?
C’est un projet que j’ai dans mes ‘cartons’ depuis plus de 6 ans ; il n’est pas sorti au moment où nous le faisions pour des raisons personnelles. Par contre il est le fruit d’une observation que j’ai faite à l’époque et qui était tout simplement de ne pas tellement mettre en évidence certaines richesses musicales de chez nous. Et cette situation reste toujours valable et c’est pour cela que j’ai donc décidé de le sortir maintenant car j’ai du temps pour le faire. En renonçant à ce qui me caractérise comme musicien dans cet opus tout en mettant en avant ces autres choses, les gens découvriront des choses encore plus belles, magnifiques, faites avec sobriété, mais avec beaucoup d’exigence.

Tu parles de qualité, d’exigence dans la musique. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Il ne faut pas nous leurrer, il y a de bonnes et de mauvaises musiques. Maintenant je ne dis pas que toutes n’ont pas leur place, puisque en dernier ressort c’est chaque individu qui juge. Dès que l’on me donne une musique à écouter, je l’écoute d’où qu’elle vienne. Par contre, je ne l’écoute plus jamais si je trouve qu’elle est de mauvaise qualité.

Quelle est pour toi une bonne musique ?
C’est celle qui a le respect de l’idée qui l’a conçue. La musique c’est d’abord une idée qui vous vient je ne sais d’où. C’est presque mystique. Mais elle vous arrive et vous réagissez, chacun à sa façon. La musique pour moi est quelque chose de spirituel, donc de très fort. Je considère que je ne suis qu’un canal par lequel cette idée passe et dans ce sens, je me dois donc de faire en sorte que ce qui a captivé mon attention donc l’idée, soit aussi ressenti de la même façon chez l’autre. Pour cela, il faut un minimum d’application, de respect dans le travail de la retransmission. C’est pour cela que je suis très exigeant avec moi-même dans la conception d’un disque. Maintenant on peut apprécier ou pas, mais il faut que l’on se dise, ’’ce n’est certes pas mon style, mais c’est bien fait’’.

Tu es régulier aux États-unis ces derniers temps ; une raison précise à cela ?
Plusieurs projets m’amènent à me retrouver là-bas ; de plus je travaille sur un autre projet encore plus personnel qui demande que je sois également présent. Il y a également les Ark-Jammers (projet socioculturel) dans lequel je suis impliqué et qui font des choses magnifiques en direction du Cameroun finalement, car le crédit de nos actions bénéficient au Cameroun.

Revenons un peu sur la politique culturelle au Cameroun.
L’impression que j’ai est la suivante : Que le ministère de la culture est considéré comme un ’’faux ou sous ministère’’ donc sans très grande importance. Car si l’on avait pris la réelle dimension de ce qu’est la culture pour un pays, on ne serait pas au stade où les affaires culturelles ne sont pas confiées à celles et ceux qui en ont la compétence. Lorsque vous allez ailleurs dans des pays à moindre potentiels humains que le nôtre et vous y voyez les réalisations culturelles, vous vous dites qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas juste chez nous. Mais je garde espoir en l’avenir de notre pays appelé à être un pays leader en matière culturelle ne serait-ce que dans la sous région de par sa composition démographique.

Le Cameroun au Mondial ! Supporter ou pas ?
Quelle question ! Je suis à fond derrière nos lions qui, comme nous, font un travail considérable pour le pays. Ce sont de valeureux ambassadeurs de notre très cher pays. Je ne peux que les supporter et leur dire que nous sommes derrière eux. Lorsque vous voyagez à travers le monde on vous identifie plus par ces lions ou par un artiste. Donc moi artiste musicien, je ne peux que les supporter en tant que camerounais et aussi partageant l’amour de la culture.

A toi le mot de la fin.
Te remercie d’abord pour la tribune que tu as mise à la disposition de nous autres artistes et j’espère que nous saurons l’utiliser et j’invite les artistes à s’exprimer. Pour les fans et mélomanes, je travaille d’arrache-pied pour mettre à leur disposition ’’Ethno Skies’’ dans les prochains jours et leur souhaite bien de choses.