Félix Sabal Lecco “J’ai dormi à la belle étoile…”

La présentation classique aurait voulu que j’annonçasse qu’il a joué sur toutes les grandes scènes du monde, par conséquent avec les plus grands. Qu’il a commencé à jouer sur les genoux de son grand-père, dans une église du village etc. Il n’en est rien. Clairement, disons-le. Jouer avec les plus grands, ne l’a pour autant pas rendu grand, mais confirmé qu’il était déjà un grand, ce qui a suscité l’envie des autres à travailler avec lui. Il en va ainsi de Félix Sabal Lecco, l’un des frères d’une des dynasties musicales les plus douées du Cameroun.

En cette journée ensoleillée, dans un café de la capitale française, je vais à la rencontre de celui qui, par son style, son look et son jeu est une institution, un spectacle à lui tout seul. Il compte parmi les meilleurs et des plus prolifiques batteurs de sa génération malgré sa discrétion. Derrière le virevoltant et talentueux batteur se profilent les casquettes de réalisateur, de producteur, d’arrangeur, de compositeur etc.

Conscient d’un manque de présence dans l’espace géographique qui l’a vu naître, où très tôt, il commence à fourbir les armes qui le porteront au sommet de son art et devenir le phénomène qu’il est aujourd’hui, Félix Sabal Lecco nous en donne les raisons et en même temps nous livre ses projets parmi lesquels son désir de faire partager son expérience avec les confirmés et débutants parmi les musiciens de son pays, le Cameroun. Car, dit-il, ils (musiciens) m’ont incité à faire de la musique. Une admiration non contenue pour Toguy, Ndedi Dibango Douleur et les autres etc… Hilare, toujours entrain de déconner pour mettre la bonne ambiance, Félix Sabal Lecco nous entretient avec une humilité qui contraste avec son immense talent.

Alors que devient Felix Sabal Lecco ?
Félix Sabal Lecco: Je bois du thé avec Jean-Jacques Dikongué [Rires…avant de redevenir sérieux]. Possédant mon propre studio, je travaille sur de nombreux projets. Actuellement sur celui de Louis Bertignac (guitariste du groupe Téléphone), musique de films, reportages et documentaires. Tout comme j’accompagne de jeunes en studio, parmi ceux qui osent briser la glace et m’appeler tout en étant surpris de me voir jouer avec eux.

Pourtant vous n’êtes pas très visible au Cameroun pour autant. Comment l’expliquez-vous ?
Nous avons mis beaucoup de temps à travailler pour percer musicalement. Les moyens n’étant pas ceux d’aujourd’hui, avec internet, l’accès aux instruments ; ceci nous a pris du temps. Percer à l’international nous a pris du temps et en même temps permis de capitaliser les acquis pour nous permettre très humblement aujourd’hui de regarder vers le Cameroun, et y apporter notre aide aux anciens et jeunes qui veulent explorer d’autres voies dans la musique. C’est la maturité acquise après tant d’années qui nous autorise aujourd’hui à proposer nos services aux anciens et jeunes camerounais car nous avons besoin les uns des autres pour porter haut la musique camerounaise comme le font déjà des gens comme Richard Bona ou Gino Sitson etc…

Félix Sabal Lecco ©Tribune2lartiste

On peut donc parler de retour aux sources pour Felix Sabal Lecco.
En effet ! Le Cameroun reste une très grande destination et aussi une merveilleuse inconnue. Il est la résultante de toutes les années de travail à travers le monde. Ce n’est donc qu’un juste retour des choses. Le Cameroun m’a permis d’être ce que je suis, je me sens une obligation à lui rendre le fruit de ce travail. Ce n’est pas une finalité, mais un devoir. J’essaye donc par cette approche, de donner de la chance aux jeunes qui commencent et aussi chercher de nouvelles voies avec les anciens afin de continuer le travail qu’ils ont accompli jusqu’à ce jour.

Quel est l’état des lieux de la musique au Cameroun selon vous ?
Je suis parti très jeune du Cameroun. Mais avec le recul aujourd’hui, je sais pouvoir dire que lorsque je partais, techniquement, la musique camerounaise prenait les sentiers de la facilité (techniquement parlant, je précise) Les mélodies étaient là, mais les beats ne changeaient plus beaucoup. A part quelques individualités comme Toguy, Dina Bell, Ndedi Dibango et je ne saurai tous les citer, il y avait déjà la tendance à la facilité qui s’amorçait. Lorsque Donald Wesley est arrivé, il a apporté des rythmiques qui mettaient en valeur notre musique. En gros, on a essayé de faire dans la facilité technique pour essayer de vendre et non plus pour la beauté de l’art comme certains le faisaient et c’est cette tendance qui prévaut malheureusement encore, exception faite de quelques jeunes qui essayent de maintenir la beauté technique de la musique. La musique camerounaise a perdu de son âme en adulant d’autres musiques, certains ont cru à tort que la nôtre avait perdu de sa valeur, alors qu’on ne l’a même pas encore exploitée. Notre musique a inspiré les autres. Je suis nostalgique de la belle époque de ces anciens qui avaient su donner le La. Les musiciens s’exprimaient, les chanteurs également. C’est pour cela que les mélodies comme Dibena, Epapala, Osi tapa lambo lam restent dans les esprits.

Savez-vous que votre parcours très international, peut constituer un frein pour certains jeunes de chez nous qui se disent : « est-ce qu’il pourra même me regarder si je l’approche ? » Y avez-vous pensé ? La peur, l’inhibition des jeunes pour vous aborder. Comment casser ce mur de glace ?
En effet le problème se pose et je sais que certains parmi nous alimentent cette méfiance voire cette crainte de par leur attitude un peu snobe voire hautaine. Mais je pense qu’elle n’a pas lieu (la problématique) d’être et me concernant, ceux qui me connaissent savent que je suis très très cool et surtout ouvert. Pour répondre à votre question de façon précise, je pense aussi qu’un travail de communication est nécessaire, c’est grâce à lui que nous pouvons faire passer des messages et surtout qui soient en osmose avec notre attitude. Et en ce sens, je dis un très grand merci à CamerounLink de me donner l’opportunité de m’exprimer et si je peux ainsi briser la glace, et permettre à celles et ceux qui veulent m’aborder de le faire, tant mieux pour la musique  car je reste convaincu qu’il y a des choses que ces jeunes et anciens ont à faire et si nous pouvons les réaliser ensemble alors, c’est du pain béni. Le temps, le travail ne nous permettent pas souvent d’être à l’écoute. D’ailleurs je laisse mon numéro de téléphone à ta disposition (CL), ceux qui veulent me contacter pour le travail, peuvent te joindre et tu le leur communiques. J’ai des projets à partager avec des artistes talentueux, confirmés ou non. Ce n’est comme cela que je peux me mettre à disposition.

Quelles sont vos influences camerounaises à part Manu avec qui vous avez travaillé ?
Manu c’est notre Miles Devis à nous et son influence va de soi sur moi vu le temps passé avec lui et les choses réalisées ensemble. Mais bien avant, j’ai eu des gens qui ont marqué mon trajet, ceux que je surnomme les durs. Dina Bell, Toguy, Douleur, Eboa Lotin, Ndedi Dibango, Brillant, Ben Decca et je ne veux pas faire de liste exhaustive de peur d’en oublier et d’en froisser ; mais un paquet tout de même. Ceux qui m’ont donné l’envie de faire de la musique.

Les noms cités sont établis dans le métier. Si d’aventure, l’un d’eux se proposait de travailler avec vous ; que proposeriez-vous d’innovant ?
Comme je le disais tantôt, c’est d’essayer avec eux, de creuser des voies qui n’ont pas encore été explorées tout en restant dans l’esprit de leur conception, de leur musique. C’est essayer de détribaliser la musique et je pense pouvoir le faire. Cela ne veut pas dire améliorer ce qu’ils ont fait, mais c’est essayer de l’ouvrir un peu plus à d’autres oreilles qui n’ont pas eu la chance de les écouter, avec la particularité de les mettre dans l’air du temps. Toguy en faisant « Paï ya nyambé » allait dans cette direction déjà. Et c’est dans cette dynamique que je suis et souhaite travailler avec ces durs. Faire danser un belge, un chinois, un suisse sur notre musique comme ils danseraient sur du Michael Jackson.

N’avoir pas beaucoup travaillé avec les vôtres pourrait être une chance pour vous ; mais tenter des choses avec les camerounais pourrait aussi s’avérer un exercice très périlleux à bien d’égards.
J’en suis conscient. Et je pense que l’expérience acquise avec les autres peut me servir de travailler avec les miens. L’une des raisons de notre absence était la fragilité que l’on pouvait avoir face à des situations difficiles ; mais le métier est rentré et il nous est facile aujourd’hui d’aborder des situations à priori dites difficiles et périlleuses. Ma stratégie ne sera pas de dire que voila ce que je veux que tu fasses, mais plutôt de dire, voila ce que je peux apporter à ton projet afin d’escompter de bons résultats. Je me sens plus flatté lorsque l’on fait appel à moi pour me proposer des choses, car c’est une façon de reconnaître que je peux apporter ma pierre à l’édifice. Par contre si je prends le choix d’aller proposer, cela pourrait être mal pris et d’ailleurs qu’est ce qui dit que l’autre a envie de faire des choses avec moi lorsque je vais lui faire cette proposition ? C’est pour dire que je ferai le travail qui est le mien avec ce que l’autre veut bien que l’on fasse. Si un Bikoro Aladin arrive et me dit fils, je veux travailler avec toi, c’est un honneur et je ne peux même pas me permettre de refuser. C’est dans cet esprit là que je suis. Les caractères difficiles, on va essayer de gérer et ce n’est pas grave si j’échoue avec un tel ou un autre.

Vous êtes donc entrain de dire que les prochaines années, on verra musicalement parlant Felix Sabal Lecco au Cameroun.
Je projette pour la jeune génération de faire également des master-class de Batterie comme je le fais à travers le monde. J’explique le métier au travers de mon expérience et ensuite je fais des démos. Pour cela il suffit d’une bonne organisation. Certains projets échappent à notre pays et à l’Afrique souvent à cause de ce manque d’organisation et du manque de sérieux des individus. Le Cameroun n’est pas moins avancé que les pays comme le Mali, le Burkina etc. où sont organisées de grandes choses. C’est seulement une question d’organisation. Ce n’est pas une question d’argent, mais de sérieux et d’organisation. Nous nous pénalisons à cause de ce manque d’encadrement, de sérieux et de professionnalisme Il faut aussi ajouter l’esprit d’arriver au gain aussi vite que possible tout en flinguant les années de travail.

Quels ont été les modèles camerounais du batteur chevronné que vous êtes ?
Tous les batteurs camerounais que j’ai rencontrés ont été d’une importance capitale dans mon parcours tous et comme nous disons dans le jargon, c’étaient des « tueurs »! Ndzana Robert, Jean Louis, Kon Jean Pierre des tulipes noires. Mais celui qui a posé mon derrière sur un banc derrière la batterie est Edouard (paix à son âme). Quand je l’ai vu jouer, j’ai compris que c’est ce que je voulais faire ; ensuite Edimo qui venait de Douala  avec son style à lui. On l’appelait Jazz-rock. Les meilleurs, je les ai rencontrés au Cameroun. Je ne peux ne pas citer Wesley Ebeny Donald qui est une référence au même titre qu’Édouard pour moi. J’ai fait des rencontres dans le monde, mais mon éducation, mon bain a été au Cameroun. Il y a un potentiel inestimable au Cameroun.

Quels conseils aux jeunes ou aux confirmés qui n’ont tout de même pas votre background. Et la ce n’est plus une question de talent, ni de don.
Aux jeunes, il faut y croire. Pendant 5 ans, j’ai été sevré de tout par mes parents. Je me nourrissais des cacahuètes du ‘Baiser salé ‘ à l’époque avec un paternel haut placé comme certains pouvaient croire. Je dormais à la belle étoile, mais j’avais de l’espoir de devenir un grand. Les gens, ont cru qu’étant le fils de mon père, tout a été facile pour nous ; Faux ! Notre père était contre le fait de faire de la musique, nous avons été, Armand (Bassiste de classe, ndlr) et moi privés de vivres des années durant. Nous nous sommes rebellés pour faire de la musique. J’ai appris très souvent à jouer à la batterie sur mes cuisses et genoux avec mon walkman (il y a un genou qui n’a plus de poils). Cela peut paraître bizarre, c’était notre réalité. Je suis un vrai self made man comme on dit. Donc je pense qu’aujourd’hui les jeunes ne peuvent plus se permettre de dire, je suis pauvre je n’y arriverai pas. La volonté et l’envie de réussir sont la clé. Je n’ai pas eu besoin de batterie jusqu’à un certain moment pour continuer à m’entraîner. Le manque du matériel ne constitue pas une excuse valable. Dès que tu as le minimum : manger, dormir, il est plus facile de se consacrer à son métier avec le préalable de s’encadrer soi-même. L’autodiscipline est la clé. Armand, Richard et ceux qui sont à notre niveau, ont travaillé dur et se sont auto-disciplinés pour arriver au niveau qui est le leur.

Nous nous réjouissons du fait que vous nous ayez choisi pour faire passer le message et surtout l’appel envers vos compatriotes désireux de collaborer pour des projets musicaux en tous genres.
Si vous le permettez, je souhaiterai que ceux qui désirent me contacter pour des collaborations, comme je le disais tantôt, utilisent votre canal et que vous les transmettiez mes coordonnées.
Je remercie de tout cœur les camerounais qui m’ont poussé jusqu’à ce niveau et vous remercie de m’offrir cette tribune pour exprimer mes vœux et ainsi me présenter à mes compatriotes sans façon aucune. Je réitère donc mon envie aux jeunes qui désirent faire des choses dans la musique, de ne pas avoir peur de me contacter, je suis à leur écoute et aux ‘anciens’ qui désirent d’autres explorations, je suis prêt. J’en profite également pour faire appel à Ndedi Dibango avec qui j’ai tourné avec Manu. Where are you brother ?