Jacques Schwarz-Bart: Le Jazz de Brother Jacques

Jacques SchwartzOn le surnomme « Brother Jacques ». Jacques Schwarz Bart a longtemps été saxophoniste dans l’ombre de grands jazzmen comme Roy Hargrove ou Soulmen: D’Angelo, Meshe’ll Ndegeocello…. Depuis plusieurs années il navigue en solo avec des projet Jazz et Afro-caribéennes.

Tu as deux albums Jazz Gwo-Ka à ton actif: «Soné Ka-la » en 2006 et « Abyss » en 2008 Qu’est-ce que le Gwo-Ka?
C’est une musique née en Guadeloupe. Elle a ses racines directement en Afrique. Le Gwo-Ka a toutes les caractéristiques des musiques africaines traditionnelles, avec des instrumentations qui sont essentiellement la percussion et les voix. Les voix sont dans un système d’appel et de réponse, comme dans les musiques africaines. Les gammes sont pentatoniques. Les rythmes Gwo-Ka sont très variés. Il y a sept rythmes fondamentaux, avec beaucoup de variations, qui appellent un type d’improvisation différente de la part des batteurs solistes. C’est une musique riche, qui, de part son type d’improvisation, se prête naturellement à un mélange avec le Jazz.

Avoir deux parents écrivains: André et Simone Schwarz-Bart était-ce une porte d’entrée naturelle vers l’Art?
En effet. La démarche artistique que ce soit dans une démarche littéraire, d’art plastique ou de musique est fondamentalement la même. Il faut beaucoup de travail et de discipline. Il faut investir dans le long terme. Développer la compréhension, la maîtrise, la connaissance de l’Histoire de son Art. Il faut beaucoup de courage pour faire des choix pas toujours faciles car ils ne sont pas communs, et donc difficiles à défendre au départ.

Comment as tu été amené à voyager aux États-Unis et entamer cette carrière?
A l’époque j’avais entamé une carrière dans la Haute administration française. Je ne m’y sentais pas du tout accompli en tant qu’humain. Il me fallait changer drastiquement de vie. J’avais deux options: l’écriture ou la musique. J’ai toujours eu des facilités d’écriture. Mais la musique m’a toujours plus épanoui que l’écriture. J’avais moins d’expérience à l’époque dans la musique que dans l’écriture. J’ai commencé le saxophone à vingt-quatre ans. J’ai décidé de sauter dans le vide et de tenter le tout pour le tout pour vivre mon rêve le plus intense.

Comment as-tu rencontré toutes ces pointures du Jazz et de la Nu Soul aux USA?
Frais émoulu du Berklee College of Music de Boston, à vingt-sept ans, j’ai eu la chance d’être choisi par des professeurs de l’école, ayant une carrière assez active: le percussionniste Giovanni Hidalgo, le pianiste Danilo Perez, le batteur Bob Moses. Ils m’ont intégré immédiatement dans un domaine professionnel de haute volée. Ce sont des gens que j’admire encore maintenant et dont les enseignements sont des sources d’inspiration quotidiennes. A Boston, j’étais le saxophoniste qu’on appelait lorsque qu’il y avait un événement intéressant. Mais Boston reste une province par rapport à New York. Je me suis dit que je devais y aller pour voir si j’avais le niveau pour y exister. J’ai pris mes cliques et mes claques et j’ai loué un « placard » dans l’appartement d’un copain sur place. J’ai commencé à hanter les « jam sessions ». C’est ainsi que j’ai rencontré Roy Hargrove au bout d’une semaine! Mon passage, de nouveau venu à musicien respecté à New York, a été assez rapide. Une fois qu’on est respecté sur cette place de New York, c’est plus facile d’être appelé par des gens qu’on ne connaît pas. C’est comme ça que beaucoup de choses sont venues. Roy m’a présenté D’Angelo. Il avait participé à l’enregistrement « Voodoo » en 2000. Il voulait réunir une section cuivre pour une tournée. Avant « Voodoo » on avait fait quelques tournées avec le chanteur, à l’époque de « Brown Sugar ». Suite à « Voodoo », sachant que Roy était occupé D’Angelo a auditionné des sections de cuivres. Il en a auditionné une quarantaine, pendant une semaine. Aucune ne faisait son affaire. Comme j’avais fait bonne impression on m’a demandé de rassembler une section. Roy Hargrove a pu se libérer pour quelques dates. J’ai appelé Frank Lacy au trombone. Je jouais au saxophone ténor. C’est ainsi qu’on a fait la tournée « Voodoo ».

Sais-tu s’il fera enfin l’album que tout le monde attend?
Je ne suis même plus intéressé. J’attends de voir si ça sortira. Je m’occupe de ma carrière. Je ne peux plus me mettre au service de quelqu’un d’autre. Surtout quelqu’un qu’on attend toujours. On l’attend à l’aéroport. Il appelle pour dire qu’il annule la tournée. On l’attend au studio et on constate à la fin de la journée qu’il ne se pointe pas. Je suis maintenant maître de ma destinée et bien que j’ai une admiration absolue pour D’Angelo et d’autres leaders que j’ai servi avec passion dans le passé, aujourd’hui je ne peux plus être dans une situation de disponibilité totale.

Le mélange des racines africaines, caribéennes, afro-américaines est naturel dans ta musique.
La notion de musique africaine est beaucoup plus large dans ma création. Je mène deux projets: l’un combine le Jazz et la musique vaudou d’Haïti: Jazz Racines, pour lequel j’avais fait l’ouverture du festival « Banlieues Bleues » en 2011. C’est un septette d’enfer qui réunit deux « vaudous »: Erol Josué, Jean Bonga et cinq musiciens de haute volée de la scène new-yorkaise. C’est une musique contrastée, inspirée par la spiritualité vaudoue, mélangeant la glace et les éruptions volcaniques permanentes. L’écriture reste « jazzystique », aussi bien dans les harmonies que dans les arrangements. Cela allie le moderne et l’ancien. Parallèlement j’ai un quartette de pur Jazz enregistré en 2012 sur un album: « The art of dreaming »: avec Baptiste Trotignon au piano, Thomas Bramerie à la basse et Hans Van Oosterhout à la batterie. Je reste impliqué dans le Jazz acoustique moderne, à l’américaine, tout en continuant mon exploration du monde musical africain.

Penses-tu que ce mélange va ramener un public qui se désintéresse du jazz classique?
Je n’ai pas une démarche particulière dans ce sens. Si certaines personnes le perçoivent comme ça tant mieux. J’essaie simplement d’aller au bout d’une vision. La musique vaudoue haïtienne, la musique Gwo-Ka, la musique Gnawa du Maroc sont des musiques qui me sont chères, qui m’émeuvent, très puissantes, qui prennent possession de moi. Je veux pouvoir transcrire dans le Jazz ce type d’émotion, ce type d’intensité quasi insoutenable, à l’heure où le Jazz en manque un peu et devient un exercice intellectuel. L’aspect intellectuel est important mais je ne veux pas que cela empêche la mise en avant de la spiritualité, la capacité que certaines musiques ont de nous élever au-delà de nous-mêmes.

Quelle est l’histoire de ton album « Rise above » en 2010, fait en collaboration avec ta femme, la chanteuse de Soul Stephanie McKay?
C’est essentiellement une histoire d’amour, celle de ma rencontre avec Stéphanie. A l’époque je sortais de mes tournées avec D’Angelo. J’étais depuis quelques temps séparé de mon précédent foyer. J’ai rencontré Stéphanie alors que nous étions tous les deux guest du groupe « Soulive » sur un album intitulé « Doin’ something ». On a eu la chance de faire des Live ensemble. Le courant est passé immédiatement. Il y avait une amitié naturelle. On a évoqué beaucoup de choses et constaté qu’on avait la même philosophie, sur la façon d’équilibrer la vie de tous les jours et la vie d’artiste. Cela nous a rapproché. On a un petit garçon. Je tenais à ce que toutes ces compositions, écrites à l’époque, qui ont servi de socle au projet de Roy Hargrove: « RH Factor », sortent dans ce disque.

Enfin, qu’est-ce qui t’a amené à choisir de vivre à New York?
Il y a peu d’endroits qui sont aussi ouverts que New York. Il y a peut-être des quartiers dans d’autres capitales qui le sont. Mais aucune ville n’est comparable à New York, dans le type d’ouverture d’esprit, à part peut-être San Francisco. C’est un lieu unique de liberté, à tous les niveaux. C’est pourquoi je l’ai choisie. C’est la seule ville où j’ai l’impression que j’ai le droit d’être moi-même. Artistiquement, je suis d’autant plus apprécié que je suis moi-même. Ce n’est pas toujours le cas ailleurs. Souvent sur les scènes de Jazz ici et là on attend de vous plus une réplique d’autre chose, d’une certaine Histoire du Jazz, qu’un discours novateur. A New York tout discours novateur, s’il a un fondement esthétique, sera apprécié par les gens. C’est pour ça que je suis ici et que je continue d’y créer, même si mon public est international. Je crée à New York car je veux me sentir libre de tout jugement pré établi.

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